DE NOTRE CORRESPONDANTE
LE STRESS chronique peut, chez certaines personnes, induire une prise de poids ; cela, pas seulement parce qu'elles mangent davantage ou font moins d'exercice. Sous l'effet du stress, l'organisme semble conserver plus de gras en particulier au niveau de l'abdomen. Or cette obésité « androïde » conduit au syndrome métabolique et majore considérablement le risque de maladies cardio-vasculaires et de diabète.
Si des données suggèrent que le stress et l'obésité sont liés au contrôle hypothalamique de la prise alimentaire et du métabolisme, on sait peu de chose sur les mécanismes périphériques par lesquels le stress affecte l'adiposité.
«Cette étude est la première à montrer que le stress a un effet direct sur l'accumulation de la graisse, le poids et le métabolisme», souligne dans un communiqué Lydia Kuo (Georgetown University, Washington DC), première signataire de ce travail publié dans « Nature Medicine ». « Le gain de graisse médié par le stress pourrait n'avoir aucune relation avec le cerveau et pourrait n'être en fait qu'une réponse physiologique du tissu adipeux. »
L'équipe de chercheurs américains, slovaques et australiens, dirigée par Zofia Zukowska (Georgetown University), s'est intéressée au rôle que pourraient jouer le neuropeptide Y (NPY) et ses récepteurs Y2 (NPY2R) dans le tissu adipeux. Le neuropeptide Y (NPY) est produit dans le cerveau ainsi que par les nerfs sympathiques. Ce peptide stimule puissamment la prise alimentaire (action orexigène), en particulier celle riche en glucides.
Quelques études ont également indiqué que le neuropeptide Y (NPY) pourrait aussi avoir des actions antilipolytiques.
Obésité abdominale en deux semaines, syndrome métabolique en trois mois.
Les chercheurs ont exposé des souris à différentes formes de stress chronique (deux semaines). Ils ont observé que certains stress, comme l'exposition au froid ou l'exposition à une souris agressive, élèvent les taux sanguins de NPY ; en revanche, le stress d'évitement de l'eau ne modifie pas les taux de NPY. Lorsque le stress est combiné à une alimentation normale, les souris ne prennent pas de graisse abdominale.
Mais, lorsqu'il est combiné à un régime gras-sucré, les souris stressées par le froid ou l'agressivité (mais pas celles stressées par l'évitement de l'eau) accumulent de la graisse abdominale.
«Ces souris accumulent deux fois plus de graisse que prévu, et tout se concentre dans la région abdominale», précise dans un communiqué Lydia Kuo. Le stress lié au froid (ou à l'agressivité) combiné à un régime riche stimule également l'expression du NYP et de ses récepteurs Y2 (NPY2R) dans la graisse abdominale.
La libération de NPY et l'activation des NPY2R stimulent l'angiogenèse dans le tissu adipeux ainsi que l'infiltration des macrophages et la prolifération et la différenciation de nouveaux adipocytes.
Cela entraîne une obésité abdominale en deux semaines, et des symptômes du syndrome métabolique après trois mois (intolérance au glucose, hyperlipidémie, hyperinsulinémie, stéatose du foie et des muscles, hypertension).
Lorsque le NPY est injecté dans la graisse abdominale sous-cutanée, on peut observer une augmentation locale de 50 % du tissu adipeux chez la souris (obèse ou mince).
L'inhibition des récepteurs NPY2R soit pharmacologique (injection locale d'un antagoniste), soit génétique (K. O. général ou ciblé à la graisse), est antiangiogénique et antiadipogénique, et réduit l'obésité abdominale ainsi que les anomalies métaboliques.
Les glucocorticoïdes (corticostérone), augmentés par le stress et par le régime gras-sucré, activent l'expression adipeuse du NPY et des NPY2R et jouent donc un rôle dans l'exacerbation par le stress de l'obésité induite par le régime riche. «En utilisant des modèles animaux, chez lesquels nous avons bloqué le récepteur Y2 ou enlevé le gène dans le tissu adipeux abdominal, nous avons montré que les souris sous régime riche ne deviennent pas obèses. Plus surprenant encore, les changements métaboliques néfastes liés au stress et au régime riche ont été nettement atténués. Nous ne savons pas encore exactement par quel mécanisme, mais l'effet est remarquable», déclare le Pr Zofia Zukowska.
Traiter ou prévenir l'obésité.
Selon leurs études préliminaires, le système adipogénique NPY-NPY2R est aussi présent chez les primates non humains, et de nombreuses données suggèrent qu'il est également actif chez les humains.
«Le même mécanisme pourrait survenir chez les humains», ajoute le Pr Zukowska. «Une accumulation de stress chroniques, comme des désaccords avec son patron, la prise en charge d'un enfant chroniquement malade, ou des accès répétés de rage au volant, pourraient agir au fil du temps comme un amplificateur d'un régime hypercalorique. La dépression pourrait aussi agir comme un stress. »
Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives pour traiter ou prévenir l'obésité et le syndrome métabolique. «Jusqu'ici, l'industrie pharmaceutique s'est concentrée sur les anorexigènes (supprimant l'appétit), avec un succès qui n'est que modéré», commente un autre signataire de l'étude, le Pr Herbert Herzoz (Garvan Institute of Medical Research, Sydney en Australie).
«Nous espérons que, dans un proche avenir, en utilisant les résultats de notre recherche, les compagnies pharmaceutiques développeront des antagonistes contre le récepteurY2 qui permettront de réduire le tissu adipeux.»
Ces résultats offrent également une nouvelle méthode pour le remodelage graisseux dans le domaine de la chirurgie plastique, reconstructrice ou esthétique. Ce pourrait être d'ailleurs là l'application clinique la plus rapide de ces résultats ( cf. encadré).
« Nature Medicine », 1er juillet 2007, DOI : 10.1038/nm1611.
Chirurgie plastique, reconstructrice ou esthétique
L'injection d'antagonistes du NPY-NPY2R pourrait faciliter la rétention de greffons graisseux autologues pour un rajeunissement facial, une augmentation des seins, des fesses ou des lèvres, et dans le cadre d'une reconstruction du visage.
Inversement, l'injection d'antagonistes NPY2R pourrait être utilisée pour éliminer, sans chirurgie, de la graisse indésirable. «C'est le premier mécanisme bien décrit que l'on trouve qui peut éliminer efficacement la graisse sans avoir recours à la chirurgie», souligne le Dr Stephen Baker, cosignataire.
Le Dr Roxanne Guy, présidente de la Société américaine des chirurgiens esthétiques, est aussi enthousiaste, mais convient que des recherches supplémentaires sont nécessaires pour savoir comment ces résultats s'appliquent à l'homme. «Une méthode de remplissage naturel durable des rides et une méthode non chirurgicale, scientifiquement étudiée, pour faire fondre la graisse pourraient entraîner une révolution: le fait de vieillir avec grâce», estime- t-elle. «Cette découverte pourrait aussi avoir des implications pour les interventions de chirurgie plastique reconstructrice sur le visage et les seins. »
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