La XIIe Conférence internationale sur le SIDA et les maladies sexuellement transmissibles en Afrique (CISMA), à Ouagadougou (Burkina), s'est achevée sur un appel à la communauté internationale pour qu'elle subventionne l'accès aux antirétroviraux et soutienne la production locale de génériques. Mais si l'avenir reste sombre, d'autant que certains dirigeants politiques du continent tardent à s'engager, il est possible de contenir l'épidémie, comme le montre l'exemple du Sénégal, où la prévalence de l'infection est depuis 1988 contenue autour de 1,4 %.
De notre envoyée spéciale
LE QUOTIDIENLes experts sénégalais semblent avoir très précocement pris la mesure avec l'épidémie. Quelles en sont les raisons ?
Dr IBRAHIMA NOYE
Dès 1978, le gouvernement sénégalais m'a nommé à la tête d'un programme de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles. Nous avons à cette occasion mis en place un suivi, par un fichier sanitaire et social mis à jour mensuellement lors d'une consultation, d'une cohorte de professionnelles du sexe.
En 1983-1984, en collaboration avec l'université de Boston, une étude sur l'infection à VIH de cette cohorte a permis sa participation à la découverte du VIH2.
Un comité d'experts pluridisciplinaire (biologistes, cliniciens, vénérologues, hématologues), dans lequel Awa-Marie Coll-Seck, professeur de maladies infectieuses et actuelle ministre de la Santé, a joué un rôle essentiel, s'est adressé directement au président de la République Abdou Diouf, afin de lui transmettre des informations sur les dangers potentiels de l'épidémie. Dès le 29 octobre 1986, avant même la mise en place du programme OMS, nous avons décidé d'effectuer un test systématique de dépistage sur tous les dons de sang. C'est la collaboration entre les moyens locaux et les fonds alloués par la coopération française qui nous ont permis de mettre en place ce programme.
Des comités régionaux de lutte ont été mis en place en 1988. Nous avons aussi bénéficié de l'aide précieuse de certaines organisations non gouvernementales et en particulier d'ENDA Tiers monde. Un travail de perception du port du préservatif a été entrepris. Nous nous sommes, à cette époque, heurtés à des oppositions religieuses - la contamination étant directement reliée au péché. Un dialogue a été instauré avec les autorités religieuses (95 % de musulmans, 4 % de chrétiens et 1 % d'animistes dans le pays) et un partage du travail de responsabilisation des comportements a été décidé. Si dans leurs prêches, les imams abordaient les questions de l'abstinence et de la fidélité, l'information sur le port du préservatif a été laissée aux médecins. Sur le plan local, le message de prévention a été relayé par au moins 200 associations communautaires.
Un vaccin comportemental
Les programmes de prévention sont-ils toujours d'actualité ? Nous avons rapidement compris que l'accès au traitement et au vaccin prendrait de nombreuses années. C'est pour cette raison que nous avons choisi une politique de « vaccin comportemental » qui a toujours été soutenue par le gouvernement. L'information est donnée aux adolescents dans le cadre du programme scolaire et des semaines nationales d'information (Semaine à l'occasion de la journée mondiale contre le SIDA, Semaine femmes et SIDA, Semaine jeunes et SIDA) sont organisées.
Depuis 1988, le taux de prévalence reste constant (10 à 12 % contre 50 à 80 % dans les autres pays africains) chez les professionnelles du sexe. Outre une consultation mensuelle, des préservatifs sont mis à la disposition de ces femmes et des séances d'informations spécifiques (« des causeries ») sont organisées.
En 1998, avant même la baisse du prix de ces médicaments, des programmes pilotes de distribution ont été organisés. Dans le contexte actuel de baisse des prix et en se fondant sur notre infrastructure décentralisée de soins, nous pouvons envisager des actions de distribution plus larges, étape indispensable avant le « passage à l'échelle ».
Vers des traitements adaptés au contexte africain
L'équipe franco-sénégalaise du site ANRS (Agence nationale de recherche sur le SIDA) de Dakar a mis en place, en novembre 1999, une étude d'évaluation de stratégie médicamenteuse originale : une trithérapie ne contenant pas d'antiprotéase et absorbée en une prise unique quotidienne, le soir, au coucher. Le traitement associe deux inhibiteurs de la transcriptase inverse (ddI et 3T) à l'efavirenz, un inhibiteur non nucléosidique. Les 40 patients inclus (autant d'hommes que de femmes) étaient tous gravement infectés pour le VHI, 45 % d'entre eux étaient à un stade avancé de la maladie avec une charge virale élevée (en moyenne 350 000 copies/ml) et un taux de CD4 bas (en moyenne 169/mm3).
Au 15e mois de surveillance, les résultats sont très satisfaisants, « équivalents, voire supérieurs à ceux d'une trithérapie conventionnelle », précise Roland Landman (Institut de médecine et d'épidémiologie africaine, Paris). En effet, le taux de CD4 a augmenté de 200/mm3 en moyenne. Par ailleurs, on a assisté à une baisse de la charge virale (92 %) pour les patients ayant une charge virale de moins de 500 copies/ml et 69 % de moins de 50 copies/ml. « L'observance était très élevée, bien que 50 % des patients aient caché à leur entourage leur séropositivité et leur traitement », précise Roland Landman.
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