Moins de trois semaines auront suffi au Dr Françoise Lalande (inspectrice générale des Affaires sociales) et à son équipe d'experts* pour auditionner les principaux acteurs impliqués dans les différentes étapes de la crise : administration centrale, Institut de veille sanitaire, directions hospitalières, services participant à l'urgence (SAMU, SAU, sapeurs-pompiers), responsables de SOS-Médecins, responsables de services de gériatrie, de maisons de retraite et de services d'aide et de soins à domicile. Sans oublier l'Ordre des médecins, le Centre d'épidémiologie sur les causes médicales des décès et même les spécialistes du Center for Disease Control and prevention (CDC) d'Atlanta.
Incapable d'anticiper
S'ensuit un diagnostic couperet : le rapport décrit l'inadaptation d'un système qui s'est révélé « incapable d'anticiper, d'organiser et de coordonner une réponse adaptée à la catastrophe ». La crise aura agi comme « le révélateur dramatique des difficultés préexistantes du système de soins, et notamment des services d'accueil des urgences et des services accueillant le personnes âgées, ainsi que de la permanence des soins exercée par la médecine libérale ».
Quant aux décès des personnes âgées restées à leur domicile, ils s'expliquent, estime le rapport, par « l'insuffisance de tous les acteurs », mais aussi, à l'échelon local, par « l'absence de repérage de personnes vulnérables ou des personnes vivant seules et par l'incapacité, particulièrement au mois d'août, à mobiliser les acteurs nécessaires. »
Les critiques du rapport Lalande s'articulent autour des deux principaux chapitres que constituent l'alerte et la réaction. La première s'est enlisée dans les « décalages entre la perception des administrations sanitaires et la réalité de la crise ». L'éphéméride de la crise commence par une nouvelle vague de chaleur annoncée par Météo France le 19 juin. Mais c'est le 2 août que démarrent vraiment les fortes chaleurs, la période du 4 au 12 août étant, par son intensité et sa durée, unique dans les annales depuis 1873, début des archives. Or, si le 6 août un médecin inspecteur de santé publique de la DDASS du Morbihan fait le premier signalement de décès par hyperthermie (lire ci-dessous), si le 10 août le Dr Patrick Pelloux évoque « une véritable hécatombe », ce n'est que le 14 août que le Premier ministre, lors d'une réunion interministérielle à Matignon, demande l'extension du plan blanc à l'ensemble du territoire.
Ce décalage entre la réalité et la réaction administrative est à l'origine, accuse le rapport, d'un « manque d'anticipation qui a gêné gravement la compréhension du caractère exceptionnel du phénomène et de ce fait l'adaptation rapide du système ».
Sont visés l'Institut de veille sanitaire, auquel manque une organisation ou un système de prospective solide ; le cloisonnement entre administrations du ministère de la Santé (DGS, DGAS, DHOS), entre ministères et avec les services opérationnels.
La DGS en particulier se serait « épuisée dans la recherche d'information, mais sans réelle efficacité » : son communiqué diffusé le 8 août était « décalé par rapport à ce qu'était déjà la réalité du terrain, à savoir les décès toujours plus nombreux de personnes âgées, et il a été peu relayé par la presse ». Il ne faisait pas, en outre, « référence aux personnes consommatrices de médicaments comme les neuroleptiques, les antiparkinsoniens, les diurétiques, tous produits qu'il eût fallu conseiller d'ajuster ».
Quant au Numéro Vert mis en place à partir du 11 août, non sans difficultés, il recevait le 13 août 5 029 appels, dont 16 % seulement étaient traités.
La baisse du temps médical disponible
Dans ce contexte, la réaction a été aggravée par la période estivale. Dans les hôpitaux, le temps médical disponible était fortement réduit par la mise en uvre de l'ARTT et par l'intégration des gardes dans le temps de travail, en application aux hospitaliers des directives européennes de 1993 et 2000. Se sont donc cumulés les effets délétères de « la diminution des effectifs de personnels présents, la fermeture des lits, l'absence de bon nombre de chefs de service et de seniors, la présence en proportion plus importante de médecins jeunes, moins expérimentés ».
Le rapport épingle la permanence des soins médicaux et salue le travail des médecins présents (notamment au sein des systèmes de permanence des soins organisés), qui « ont accompli leur travail et effectué leurs gardes avec constance pendant la période caniculaire, souvent débordés de travail et faisant face à des situations humaines et sociales particulièrement difficiles. »
De même, les SAMU-SMUR ont fait face à un accroissement très important de leur activité, une situation classique chaque été mais qui a pris cette année un tour dramatique.
