POUR DEVENIR médecin, il fallut toujours être bachelier. Et cela dès le XIIe siècle. Le baccalauréat (vraisemblablement du latin bacca laurea, baie de lauriers) ès arts, délivré par l'université, était alors la première étape vers des enseignements plus spécialisés comme la théologie, le droit ou la médecine.
Lorsque le baccalauréat est institué par décret impérial en date du 17 mars 1808, Napoléon en fait le premier grade universitaire, avec dès l'origine un baccalauréat ès lettres, auquel s'ajoute, pour être reçu bachelier à la faculté des sciences, des questions d'arithmétique, de géométrie, de trigonométrie rectiligne, d'algèbre et de son application à la géométrie. Il est obligatoire pour entrer en faculté de théologie, de droit ou de médecine. Mais, comme en 1809, ils ne sont que 31 reçus, dont aucun à Paris, on peut supposer que beaucoup d'étudiants n'en voient pas la nécessité. C'est alors un examen individuel passé à l'oral et en grande partie en latin, qui porte sur l'ensemble des programmes depuis la sixième. La première épreuve écrite est introduite en 1830 (composition française ou version).
En 1821, c'est la création du baccalauréat ès sciences. Dès lors, les étudiants des facultés de médecine et de pharmacie sont dispensés du baccalauréat ès lettres et doivent être bacheliers ès sciences. Par décret du 10 avril 1852, l'examen séparé en sciences mathématiques et sciences physiques est unifié. Mais on met en place en 1859, à l'intention des étudiants en médecine, qui éprouvent sans doute des difficultés en mathématiques, le baccalauréat ès sciences « restreint » où dominent les questions en sciences physiques et histoire naturelle.
Les modernes contre le latin.
La défaite de Sedan, en 1870, sonne comme une condamnation des études classiques à la française face à la formation moins théorique des Allemands.
Avec l'arrivée des Républicains au pouvoir, l'examen, qui s'est scindé en deux en 1874 (on s'oriente en philo ou en maths la deuxième année), s'obtient à partir de 1880 sans le « discours latin » obligatoire. à côté du bac classique (avec latin et grec), on peut passer le bac moderne, qui donne notamment accès aux facultés de sciences et de médecine. En 1893, est mise en place une année préparatoire aux études médicales sous forme d'un certificat obligatoire de physique, chimie et sciences naturelles (PCN) délivré par la faculté de sciences.
En 1902, le baccalauréat redevient unique avec quatre options : latin-grec (A), latin-langues vivantes (B), latin-sciences (C) et langues vivantes-sciences (D). L'opposition n'est plus entre les scientifiques et les littéraires mais bien entre les latinistes et les non-latinistes.
A et A' pour faire médecine.
Après la Première Guerre mondiale, la tendance va s'inverser. La victoire est vécue cette fois comme une suprématie du modèle français sur le modèle allemand. Les humanités reprennent tous leurs droits.
Le baccalauréat se décline en trois séries : A latin-grec, A' latin langues vivantes et B langues vivantes. Le programme de mathématiques étant le même pour tous, la série A devient la plus prestigieuse.
Dans le rapport d'activité de 1928 de la faculté de médecine de Paris, qui forme alors la moitié des médecins de France, on constate que 80 % des élèves titulaires du bac ont passé le baccalauréat de philosophie et 20 % celui de mathématiques et l'on suggère, dans le cadre de la réforme du PCN (qui sera remplacé en 1934 par le PCB, certificat de physique, chimie et biologie), «des cours complémentaires pour les élèvesqui sortent de la classe de philosophie (...qui) ne savent pas ce que l'on entend par logarithme». Mais les tenants de la tradition clinique défendent la culture classique des médecins. La Confédération des syndicats médicaux français écrit ainsi en 1932 aux professeurs des facultés et écoles de médecine : «Il nous paraît qu'un minimum de culture classique est nécessaire à la formation intellectuelle du futur médecin (...) Les titres initiaux à exiger pour l'inscription en faculté de médecine (doivent prévoir) la nécessité d'un des deux baccalauréats A ou A'.»
En 1944, le doyen de la faculté de médecine de Montpellier écrit au secrétariat d'État à l'Éducation nationale qu'il lui «semble désirable que les futurs médecins soient titulaires du baccalauréat latin-grec» et suggère aux lycéens de passer un deuxième baccalauréat philosophie-sciences !
Le chemin vers les maths.
