C'EST L'HISTOIRE d'une décennie de «francs dérapages», avec aujourd'hui «une véritable épidémie de refus de renouvellement des titres de séjour pour raison médicale». Une histoire que racontent les organisations membres de l'ODSE (Act-Up, AIDES, CIMADE, COMEDE, Médecins du monde, Association Primo-Levi, Sida Info Service, Solidarité Sida…). L'esprit de 1998, celui d'une loi qui fut pionnière en Europe, semble appartenir au siècle précédent. Les unes après les autres, les mauvaises pratiques se sont enkystées dans le quotidien des préfectures, accuse l'ODSE. C'est un rapport de l'IGA (Inspection générale de l'administration), le rapport Escoffier, qui a donné le signal de l'hallali en 2002. Il désignait le droit au séjour pour raison médicale comme «la faille majeure du système», développait une rhétorique de la suspicion et fustigeait la complaisance à l'égard des «faux malades». Un fantasme qui a la vie dure, proteste l'ODSE.
Depuis, les attaques se sont succédé, d'abord sous forme de textes réglementaires et législatifs :
– circulaire Sarkozy du 19 décembre 2002, qui exprime des soupçons sur les médecins traitants et les MISP (médecins inspecteurs de santé publique) chargés d'instruire les dossiers ;
– circulaire Sarkozy du 12 janvier 2003, qui s'en prend aux «graves dérives» et demande à ne régulariser les patients que de façon «exceptionnelle» ;
– comité interministériel du contrôle de l'immigration du 26 juillet 2005 : élaboration des « fiches-pays » à partir de questionnaires relatifs à l'offre de soins de certaines pathologies, questionnaires envoyés aux médecins des ambassades ;
– loi Hortefeux du 20 novembre 2007 : quand les étrangers malades ne perçoivent pas l'AAH (allocation pour adulte handicapé), ils ne peuvent bénéficier du regroupement familial s'ils ne disposent pas de ressources supérieures au SMIC.
Mais le rapport de l'ODSE fustige surtout les dysfonctionnements administratifs:
– conditions d'accueil dans les services publics déplorables, avec des attentes qui dépassent souvent plusieurs heures, à l'extérieur, sans protection contre les intempéries ;
– exigence d'un certificat médical « non descriptif » à présenter au guichet ; émanant d'un praticien hospitalier ou d'un médecin agréé, il doit préciser que l'état de santé du demandeur remplit les conditions prévues par la loi : «La nécessité d'une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité»;
– violation du secret médical : il arrive que l'agent administratif de guichet ouvre le courrier destiné au médecin inspecteur de santé public ;
– exigence d'un passeport en cours de validité ; la loi de 1998 précisait pourtant que les étrangers malades n'y étaient pas soumis ;
– exigence de produire une adresse réelle ou auprès de certaines structures : de nombreux étrangers sans domicile fixe ne peuvent y satisfaire ;
– ancienneté de la présence en France d'au moins un an : beaucoup de préfectures refusant de délivrer un récépissé de première demande de titre de séjour, les malades étrangers se trouvent dans l'impossibilité de justifier d'une année de séjour sur le territoire français ;
– dépassement des délais d'instruction : alors que «le silence gardé plus de quatre mois sur les demandes de titre de séjour vaut décision implicite de rejet», de nombreuses préfectures observent des délais d'instruction beaucoup plus longs ;
– taxes aux montants prohibitifs : les étrangers malades doivent, pour obtenir la délivrance d'un titre de séjour, acquitter la taxe de chancellerie (120 euros) et la taxe sur le renouvellement du droit au travail (70 euros).
Enfin, le rapport épingle les dysfonctionnements dans les procédures médicales.
La baisse des taux d'accord est particulièrement marquée, constate- t-il, pour les étrangers suivis pour le diabète (surtout dans la Seine-Saint-Denis), l'asthme (Paris et Seine-Saint-Denis), l'hépatite B (Val-d'Oise et Seine-Saint-Denis), ainsi que les maladies cardio-vasculaires (Paris et Val-d'Oise). Or, selon les médecins inspecteurs de santé publique, «la part de ce quirelèverait d'un avis négatif légitime ou de pressions externes plus ou moins explicites, liées à la suspicion permanente de complaisance des avis, reste difficile à établir».
L'ODSE souligne quoi qu'il en soit que, depuis 2002, «les circulaires, lois et travaux préparatoires à la mise en ligne des fiches pays sont tous allés dans le sens d'une lecture restrictive des critères médicaux».
Pour l'observatoire, des pressions sont exercées par les directeurs de DDASS (Direction départementale de l'action sanitaire et sociale), eux-mêmes soumis à la pression des préfets, lesquels se font sermonner pour ne pas avoir atteint les objectifs chiffrés de reconduite à la frontière qui leur avaient été fixés.
L'ODSE estime que, au fil de ces dix dernières années, «le droit au séjour pour raison médicale est devenu, à l'instar du droit d'asile, une variable d'ajustement de la maîtrise des flux migratoires et de la gestion comptable et économique de l'immigration, au mépris du droit à la santé».
Appel à pétition de médecins
Le COMEDE (Comité médical pour les exilés) met en ligne une pétition : «La déontologie médicale est universelle, elle s'applique aussi pour les étrangers malades.»
Les signataires demandent la mise en place d'un dispositif d'information et d'évaluation des médecins qui interviennent dans la procédure des étrangers malades. Ils réclament aussi la suppression de la condition de « médecin agréé » et, en attendant, l'agrément immédiat de tout médecin inscrit à l'Ordre départemental.
Trois cas exemplaires
n Awa Keita, mère d'une petite fille de 6 ans née en France et atteinte de drépanocytose.
n Une Malienne de 48 ans, résidant en France depuis plus de dix ans, atteinte de graves complications liées à son diabète.
n Ahmed Boutahar, Marocain de 62 ans, souffrant d'une insuffisance cardiaque sévère et d'une hépatite C.
Tous trois, à l'invitation de l'ODSE, sont venus expliquer devant la presse que leur retour dans leur pays d'origine mettrait leur vie en danger. Tous trois, au mépris de la loi de 1998, dite loi Kouchner, ne parviennent cependant pas à obtenir le renouvellement de leurs titres de séjour pour motif de santé.
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