Dans un entretien avec « Time magazine » de la semaine dernière, Jean-Pierre Raffarin déclare : « Ce que nous avons fait jusqu'à présent est énorme. » Et de rappeler les mesures contre l'insécurité, la réforme des retraites et les baisses des impôts et des charges.
Effectivement, les critiques qui sont adressées au gouvernement et viennent de tous les horizons sont un peu injustes. L'équipe du Premier ministre s'est incontestablement attelée à la réforme ; si elle est jugée sévèrement, c'est d'une part, parce que l'opposition souhaite faire des réformes différentes, sinon diamétralement opposées ; et, d'autre part, parce que, au sein de la majorité, il y a ceux, comme à l'UDF, qui réclament plus de cohérence dans l'action gouvernementale (une baisse des impôts directs est curieusement accompagnée d'une hausse des taxes indirectes) et ceux qui trouvent que, en matière de réforme, on ne va pas assez vite.
La philippique de Jospin
M. Raffarin, dans la même interview, balaie d'un revers de la main la chute de sa popularité. Lorsque la reprise économique commencera au début de 2004, annonce-t-il avec certitude, ma popularité remontera. Puis il tient un discours que l'on peut résumer par une phrase comme « les Français sont capricieux et imprévisibles ». Le chef du gouvernement parle avec sagesse. S'il ne peut pas nier quelques contradictions dans son programme qui sont reconnues au sein de même de l'UMP, il peut mettre sur le compte de la critique systématique les jugements sévères de la gauche, à commencer par celui de Lionel Jospin, qui publie, dans « Libération » de lundi, une philippique intitulée « Le temps des mystificateurs », ce qui veut tout dire du crédit que l'ancien Premier ministre accorde à la droite.
Les battus aux dernières élections générales ne sont peut-être pas les meilleurs juges et la résurrection du débat sur les 35 heures rappelle au moins une chose : la gauche a fait des réformes dispendieuses que la droite doit maintenant financer en même temps que le gouvernement actuel doit appliquer son propre programme. Lequel contient des réformes fort impopulaires mais indispensables. Comme le dit le commentateur de « Time »: « Si M. Raffarin est parvenu à agacer tout le monde, c'est sans doute qu'il n'a pas tort. »
Un coup d'arrêt
Ce que le gouvernement a fait jusqu'à présent et, il est vrai, en seulement dix-sept mois de pouvoir, est sans doute « énorme », mais ce n'est pas suffisant du tout. Il y a eu, dès le début de l'été, un coup d'arrêt à la réforme. Celle du système de soins a été différée d'au moins un an, alors que l'assurance maladie accuse un déficit cumulé ahurissant. Celle de la fonction publique se limite au non-remplacement d'un pourcentage relativement faible des fonctionnaires qui partent à la retraite, bien que le nombre de ces départs soit massif et offre une occasion unique de réduire les effectifs. La perspective d'un service minimal dans le secteur public est rejetée par tous les syndicats avant que les discussions n'aient commencé. Même la réforme des retraites, qui n'est financée qu'à moitié, n'a pas été étendue aux régimes spéciaux, les plus anachroniques et les plus coûteux.
Bien que le gouvernement ait eu le dernier mot dans la réforme des retraites, elle n'a été adoptée qu'après une bataille si dure que le gouvernement a voulu donner aux Français le temps de la digérer. D'ailleurs, ils la digèrent si mal que la réforme des intermittents du spectacle s'est rapidement transformée en guerre civile estivale qui a ruiné les manifestations culturelles de l'été. La surmortalité incroyable causée par la canicule n'a sûrement pas contribué à donner à M. Raffarin la vigueur nécessaire pour poursuivre son programme.
En revanche, surprise : non seulement la rentrée a été calme, à l'Education nationale comme dans les transports publics, mais le gouvernement a réussi à faire signer par les syndicats, y compris la CGT, un accord très important sur la formation professionnelle. Par conséquent, suggérer que M. Raffarin est devenu inerte après un an et demi de grande activité est injuste. Il travaille et il progresse.
La rentrée vient de montrer que le danger, depuis la rentrée, est moins social que politique. L'opposition a réussi son travail de sape en mettant en relief les incohérences de la politique fiscale du gouvernement. Du coup, les Français, jamais à court d'une touche de cynisme, se déclarent aussi écurés par la droite que par la gauche. Beaucoup de sondages et de commentaires laissent envisager une répétition des élections de 2002, avec un renforcement des deux extrêmes, au détriment de la gauche et de la droite classiques. C'est à l'occasion des régionales et des européennes (elles auront lieu l'an prochain) que les partis minoritaires peuvent le mieux se placer, grâce au scrutin proportionnel. Compte tenu du désenchantement populaire, on peut craindre, effectivement, que la droite ne fasse un mauvais score. Dans ce cas, aura-t-elle toute la légitimité requise pour engager les réformes de l'Etat, de l'Education et du fisc ?
Une course de fond
M. Raffarin y pense si puissamment que, en bon tacticien, il a transformé le sprint en course de fond. Il reprend son souffle ; la réforme est moins dite que faite, par exemple dans le projet de loi de Finance 2004, dont les lecteurs du Temps de la gestion ont pu déceler les innombrables changements propres à relancer l'investissement et la consommation. Sûrement, celle du système de soins est devenue trop urgente pour pouvoir être différée. C'est peut-être l'aspect le plus vulnérable du programme gouvernemental. Le déficit de l'assurance maladie ne peut pas attendre, d'autant qu'il contribue pour une bonne part au déficit public qui nous vaut tant de difficultés avec la commission de Bruxelles. On pouvait dire que les 35 heures sont responsables du déficit et déclencher une de ces polémiques dont il eût mieux valu faire l'économie, d'autant que la gauche, piquée au vif, entend faire du débat le tremplin de son retour en force. Mais on pouvait se dire de façon encore plus assurée que sans le déficit de l'assurance maladie, nous n'aurions pas dépassé le seuil de 3 % du PIB. Dans ce cas, pourquoi attendre, pourquoi créer un nouvel organisme de réflexion et de proposition, alors que le sujet a été mille fois débattu ? Parce que le déficit ne peut être remboursé qu'avec l'argent des administrés. Que ce soit sous la forme d'un point de plus de CSG, sous la forme d'une hausse des cotisations aux mutuelles, sous la forme d'une augmentation du ticket modérateur, ou sous la forme d'une privatisation partielle du système, le résultat sera le même : les Français devront payer. Et ils paieront après les élections de l'an prochain. Mais pas avant, et voilà pourquoi on a différé cette réforme.
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