On en est toujours là dans les années 1950 lorsqu'il faut bien constater qu'aucun prix Nobel n'a été décerné depuis plus de vingt ans à un Français ayant travaillé en France. Le général de Gaulle charge le Pr Robert Debré de réformer les études médicales. Les discussions seront longues, mais va s'imposer «la formation scientifique de base qui occupera la plus grande partie du temps des étudiants en première et en deuxième année». La réforme Debré de 1958 va donc progressivement influer sur le choix des baccalauréats passés par les futurs médecins. Très progressivement.
En 1959, un tiers des étudiants sont en effet issus de la section philosophie, la moitié des sciences expérimentales et 11 % de math élem. (rapport de Jean Dausset, avril 1961).
Il est vrai que le bac n'a pas encore fait sa mue. C'est à partir de 1965 que les mathématiques et non plus le latin vont faire la différence. Nouvelle organisation des séries : A littéraire (avec des sections sans latin), B économique et social, C mathématiques et D sciences naturelles. L'idée du réformateur est que la sélection par les maths est la plus objective. En fait, la section C ne recrute encore à la fin des années 1960 que 15 % des élèves et la plupart des candidats médecins lui préfèrent la section D.
Mais en 1970, second tournant, le baccalauréat de français est déplacé en fin de première, ce qui donne l'avantage à la culture scientifique.
Lorsque le ministre de l'Éducation nationale Jean-Pierre Chevènement affiche l'objectif de mener 80 % d'une classe d'âge au bac, on entre dans une nouvelle ère. La création des bacs technologiques et professionnels est censée changer la donne. Mais c'est le bac général qui connaît la plus forte croissance. Le taux d'accès au bac va passer en dix ans (1985-1995) de 23 à 43 %.
La suprématie des maths.
Sous Michel Rocard, le rapport de la commission Bergé sur l'enseignement de la physique va tenter de revaloriser les sciences expérimentales et les travaux pratiques face à la domination des maths. Des modules seront mis en place par Jack Lang. Mais c'est François Bayrou qui crée en 1993 le système des spécialités pour la terminale S : maths, physiques, sciences de la vie et de la terre (SVT) et technologie industrielle.
Force est de remarquer que, dix ans après, la spécialité maths est largement majoritaire parmi les étudiants de PCEM1, suivie de la physique et très loin derrière de la biologie (statistiques 2005 et 2006 de la faculté René-Descartes - Paris-V). Les efforts du même François Bayrou pour ouvrir les études médicales aux littéraires (« le Quotidien » des 7 et 9 juin 1993) ne rencontreront guère de succès, malgré l'introduction d'un module de sciences humaines en PCEM1.
En janvier 2002, la première année de médecine accueillait 92 % de bacheliers scientifiques.
Aujourd'hui, 95 % des étudiants de PCEM1 sont titulaires d'un bac S et leur chance de réussite est corrélée à leur mention...
Au point que, en 2005, la faculté de médecine de Nancy s'est permis d'adresser au cours de l'été une lettre à une cinquantaine de jeunes des filières A, ES ou technologiques pour les dissuader de s'inscrire en première année (« le Quotidien » du 12 septembre 2005). De fait, on voit de temps en temps un littéraire s'en sortir avec «le couteau entre les dents». Compatissante, la faculté d'Orsay a ouvert il y a quinze ans, à l'intention des L, des ES et des bacs technologiques, le PCS0, une année qui ne compte pas, mais permet une remise à niveau pour ceux qui ont la vocation.
Bibliographie : dossier « Le Bac », in « Historia » n° 738, juin 2008, « Des médecins scientifiques ou littéraires ? Une perspective historique française », Christophe Segouin et al., in « Pédagogie Médicale » 2007 ; 8 : 135-44.
Une croissance exponentielle
Les premières années, le bac n'attire pas tellement les candidats. Soit on préfère s'inscrire en classe préparatoire pour tenter les concours des grandes écoles, soit on apprend le négoce ou les finances aux côtés de ses parents. Ne sont obligés de le passer que ceux qui veulent entrer à l'université ou dans la fonction publique :
– 1830 : 3 000 bacheliers ;
– 1854 : 4 600 ;
– 1914 : 7 000 ;
– 1935 : 11 939 ;
– 1939 : 27 000 ;
– 1948 : 30 000 ;
– 1973 : 150 000 ;
– 1980 : 250 000 ;
– 2007 : 600 000 (64,2 % d'une génération), taux de réussite record de 82,1 % en 2007.
À partir de 1930, lorsque les lycées deviennent gratuits, le nombre de candidats augmente régulièrement. Devant l'afflux des candidats, on envisage, en 1950, de le supprimer. C'est un tollé général. Le bac est alors devenu un symbole de réussite sociale.
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