«LES GRANDES MANOEUVRES médicales ont commencé dès la fin 2004, raconte le Pr Gérard Dine. Président de l'Institut de médecine sportive de Troyes et professeur de biotechnologie à l'Ecole centrale de Paris (ECP), il a été l'une des chevilles ouvrières de la cellule scientifique mise en place sous la coordination de Max Godemet, le directeur technique national (DTN) en charge de la préparation Coupe du monde 2007. Ils sont onze à avoir conjugué leurs compétences au service de la préparation médicale des quinze.
Des quinze qui, avant que le sélectionneur ne fasse son office, ont tout d'abord été soixante-dix à suivre le programme scientifique concocté à leur intention. «Naturellement, nous avons travaillé en étroite collaboration avec les médecins des clubs, poursuit le Pr Dine, de manière à assurer la veille médicale, et pas seulement ciblée sur les péripéties traumatologiques, mais en nous intéressant à l'ensemble du dossier médical.»
De la psychosophrologie à la biomécanique.
A chaque regroupement des joueurs au sein du CNR (Centre national du rugby), à Linas-Marcoussis (Essonne), chacun des spécialistes a apporté sa contribution. L'aspect psyscho-sophrologie a été suivi par Jean-Marie Goyheneche, psychologue de l'université de Bayonne, en particulier pour travailler les techniques de relaxation ; l'aspect diététique a été confié au Toulousain Didier Rubio (voir encadré) ; la physiologie générale a été prise en main par le Bordelais Georges Cazorla, en charge d'une batterie de tests réalisés au laboratoire de Marcoussis, et aussi sur piste d'athlétisme ; le biomécanicien Christian Miller (directeur du Team Lagardère à l'Insep) a monitoré la progression de la performance musculaire.
Bien sûr ont aussi été mobilisés, au sein de la cellule, les Dr Thierry Hermerel, médecin fédéral, Christophe Baudot et Jean-Philippe Hager, médecins à la FFR, sans oublier les physiologistes Jacques Quievre (Institut national des sports et d'éducation physique) et Lamia Boussaidi (Bordeaux).
«Nous nous côtoyons depuis près de vingt ans, et cela facilite évidemment les confrontations et les échanges dans nos approches respectives, poursuit le Pr Dine. C'est tout l'intérêt de l'outil que nous avons mis au point ensemble que de nous permettre de corréler toutes nos démarches, d'orchestrer collectivement des expériences fragmentaires.» Cinq étudiants centraliens ont même mis au point un outil informatique unique, un progiciel qui permet d'intégrer tous les paramètres de la performance de chaque joueur, secteur par secteur.
Cette première phase préparatoire médicale a pris fin au mois de mai dernier, permettant au comité de sélection de constituer sur des bases objectives le groupe des 40 joueurs retenus pour se réunir au CNR à partir du 2 juillet. Un groupe qui s'est trouvé réduit à une trentaine de joueurs à partir du 3 août.
« Les gars se sont découennés à fond ».
A Marcoussis, au domaine de Bellejame, dans cet environnement à la fois bucolique et futuriste du sud de l'Essonne, les Bleus ont tout d'abord consacré cinq semaines à la phase de préparation physique intensive, entrecoupées de deux stages, l'un à Val-d'Isère et l'autre à Font-Romeu. «Les gars se sont découennés à fond», commente le directeur des lieux, Antoine Audi, en un néologisme qui dit bien ce qu'il veut dire, s'agissant des heures passées quotidiennement à souffrir sur les machines de musculation. C'est ainsi qu'un Sébastien Chabal (117 kg pour 1,92 m) a pu faire descendre son taux de graisse corporelle au niveau record de 8 % (encadré ci-contre).
Pour rendre plus ludiques les séances, les mannequins de placage, les machines à pousser la fonte et tout le circuit training avaient été descendus de la salle de musculation vers un stade synthétique ombragé par un gigantesque auvent monté sur des piliers d'aluminium, les séances de balnéothérapie avec jet à haute pression entrecoupant les exercices, avec passages réguliers au laboratoire de physiologie de l'effort (exploration isocynétique, ergomètre, VO2 Max, mesure de poussée dynamique), toujours sous contrôle médical vigilant.
