DANS LES PAYS d’Afrique et d’Asie bordant l’océan Indien, des épidémies de chikungunya sont régulièrement signalées, mais c’est la première fois que la maladie a atteint l’océan Indien et un pays médicalement très développé comme la Réunion. Les formes habituelles, telles que décrites dans la littérature, prennent le plus souvent une allure grippale ou dengue-like, algo-éruptive, parfois accompagnée d’arthralgies importantes et récidivantes. Aucune notion particulière de complications et de mortalité n’avaient jusqu’à présent été rapportées ni chez l’adulte ni chez l’enfant. « Les premiers cas sont survenus dans l’île de la Réunion au mois de mars 2005 dans la région nord, à Saint-Denis. En raison de l’existence récente d’une épidémie aux Comores (début 2005) et à l’île Maurice et de la présentation clinique habituelle des malades, le diagnostic a pu rapidement être établi en adressant les prélèvements microbiologiques aux laboratoires de référence de France métropolitaine: centre national de référence de Lyon (institut Pasteur) et institut de médecine tropicale du service de santé des Armées de Marseille », explique le Dr Marie-Christine Jaffar, microbiologiste au centre hospitalier Félix-Guyon, à Saint- Denis. Les changements climatiques survenant au cours de l’hiver austral (juillet, août) laissaient présager une diminution nette du nombre des cas, comme lors de l’épidémie de dengue de 2004. « Pourtant, dans le service de réanimation du centre hospitalier de Saint-Denis, deux cas de méningo-encéphalite ont été détectés en juin et juillet 2005: il s’agissait d’une jeune femme de 24ans et d’un homme de 75ans sans antécédents particuliers. A la ponction lombaire, le LCR était clair. Nous avons donc demandé des recherches virales et traité les patients par aciclovir pensant qu’il pouvait s’agir d’infections herpétiques. Plusieurs jours après l’admission et en raison de la négativité des sérologies habituelles, nous avons évoqué la possibilité d’une infection par le virus chikungunya et cette hypothèse a été confirmée par le présence d’IgM dans le LCR », explique le Dr Gaüzère. Les deux patients ont survécu sans séquelles.
A partir de la fin octobre, l’épidémie a resurgi dans la région du sud, du sud-ouest, dans les villes de Saint-Louis et Saint-Pierre. A Saint-Denis, au début du mois de décembre, une personne souffrant d’une syndrome de Guillain-Barré – qui a secondairement été mis sur le compte du chikungunya, a été hospitalisée en réanimation. « Puis, au cours du même mois, quelques cas d’hépatite d’allure virale grave à fulminante, ont été admis dans le service. Si, dans un premier temps, ils ont été mis sur le compte d’une surconsommation alcoolique habituelle en fin d’année, le nombre était néanmoins plus important que les années précédentes. Les sérologies chikungunya sont revenues positives. Quelques patients sont décédés et d’autres ont été adressés en métropole afin de pratiquer une greffe hépatique en urgence. Chez deux tiers des patients, on note une combinaison d’infection par le virus, de prise de paracétamol (avec paracétamolémies néanmoins inférieures au seuil toxique) et d’hépatopathie éthylique avancée », analyse le Dr Gaüzère. Dans les trois services de réanimation de l’île, une cinquantaine de personnes ont été hospitalisées pour une décompensation d’un état pathologique antérieur avancé (insuffisance rénale chronique, OAP, insuffisance respiratoire chronique). L’imputabilité au chikungunya était, dans ces cas, plus difficile à établir : si on peut affirmer que le patient a été récemment infecté par le virus, les décompensations ont été précipitées par la tachycardie, la déshydratation ou les surinfections bactériennes. A la mi-févier 2006, la moitié des 16 lits de réanimation polyvalente adulte était occupée par de tels patients.
Une fréquente co-morbidité.
Au 15 avril 2006, 120 patients avaient été admis pour chikungunya dans les trois services de réanimation de l’île : 13 enfants de 10 jours à un an, 3 sujets âgés de 5 à 14 ans, 42 de 15 à 64 ans et 62 plus de 65 ans. Dans 84 cas, l’analyse du dossier médical a confirmé l’existence d’une co-morbidité. « Au total, 41de ces 120patients sont dans un des services de réanimation. Le nombre de décès directement attribuable au chikungunya est difficile à apprécier précisément, il semblerait que la plupart des décès soit liés à l’existence d’une forte co-morbidité préexistente. On admet qu’à l’heure actuelle moins d’une forme grave a été recenséesur mille cas », continue le Dr Gaüzère.
« Des cas atypiques ont été signalés chez les adultes: arthralgies invalidantes, oedème des articulations, reprises fébriles, acutisation de dermatoses préexistantes, purpura, éruption bulleuse ou hyperpigmentation. Certaines de ces complications sont à l’origine de véritables syndromes dépressifs chez des personnes prédisposées ou non.»
En période materno-foetale, trois fausses couches du deuxième trimestre sur 1 600 grossesses ont été confirmées biologiquement (PCR positive chez l’enfant), de décembre 2005 à février 2006. Lorsque l’accouchement se produit en période virémique (une semaine après le début de la maladie), on admet que 50 % des enfants sont symptomatiques, et que 10 % d’entre eux relèvent d’une prise en charge en service de réanimation, avec un seul décès attribué au chikungunya. Un suivi des enfants atteints – recherche de troubles cognitifs ou de malformations physiques – est actuellement effectué et il devrait durer plusieurs années. Il semblerait que tous les enfants aient récupéré de leur infection et les examens IRM, pathologiques dans les suites de la naissance, sont désormais normaux.
Chez les moins de 10 jours – formes materno-néonatales – ont été recensés 37 cas, dont 12 méningo-encéphalites, 5 atteintes cutanées sévères, 16 syndromes algiques sévères (dont un nombre important d’arthrites temporo-mandibulaires rendant impossible l’alimentation).
Chez l’enfant, les pédiatres réunionnais ont noté des atteintes cutanées sévères de type syndrome de Lyell et apparentés (avec ou sans prise d’Ains). Dans le sud de l’île, 9 % des enfants présentaient des atteintes cutanées supérieures à 10 % (épidermolyse bulleuse) sans lien significatif entre la prise d’Ains et l’apparition des signes cutanés. Chez 60 à 80 % des enfants, des bulles de petite taille pouvaient être détectées par un examen clinique soigneux. Une dizaine d’enfants ont été atteints de formes cutanées sévères – dermatoses ou épidermolyse bulleuse –, la moitié d’entre eux ont dû être hospitalisés dans des services de grands brûlés. « Aujourd’hui, on dispose à la Réunion de tous les moyens de diagnostic du virus et plusieurs programmes de recherche clinique sont en cours ou vont être conduits dans un proche avenir:génomique, phylogénétique, immunophénotypage, immunologie, épidémiologie et thérapeutique», conclut le Dr Jaffar-Bandjee.
D’après un entretien avec les Drs Marie-Christine Jaffar-Bandjee et Bernard-Alex Gaüzère, Centre hospitalier départemental de Saint-Denis.
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