Chronique électorale
Au premier tour, près des quatre cinquièmes des Français (et au minimum les trois quarts) se seront prononcés contre le candidat qui l'emportera au second.
On peut nous dire que c'est la règle du scrutin majoritaire à deux tours ; on peut nous dire que beaucoup de votes de protestation résultent de ce que l'électeur ne prend, au premier tour, aucune responsabilité définitive. Il demeure qu'un candidat élu avec le soutien réel et quantifié d'un quart des voix seulement ne se retrouve pas en position de force au moment de gouverner.
On objectera, bien sûr, que les élections législatives feront la différence. Ce sont elles qui décideront de la vigueur ou de la faiblesse du président élu. S'il a une majorité, même de coalition, il dispose d'un mandat incontestable. On n'est pas certain, d'une part, que les Français lui accorderont un tel avantage ; on s'inquiète légitimement, d'autre part, des conflits de tendance au sein de sa coalition - surtout à gauche, où il sera encore plus difficile, pour M. Jospin, de gérer les foucades des Verts et des communistes qui arriveront à l'Assemblée avec des exigences, comme la suppression de l'énergie nucléaire ou l'augmentation des impôts sur les revenus du capital, qui seront inapplicables.
Majorité silencieuse
Il faut l'admettre, les candidats « différents », ceux qui proposent des voies nouvelles, comme Alain Madelin, Jean-Pierre Chevènement et, dans une certaine mesure, François Bayrou, ont raison de s'insurger contre l'attitude des candidats du premier rang qui se comportent comme s'il n'y avait pas de premier tour. Tout se passe comme si Jacques Chirac et Lionel Jospin comptaient sur une sorte de majorité silencieuse qui ne souhaite pas que le prochain gouvernement procède à de profonds changements.
Chaque fois que sont évoquées les réformes indispensables, comme la retraite, la santé, celle de la fonction publique ou celle de l'éducation, les mises en garde pleuvent : les syndicats de travailleurs lancent déjà des ultimatums aux candidats sur un système de retraites qui court à sa perte, mais auquel il ne faut apporter aucune modification, ni hausse des cotisations, ni report de l'âge de la retraite. De sorte que, si les candidats tiennent compte de ces avertissements - et ils en tiennent compte -, la faillite du système est assurée.
Pas question non plus, ni dans le camp de M. Chirac, ni dans celui de M. Jospin, de réorganiser la réduction du temps de travail. Pas question de prononcer le moindre mot qui fâcherait les fonctionnaires, alors que, avec les départs à la retraite, l'occasion est toute trouvée d'en réduire le nombre. Tout juste explique-t-on, du côté de M. Chirac, qu'on procédera à un « redéploiement », façon discrète de dire que, puisqu'on manque de bras à l'hôpital et dans la police ou la gendarmerie, on créera des emplois dans certains services publics au détriment des ronds-de-cuir.
Nous n'entendons pas vraiment le vent du changement siffler à nos oreilles. Et si l'on ne prend pas au sérieux les descriptions cauchemardesques que font de la société française des candidats comme Jean-Marie Le Pen et Christine Boutin, on voudrait bien quand même que nous soient proposées quelques corrections à ces dérives. Sur ce point, M. Jospin apparaît comme l'antidote du pessimisme : son bilan est bon, il est lui-même satisfait de ce qu'il a fait, pourquoi ne pas continuer sur la même voie ? Et M. Chirac ne semble vraiment sombre que lorsqu'il s'en prend au même bilan. Autrement, il a « confiance en la France », capable de se sortir de toutes les ornières et pas d'une manière douloureuse : c'est tout juste si les Français ne pouvaient pas s'autogérer et se passer d'un gouvernement.
Il en faut un, pourtant, et quoi qu'en pensent les électeurs tentés par l'abstentionnisme, ceux qui voient que, même s'ils choisissent M. Chevènement, M. Bayrou, Mme Laguiller ou M. Madelin, il n'y a aucune chance qu'ils les portent au pouvoir. Il en faut un parce que la reconstruction d'une société, tâche de Sysiphe, ne s'arrête jamais. Parce que renoncer à améliorer le fonctionnement d'une société, même si elle ne se porte pas trop mal, c'est priver d'espoir ceux qui méritent une vie décente et ne l'ont pas encore. Et parce que si nous cessons de protester, nous arrêterons en même temps le mouvement, le tropisme, pourrait-on dire, qui nous rapproche d'un peu plus d'égalité et de démocratie.
Les hommes ne comptent pas
S'il est vrai que Lionel Jospin et Jacques Chirac occupent tout le devant de la scène, jamais les hommes eux-mêmes n'ont moins compté. Candidats peu inspirés, ils ont infiniment moins d'importance que ce qu'ils représentent. S'ils se placent délibérément au lieu géométrique de tous les courants, si on discerne mal ce qui les différencie, c'est parce que les enjeux modernes ne sont pas l'image, le charisme et l'art de communiquer, comme on a trop tendance à le croire, mais une orientation vers plus de sécurité, plus d'harmonie, plus de justice. Et peut-être un peu plus de ce rationalisme que la médiatisation à outrance tend à oblitérer.
Nous, les électeurs, serions impardonnables si nous ignorions que, dans un pays démocratique en paix, une politique est tout entière contenue dans les options budgétaires et la fiscalité. Il n'y a rien là qui puisse soulever l'enthousiasme des masses. Mais cet ennui, c'est le prix d'une certaine forme de bonheur, celui de la France par rapport à la misère du monde.
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