Le Temps de la Médecine
Jusqu'en 1998, les neurologues considéraient que le centre du rire pouvait être situé au niveau du cortex cérébral préfrontal droit (aires 9 à 12 de Brodmann), siège des activités de synthèse par opposition au cerveau gauche, où prédominent les activités logiques et analytiques.
Dans une publication de « Nature » en 1998 (391, 650), une équipe de neurologues de l'université de Californie décrit une aire du rire située dans le gyrus frontal supérieur gauche, voisine de l'aire du langage. Cette découverte - qui doit encore être formellement confirmée - tendrait à établir l'existence d'un centre spécifique du rire : une stimulation de faible intensité ne provoquerait qu'un sourire, alors que des stimulations plus intenses entraîneraient des rires francs, massifs et contagieux.
Cette localisation frontale se conçoit bien dans la mesure où il existe des liens très étroits entre rire, personnalité et langage, fonctions qui seraient toutes localisées à ce niveau.
Système limbique
Le cortex frontal et préfrontal est connecté au système limbique par le bais de l'hypothalamus. Cette stimulation limbique qui permet une réponse émotionnelle adaptée au stimulus drôle est basée sur des rétroactions depuis les organes des sens jusqu'au cerveau, en passant par les viscères. En retour, les modifications cérébrales affectent la périphérie par l'intermédiaire des stimulations nerveuses et des sécrétions hormonales. Le cortex reçoit donc les messages et détermine le type d'émotion qui en découle, alors que le système limbique ajuste l'intensité de cette réponse en produisant des manifestations physiques de l'émotion.
Les zones responsables de différentes émotions ont été localisées au niveau du rhinencéphale et du diencéphale : le plaisir et le déplaisir sont subordonnés au noyau dorsal de l'hypothalamus, la rage et l'agressivité sont sous la dépendance de l'amygdale, et la joie trouve son origine dans les septums. Mais l'ensemble de ces structures est aussi impliqué dans le contrôle du rythme cardiaque, la respiration, la tension artérielle, la température du corps et les sécrétions hormonales. En outre, les émotions sont transmises aux organes périphériques par les voies du système nerveux autonome - par le biais de neurotransmetteurs. Or ce système est aussi impliqué dans la régulation de nombreuses fonctions de l'organisme (cardio-vasculaire, digestive, respiratoire, immunitaire, endocrinienne).
Les relais nerveux du système limbique qui sont situés dans le cerveau profond sont déconnectés du cortex conscient une fois le rire déclenché. C'est pour cette raison que la volonté ne peut quasiment pas arrêter le rire. Néanmoins, cette notion doit être nuancée : on peut se forcer à rire et on peut aussi passer d'un sourire (action essentiellement volontaire) à un rire.
Juxtaposition sémantique ou phonologique
Une étude publiée dans « Nature Neurosciences » en mars 2001 (vol. 4, n° 3, pp. 237-238) a permis de mieux connaître les structures cérébrales impliquées dans le rire. Les histoires drôles faites de juxtapositions sémantiques ( « Tiens toi au pinceau, je vais enlever l'échelle ») mettent en uvre un réseau neuronal bitemporal. Alors que celles résultant d'une juxtaposition phonologique (jeux de mots : « Avec quoi ramasse-t-on les papayes ? Avec une foufourche ») n'utilisent qu'un seul secteur de l'hémisphère gauche (chez les droitiers), situé à proximité de l'aire du langage. Pour cette expérimentation, les chercheurs ont recruté 14 sujets droitiers à qui ils ont raconté 30 histoires drôles. Les volontaires devaient signifier leur appréciation de l'histoire drôle par un score de « drôlerie ». Les mêmes histoires racontées avec une chute purement descriptive - forcément non drôle - ont servi de témoin.
Les Drs Vinod Goel et Raymond Dolan ont ainsi déterminé avec précision non seulement les aires activées lors de l'intégration mentale de l'histoire, mais aussi celle stimulée lors de la phase affective qui suit, c'est-à-dire lors du déclenchement de l'envie de rire. Au préalable, les investigateurs avaient demandé aux sujets de limiter leurs mouvements de tête afin de ne pas interférer avec les aires cérébrales activées. L'examen par IRM fonctionnelle a permis de montrer que l'aire du cerveau impliquée dans le déclenchement du rire est le cortex médio-ventral préfrontal, zone connue pour représenter et contrôler les comportements en rapport avec la récompense.
A tomber de rire : la cataplexie
Il existe des personnes incapables de raconter une histoire qui les fait vraiment rire jusqu'au bout : si elles essayent malgré tout, elles s'effondreront, au sens propre, avant la fin de leur récit.
Ces personnes sont sujettes à des crises de cataplexie, c'est-à-dire à un brusque relâchement du tonus musculaire, déclenchées par une émotion forte et soudaine comme le rire, mais aussi la colère ou la surprise. Les crises durent de quelques secondes à quelques minutes pendant lesquelles la conscience du malade n'est pas altérée. Elles semblent provenir d'un déclenchement intempestif des mécanismes du sommeil.
La cataplexie est un des symptômes d'une maladie peu connue, la narcolepsie, qui affecte environ une personne sur 5 000. Elle est caractérisée par une somnolence diurne excessive, des paralysies au moment du réveil, des hallucinations hypnagogiques et des crises de cataplexie chez 80 % des malades. Chez l'homme, cette maladie semble être causée par la disparition d'une sous-population de neurones de l'hypothalamus responsables de la production d'un peptide qui jouerait un rôle important dans la régulation du sommeil et de l'éveil, l'hypocrétine (ou oréxine). La dégénérescence de ces cellules pourrait avoir une origine auto-immune.
Chez la moitié des narcoleptiques faisant de la cataplexie et en l'absence de tout traitement, les crises de cataplexie sont très fréquentes (jusqu'à plusieurs par jour). De faibles doses d'antidépresseurs tricycliques permettent de diminuer le nombre de crises. La fréquence des crises diminue souvent de manière spontanée avec l'âge.
« Les crises de cataplexie déclenchée par le rire et entraînant une perte du tonus musculaire importante ne surviennent que chez les narcoleptiques », précise Emmanuel Mignot, le découvreur du rôle de l'hypocrétine dans l'étiologie de la narcolepsie. Cependant, de nombreuses personnes ne souffrant pas de cette maladie ont l'impression d'avoir les jambes « coupées » lors d'un éclat de rire. Des expériences ont d'ailleurs suggéré que, lorsque nous rions, une diminution de certains réflexes pourrait conduire à une baisse du tonus musculaire, y compris chez les non-narcoleptiques.
Elodie BIET
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