Un mois durant, le bloc des qualités explosivité-vitesse-puissance, comme dit le DTN Max Godemet, prioritaire dans le jeu moderne pour donner plus d'impact aux placages, percussions, luttes et poussées, associé à la vitesse des déplacements, a pu être porté au maximum des capacités athlétiques. Durant cette phase intensive, le suivi cardiologique a été réalisé avec le recueil continu de la fréquence cardiaque, intermédiaire entre les actions et leurs répercussions physiologiques. La filière aérobie a également été développée lors de cet entraînement, pour accélérer la vitesse de récupération lors des actions très courtes et très intenses du match (combat, course...). «Cette récupération en cours de match est aujourd'hui cruciale, souligne le DTN, alors que l'évolution du jeu la réduit à des délais de plus en plus courts, les phases d'efforts qui mobilisent des masses musculaires importantes, à l'inverse, se faisant de plus en plus longues.» Aujourd'hui, les durées individuelles de jeu progressent : de 18 minutes pour les ailiers à 35 minutes pour les avants.
Entraînement technique et mental.
A partir du 6 août, les trente sont entrés dans la phase dite de préparation technique : exercices d'entraînement à la manipulation, aux appuis, aux attitudes au contact, à la défense. Séances de vidéo, avec utilisation des logiciels d'analyse des rencontres, pour identifier les nouvelles exigences du jeu selon les styles des équipes adverses, mettre au point parades et innovations. Et, bien sûr, matchs préparatoires (deux contre l'Angleterre, un contre le Pays de Galles, trois succès). Tout au long de l'été, la préparation mentale ne s'est pas relâchée, axée sur la responsabilisation et l'autonomisation des joueurs, pour leur permettre de mieux identifier leur fonctionnement en situation limite et de mobiliser toutes leurs ressources psychologiques.
Cette préparation ne relève pas bien entendu du seul « psy ». Toute l'organisation matérielle de la « maison des Bleus » a été conçue pour contribuer à la sérénité des trente, au long des deux mois de l'avant-Mondial. Dans la résidence du XV de France, à l'abri d'une futaie d'arbres séculaires, ils bénéficient de vastes chambres niveau trois étoiles, en rez-de-jardin. Un immense salon lumineux jouxte le bar, avec des fauteuils clubs de cuir rouge sur d'épais tapis afghans. Sauna, Jacuzzi, piscine, balnéo sont à la disposition des joueurs.
Les jeudis après-midi, l'équipe a quartier libre. Pour varier les plaisirs, en plus du tennis, Fabien Pelous et Christophe Dominici, qui s'expriment comme les délégués du groupe, ont demandé des cannes à pêche ; les deux étangs de Bellejame, qu'alimente la Salmouille, un affluent de l'Orge, ont même été rempoissonnés et une dizaine de joueurs viennent régulièrement taquiner la perche, entre deux séances de ruck (mêlée spontanée).
Pour maintenir le lien familial, enfin, toutes les chambres ont été équipées de webcam.
«Entre les trente, l'ambiance est très conviviale, observe Antoine Audi. A la différence du foot qui est un sport très individuel, l'esprit d'équipe règne entre joueurs, qui fait que le groupe régule et écrête les individualités. Au rugby, vous ne pouvez briller que si un équipier vous donne le ballon et à condition que ce ne soit pas au moment où vous risquez de vous faire massacrer par l'équipe adverse. Le jeu personnel n'existe pas.»
Les trente sont à présent entrés dans la phase fatidique de la Coupe du monde, entièrement concentrés sur les prochains matchs. Un seul dérivatif a été programmé, qui se déroulera après la rencontre contre l'Irlande, le 21 septembre : les épouses et les compagnes pourront accéder à Bellejame, et un grand barbecue sera organisé le lendemain sur les pelouses du CNR. Mais les troisièmes mi-temps sont bannies, à tout le moins limitées à quatre ou cinq bières au retour des matchs, comme ce fut après la victoire sur le Pays de Galles, le 26 août. «L'affûtage physiologique, commente le Pr Dine, a été poussé à un tel degré qu'en une seule soirée les joueurs risqueraient de perdre pour plusieurs jours le bénéfice de toutes ces semaines de préparation.»