Au final, « tous les hommes et femmes qui ont participé à la prise en charge des victimes de la vague de chaleur en tirent aujourd'hui un sentiment de fierté, celui d'être allés aux limites de ce qu'ils pouvaient donner. Cet effort commun a soudé les équipes d'urgence et toute la communauté hospitalière. Le plus souvent rapporté est celui de l'effet fédérateur de cette vague de chaleur. »
Coup de chapeau est donné à « chaque site, (qui), bien que saturé, s'est organisé pour refroidir (draps humides, ventilateurs apportés de tout l'établissement) et réhydrater tous les patients ; mobiliser toutes les ressources humaines disponibles de l'hôpital à leur chevet ; organiser l'accueil initial pour décourager les patients relevant d'une simple consultation de médecine générale sans risquer de méconnaître une urgence vitale ; s'approprier toute salle climatisée susceptible d'accueillir des patients hyperthermiques ; coloniser les services qui avaient des lits disponibles (chirurgie) ; différer tout ou partie des activités programmées ; et activer les réseaux d'aval (cliniques privées, soins de suite et de réadaptation). »
* Pr Sylvie Legrain, chef de service de gériatrie à l'hôpital Bichat, Pr Alain-Jacques Valleron, directeur de l'unité INSERM de recherches épidémiologie et sciences de l'information à l'hôpital Saint-Antoine, Dr Dominique Meyniel, chef du service des urgences médicales de l'hôpital Tenon, avec la collaboration de Maryse Fourcade, inspectrice adjointe des Affaires sociales.
L'UNOF-CSMF « regrette » et MG-France « conteste »
L'UNOF-CSMF trouve « regrettable » que le rapport Lalande mette en cause la permanence des soins libéraux dans la catastrophe sanitaire liée à la canicule.
« Tout au long de l'année, rappelle le syndicat des omnipraticiens, les médecins de famille permettent le maintien de personnes à domicile (de 350 000 à 500 000 au-delà de 70 ans), en effectuant des horaires de l'ordre de 60 heures par semaine. Ils sont aidés en cela par les professionnels paramédicaux libéraux, sociaux et par leurs confrères médecins spécialistes de proximité ou de plateau technique. Tout ce maillage du territoire a aussi bien fonctionné pendant la canicule que tout au long de l'année. »
« Nous contestons les propos » du rapport a déclaré de son côté le Dr Pierre Costes, président de MG-France, affirmant : « Après les familles, ce sont les généralistes les boucs émissaires (...) Le mois d'août n'a aucune raison d'être différent en termes de permanence, par rapport au reste de l'année. Les établissements pour personnes âgées dépendantes disent avoir manqué de bras pour mettre en uvre les prescriptions des médecins généralistes. Ce ne sont donc pas les médecins qui manquaient, mais les personnels pour personnes âgées. »
Des propositions tous azimuts
Le rapport Lalande ne se contente pas de dénoncer les ratages, il multiplie les propositions dans tous les domaines pour que la catastrophe de l'été 2003 ne se renouvelle pas :
- Il faut que l'InVS se réorganise pour créer un système simple et robuste d'alerte basé sur l'activité des services d'urgence et les services météorologiques ; le système d'information sur les décès doit aussi être réformé.
- S'agissant des personnes âgées, il conviendrait de créer des réseaux ville-hôpital gériatriques, d'ouvrir des services de gériatrie dans les hôpitaux de court séjour, de renforcer le plan de médicalisation des maisons de retraite, de recenser les personnes âgées vivant seules ou vulnérables. Il faut aussi valoriser le travail des personnels et rééquilibrer les attributions de postes d'infirmières en faveur de ces services.
- Il est bien sûr essentiel de préparer des programmes d'action « chaleur » inspirés des enseignements tirés de cette crise et des expériences étrangères, et de dresser généralement des plans pour des situations climatiques extrêmes. Il faut également adapter le Plan blanc aux situations d'afflux massif de personnes dans les hôpitaux, hors des situations de catastrophe brutale pour lesquelles il a été conçu.
- Il faut par ailleurs améliorer l'organisation et les moyens des services d'urgence, de façon à ce que les SAU puissent accueillir dignement les personnes âgées et trouver rapidement des lits d'aval adaptés.
- S'agissant de la climatisation, et sans fixer de normes contraignantes, il faut que les établissements (hôpitaux et maisons de retraite) étudient les priorités d'équipement. Simultanément, des études d'ingénierie doivent être menées pour trouver des solutions évitant les risques de légionellose.
- Enfin, il faudrait demander à l'AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) d'étudier les conséquences de certaines prises médicamenteuses et des surconsommations éventuelles.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature