DES TRAVAUX américains apportent un nouvel éclairage sur les mécanismes de l’oncogenèse induite par l’amiante. Yang et coll. ont en effet démontré que le facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-alpha) joue un rôle central dans le processus qui conduit la transformation des cellules mésothéliales humaines en cellules tumorales en présence d’amiante. Cette découverte pourrait conduire à la mise au point de nouvelles stratégies préventives et curatives, ciblant le TNF-alpha, son récepteurs ou encore les protéines de signalisation cellulaire qu’il active.
Paradoxe.
Les mécanismes impliqués dans le développement des mésothéliomes après une exposition à l’amiante étaient jusqu’ici très mal compris. In vivo, il a été observé que des macrophages accumulés dans les poumons et la plèvre phagocytent les fibres d’amiante, puis libèrent du TNF-alpha, d’autres cytokines et différentes espèces réactives de l’oxygène potentiellement mutagènes. In vitro, des études conduites sur des cellules mésothéliales humaines en culture ont montré que l’amiante est extrêmement cytotoxique : il n’induit pas de transformation oncogène, mais provoque une mort cellulaire massive.
Ces deux observations semblent paradoxales : comment l’amiante peut-il induire le développement d’un cancer s’il tue les cellules mises en sa présence ? Comme l’ont brillamment démontré Yang et coll., la solution à cette énigme fait intervenir l’activité du TNF-alpha. L’amiante induit la synthèse de cette cytokine qui va favoriser la survie des cellules, leur permettant ainsi de muter et de se multiplier pour donner une tumeur.
Diverses données accumulées depuis le début des années 1990 ont poussé Yang et coll. à s’intéresser au rôle du TNF-alpha dans le développement des mésothéliomes induits par l’amiante : il a pu être établi, dès 1993, que les fibres d’amiante les plus carcinogènes sont celles qui entraînent les plus importantes libérations de TNF-alpha. De plus, des souris génétiquement modifiées pour être dépourvues du récepteur à la cytokine ne développent pas de lésions prolifératives lorsqu’elles sont exposées à l’amiante. Enfin, l’exposition de cellules mésothéliales humaines en culture à des fibres d’amiante bleu (ou « crocidolite », la forme la plus oncogène de l’amiante) provoque une surexpression des gènes codant pour le TNF-alpha et son récepteur R1.
Yang et coll. ont alors recherché comment se manifestait l’activité de la cytokine surexprimée sur des cellules exposées à l’amiante. Le TNF-alpha peut en effet conduire à l’activation de diverses voies cellulaires aux fonctions très diverses, certaines favorisant la survie cellulaire alors que d’autres entraînent l’apoptose.
En traitant des cellules en culture avec du TNF-alpha avant de les mettre en contact avec les fibres d’amiante, les chercheurs ont pu observer une inhibition de la cytotoxicité de l’amiante. La cytokine semble donc agir en protégeant les cellules mésothéliales.
L’activation de NF kappa B.
Des expériences complémentaires ont permis d’établir que ce phénomène passe par l’activation de la voie de signalisation cellulaire NF kappa B : lorsqu’un inhibiteur (chimique ou ARN interférent) de la voie NF kappa B est ajouté à la culture, l’effet cytoprotecteur du TNF-alpha disparaît et l’amiante induit la mort des cellules.
L’ensemble de ces données a conduit Yang et coll. à proposer le modèle suivant : In vivo, en présence d’amiante, les macrophages et les cellules mésothéliales produisent une importante quantité de TNF-alpha qui va activer la voie de survie cellulaire NF kappa B.
Par ailleurs, l’amiante va entraîner l’apparition de lésions dans l’ADN des cellules mésothéliales. Théoriquement, ces cellules devrait alors arrêter de se diviser et entrer en apoptose. Mais, par son effet sur la voie NF kappa B, l’amiante va favoriser la prolifération de ces cellules et conduire au développement de tumeurs.
Ce modèle suggère que l’utilisation de traitements ciblant la voie du TNF-alpha ou celle de NF kappa B pourrait permettre de prévenir l’apparition ou d’induire la régression des cancers liés à l’exposition à l’amiante.
H. Yang et coll., « Proc Natl Acad Sci USA », édition en ligne avancée.
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