Les médecins préparent déjà la relève
Non loin de la résidence du XV de France, le service médical du CNR (Centre national du rugby) accueille cette semaine les 26 nouveaux stagiaires de l'équipe du pôle France. Des joueurs de moins de 19 ans qui vont passer ici une année. Issus des dix pôles espoir gérés par la fédération, ils vont partager leur temps entre leur scolarité, le matin, et l'entraînement l'après-midi, avec pour objectif, à l'issue de cette année, d'intégrer l'Equipe de France ou un club professionnel. C'est le Dr Jean-Jacques Rande, médecin du sport, présent à mi-temps au CNR depuis son ouverture, en 2002, qui se charge de leur suivi médical, avec une infirmière à temps plein et un kinésithérapeute à mi-temps. «Naturellement, nous mettons l'accent sur la prévention, explique-t-il, en veillant à l'éducation médico-sportive de ces futurs champions. Nous les mettons évidemment en garde contre les substances interdites, mais pas seulement, nous leur signalons aussi les risques qui peuvent être liés à des produits autorisés, mais aux effets non anodins, comme les compléments alimentaires.»
Les 26 stagiaires bénéficient comme leurs aînés du suivi médical longitudinal, qui les astreints durant l'année à six examens biologiques, une épreuve maximale d'efforts sur tapis roulant ou bicyclette ergométrique, une échographie cardiaque ainsi qu'à un examen traumatologique complet.
L'ensemble de ces données figureront dans le futur passeport santé du joueur. «Il n'est pas seulement destiné à détecter des anomalies caractéristiques de prises de produits dopants, souligne le Dr Rande, mais il va lui fournir les moyens de gérer son capital santé, dès ses débuts et tout au long de sa carrière sportive.»
Une spécificité rugbystique française, en attendant que d'autres fédérations, en France et dans le monde, suivent ce bon exemple.
De plus en plus grands et de plus en plus lourds
La direction technique nationale de la FFR (Fédération française de rugby) alimente des banques de données qui confirment la tendance : les gabarits des joueurs ont très sensiblement augmenté depuis un quart de siècle, avec une prise de poids moyenne, selon les postes, de 11 à 19 kg. Actuellement, hormis les demis de mêlée, les poids moyens oscillent entre 83 et 112 kg, pour des tailles comprises 1,80 m et 1,96 m. Cette tendance observée chez les professionnels retentit chez les amateurs : les petits gabarits désertent le rugby au profit de sports collectifs qui leur sont plus accessibles.
Des menus étudiés
«Le repas est un moment de convivialité capital dans le bon fonctionnement de la vie d'un groupe, souligne le Dr Thierry Hermerel, le médecin fédéral, mais la diététique fait aussi partie intégrante de la préparation des Bleus.»
Membre de la cellule scientifique Coupe du monde FFR, le diététicien Didier Rubio (CHU de Toulouse) est arrivé à la fin 2004 à Marcoussis. Il élabore les menus des Bleus en concertation avec le chef, Bruno Maudouit.
Hyperprotéinés en juillet pour assumer la préparation physique intensive, les menus se sont orientés depuis le mois d'août vers un régime dit de compétition : «Le challenge, explique Didier Rubio, c'est de ne pas lasser tout en apportant l'énergie nécessaire à un sportif de haut niveau grâce à l'alimentation habituelle.»
Les joueurs ont parfois droit à des menus « gastronomiques », comme au retour de leur victoire à Cardiff, le 26 août : crudités, pain épais avec fromage blanc frais et jambon de Bayonne, salade et lentilles, jarret de porc au miel, gratin de riz avec tomates basilic, haricots verts persillés avec poêlée de légumes, salade verte, yaourt et salade de fruits exotiques.
La prouesse du diététicien toulousain, c'est de parvenir à concocter de tels menus en veillant à ce que, comme il le garantit, «le repas soit équilibré, que les convives mangent de tout ou pas».
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