Pancréas et thyroïde de l'enfant

Comment deux nouvelles maladies endocrinologiques ont été identifiées

Publié le 24/06/2008
Article réservé aux abonnés
1276167668F_Img332394.jpg

1276167668F_Img332394.jpg

«L'IDÉE de base a été de travailler dans le laboratoire sur les questions que l'on pose à partir des petits patients et des soins qu'on leur procure. Il s'agit donc d'une recherche dite translationnelle, à l'interface entre la biologie fondamentale et la clinique. Celle-ci se fait aussi en coopération avec des équipes qui ont des expertises complémentaires, en particulier l'équipe de généticiens du diabète du PrPhilippe Froguel, à l'institut Pasteur de Lille», explique le Pr Polak.

Depuis une quinzaine d'années, l'intérêt des chercheurs s'est porté sur deux organes d'origine endodermale, le pancréas et la thyroïde. Travaillant sur ces deux organes, ils s'efforcent d'identifier des pathologies qui relèvent d'anomalies de leur développement. «Il faut prendre le terme de développement au sens large et comprendre autant la mise en place de l'organe que son fonctionnement», précise le Pr Polak.

Un diabète qui touche les nouveau-nés et les jeunes enfants

La démarche a permis, il y a une dizaine d'années, de découvrir un nouveau type de diabète sucré, qui touche les nouveau-nés et les jeunes enfants (avec Martine Vaxillaire, dans l'équipe de P. Froguel à Lille, et Hélène Cavé, qui travaille dans le service de biochimie génétique de l'hôpital Robert-Debré à Paris). Et surtout, en 2004, en testant des gènes candidats, potentiellement impliqués dans le fonctionnement du pancréas endocrine, d'identifier une cause génétique à ce type de diabète du sujet très jeune : environ 50 % des cas sont dus à une mutation d'un des deux gènes codant un canal potassique, impliqué dans la libération d'insuline (gènes KCNJ11 [protéine Kir6.2] et ABCC8 [protéine SUR1]). Une découverte qui a eu une répercussion thérapeutique très importante, car ce diabète peut être traité par sulfamide hypoglycémiant, qui justement agit sur les canaux potassiques. Ce médicament est contre-indiqué en pédiatrie mais est utilisé dans le cadre d'essais cliniques à l'hôpital Necker - Enfants-Malades ; il a permis de libérer les enfants des injections d'insuline. La cellule pancréatique n'est pas détruite ici, comme elle peut l'être dans d'autres formes de diabète du jeune enfant, et elle est « réveillée » par la sulfonylurée. On a alors parlé de «la belle insuline au bois dormant», qui est «réveillée par le médicament», sourit le pédiatre chercheur.

L'équipe publie ses découvertes dans le « New England Journal of Medicine ». Les adultes peuvent être porteurs de ce type d'anomalies génétiques, sans traduction clinique, parfois ou plus souvent entraînant un diabète sucré. Sur les arbres généalogiques que les chercheurs ont dressés, on voit nettement des cas retrouvés chez des ascendants adultes des bébés diagnostiqués. «Ce qui montre clairement qu'à travers une maladie rare on peut comprendre une maladie très fréquente.» La transmission est autosomique dominante ; elle pourrait concerner environ un cas sur 200 des diabètes dits de type 2 de l'adulte. On sait que ces sujets n'auront très probablement pas besoin d'autre médicament que de sulfamides hypoglycémiants. «On comprend que, selon les polymorphismes du gène muté codant pour le canal potassique (Kir6.2) ou sa sous-unité régulatrice (SUR1), on peut avoir des situations de progression plus ou moins rapide, du simple facteur de risque pour le diabète en passant par l'intolérance aux hydrates de carbone, conférant un risque si le sujet devient obèse, jusqu'aux formes de diabète sévères.»

Anomalies du développement de la thyroïde

Dans un autre domaine de l'endocrinologie, cette équipe s'est attachée à comprendre les anomalies du développement de la glande thyroïde.

La démarche a été menée à l'inverse de celle consacrée au pancréas : on est parti des cas cliniques et non de gènes candidats au fonctionnement de la glande. «Ainsi, sur des enfants dépistés comme porteurs d'une hypothyroïdie néonatale, on a réalisé des études génétiques pour identifier des nouveaux gènes et tester leur implication dans le développement de la thyroïde.»

Une publication de l'équipe dans le « New England Journal of Medicine » en avril dernier fait état de la découverte de mutations portant sur le gène DEHAL1, entraînant un déficit en dehalogénase, qui est l'enzyme permettant le recyclage de l'iode à partir des iodotyrosines (sous-produits iodés de la synthèse des hormones thyroïdiennes). L'étude portait sur quatre cas. Les mutations, par ailleurs, donnent une hypothyroïdie qui peut passer inaperçue à la naissance, donc ne pas être dépistée dans le cadre du dépistage néonatal et se développer plus tard.

Ces résultats, explique le Pr Polak, sont intéressants car ils donnent lieu à des débouchés thérapeutiques et diagnostiques. Ils peuvent permettre, par exemple, de comprendre si des modifications mineures de la séquence du gène qui code cette enzyme confèrent une plus ou moins grande capacité à récupérer l'iode, en particulier chez la femme enceinte où le foetus est totalement dépendant de la mère pour son apport d'iode.

Par ailleurs, il y a une variabilité phénotypique importante, puisque seule l'hypothyroïdie méconnue pendant les premières années de vie peut donner un retard intellectuel. De plus, l'équipe avait montré que les anomalies de développement de la glande thyroïde sont familiales dans 2 % des cas.

Cette connaissance a permis une prise en charge in utero, avec une surveillance du développement de la glande thyroïde par échographie si un cas existe déjà dans la famille, une situation plutôt exceptionnelle, «c'est un des rares exemples de médecine foetale avec traitement in utero ». En effet, lorsqu'un goitre est visualisé à l'échographie sur un foetus, il est possible de donner l'hormone thyroïdienne par injection intra-amniotique. Si le foetus est en hypothyroïdie, il est ainsi traité de celle-ci.

Cela nous montre la vigueur de cette recherche d'interface entre la clinique et le laboratoire dans le domaine de l'endocrinologie et de la diabétologie de l'enfant.

D'après un entretien avec le Pr Michel Polak, professeur à l'université Paris-Descartes.

> Dr BÉATRICE VUAILLE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8399