PAR LE Dr ASTRID LIEVRE (1, 2) ET LE Pr PIERRE LAURENT-PUIG (1, 2)
LE DÉVELOPPEMENT des thérapies ciblées a ouvert de nouvelles perspectives dans le traitement des cancers. En oncologie digestive, ces thérapies ciblées concernent surtout le cancer colo-rectal (CCR) métastatique, avec le développement des anticorps dirigés contre l'EGFR (cétuximab et panitumumab) et le VEGF (bévacizumab). Cependant, ces thérapies ciblées ne sont efficaces et bénéfiques que chez certains patients. Compte tenu de leur toxicité et de leur coût élevé, l'identification de facteurs prédictifs de réponse constitue un enjeu primordial dans la prise en charge des patients. Alors que les facteurs prédictifs de réponse au bévacizumab ne sont encore qu'au stade de l'évaluation, de grandes avancées ont été, en revanche, faites dans le domaine de la prédiction de la réponse aux anticorps anti-EGFR dans le CCR métastatique.
L'effet antitumoral des anticorps anti-EGFR passe principalement par l'inhibition de l'EGFR à la suite de la fixation du ligand au récepteur (figure). Cela entraîne une inhibition des deux principales voies de signalisation intracellulaire situées en aval que sont la voie Ras/Raf/ MAP kinases (MAPK) et la voie PI3K/AKT, toutes deux impliquées dans les processus de prolifération et de migration cellulaires, d'apoptose et de diffusion métastatique. Le cétuximab peut également exercer son activité antitumorale par l'intermédiaire d'une cytotoxicité anticorps-dépendante ou ADCC (Antibody Dependant Cell Mediated Cytotoxicity), où l'anticorps, via sa fraction Fc, recrute des cellules immunitaires (macrophages, lymphoctes NK) portant à leur surface des récepteurs pour le fragment Fc pour tuer les cellules tumorales exprimant l'EGFR.
Bien que l'expression immunohistochimique de l'EGFR constituait initialement un prérequis à la prescription du cétuximab, il a été démontré, depuis, qu'il n'existe aucune relation entre l'immunomarquage EGFR et la réponse aux anticorps anti-EGFR (1). Il faut également souligner l'existence de cas EGFR négatifs en immunohistochimie ayant répondu au traitement par cétuximab (2), ce qui autorise désormais la prescription des traitements anti-EGFR dans cette situation. Parmi les facteurs prédictifs de réponse aux anticorps anti-EGFR évalués jusqu'à présent, on distingue ceux liés à la tumeur (altérations génétiques somatiques) et ceux liés à l'hôte (polymorphismes génétiques constitutionnels).
Mutations somatiques du gène KRAS.
La présence d'une mutation intratumorale du gène KRAS (35-40 % des CCR) est responsable d'une activation de la voie de signalisation Ras/Raf/MAPK en aval de l'EGFR. L'activation de cette voie devient alors totalement indépendante de la fixation du ligand au récepteur, ce qui explique la résistance aux anticorps anti-EGFR observée en présence de cette mutation dans plusieurs études (3-7). Une étude randomisée de phase III comparant le panitumumab en monothérapie à des soins de confort chez des patients chimiorésistants a également montré l'absence de bénéfice du panitumumab en termes de survie sans progression en cas de mutation de KRAS (8). Une métaanalyse de ces différentes études a évalué la sensibilité et la spécificité des mutations de KRAS pour la prédiction de la non-réponse aux anticorps anti-EGFR à 47 et 93 % respectivement, ce qui rend ce facteur moléculaire hautement prédictif. Plus récemment, la valeur prédictive et pronostique des mutations de KRAS a été confirmée en première ligne métastatique dans deux études randomisées montrant l'absence de bénéfice de l'ajout du cétuximab à une chimiothérapie par FOLFIRI ou FOLFOX en présence de la mutation contrairement aux patients non mutés.
Ces résultats ont conduit à l'enregistrement européen du panitumumab en monothérapie chez les patients chimiorésistants uniquement en l'absence de mutation du gène KRAS, ainsi qu'à l'extension de l'AMM du cétuximab en première ligne métastatique également à la condition de l'absence de cette mutation.
Selon le même principe que pour les mutations du gène KRAS, les mutations activatrices du gène BRAF, situé en aval de KRAS dans la voie de signalisation Ras/Raf/ MAPK et muté dans 10 à 15 % des CCR, ont également été rapportées comme facteur de résistance aux anticorps anti-EGFR (3, 9).
Expression de PTEN et voie PI3K/AKT.
PTEN étant un gène suppresseur de tumeur régulant négativement la voie PI3K/AKT, l'inactivation de PTEN permet d'activer cette voie et peut donc entraîner un échappement aux thérapies anti-EGFR. Une étude a montré que la surexpression immunohistochimique de PTEN était corrélée avec une bonne réponse au cétuximab (10). Ces données ont été confortées in vitro (11) et, récemment, dans une série de 32 patients non répondeurs au cétuximab (12). La détermination de l'inactivation de PTEN comporte cependant des limites compte tenu de la diversité des altérations génétiques à l'origine de cette inactivation, des différentes méthodes par conséquent utilisées et de l'hétérogénéité de ces méthodes.
Nombre de copies du gène EGFR.
Une étude italienne portant sur 31 patients traités par cétuximab ou panitumumab (13) a montré que la présence d'au moins trois copies du gène EGFR était significativement associée à une bonne réponse au traitement. D'autres auteurs ont également rapporté une corrélation entre la réponse au cétuximab, la survie des patients et le nombre de copies du gène EGFR (10, 14, 15, 16).
Malgré ces résultats intéressants, il a été montré que des tumeurs sans amplification ou polysomie du gène EGFR pouvaient répondre au cétuximab (17). Par ailleurs, des résultats discordants sont rapportés, notamment quand la mesure du nombre de copies du gène EGFR est effectuée par une autre technique que la FISH ou la CISH, comme la PCR quantitative en temps réel (6, 18, 19).
Facteurs prédictifs liés à l'hôte.
Parallèlement aux altérations somatiques acquises au cours de la transformation maligne par les cellules tumorales, l'impact de certaines altérations génétiques de l'ADN constitutionnel sur la réponse aux anticorps anti-EGFR a été étudié. Parmi les polymorphismes fonctionnels étudiés, ceux des gènes de l'EGF, de l'EGFR et de la cycline D1 font l'objet de résultats discordants, voire contradictoires, et ce sont finalement ceux des gènes FCGR3A et FCGR2, codant pour deux récepteurs de la portion Fc des immunoglobulines (FcgammaRIIa et FcgammaRIII) impliqués dans l'action antitumorale via l'ADCC des anticorps anti-EGFR, qui apparaissent actuellement les plus intéressants.
(1) INSERM UMR-S775. Université Paris-Descartes. (2) Hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. (1) Cunningham D, et coll. N Engl J Med 2004 ; 351(4):337-45. (2) Chung KY, et coll. J Clin Oncol 2005 ; 23(9):1803-10. (3) Benvenuti S, et coll. Cancer Res 2007 ; 67(6):2643-8. (4) De Roock W, et coll. Ann Oncol 2008 ; 19(3):508-15. (5) Di Fiore F, et coll. Clinical relevance of KRAS mutation detection in metastatic colorectal cancer treated by Cetuximab plus chemotherapy. Br J Cancer 2007 ; 96(8):1166-9. (6) Khambata-Ford S, et coll. J Clin Oncol 2007 ; 25(22):3230-7. (7) Lievre A, et coll. J Clin Oncol 2008 ; 26(3):374-9. (8) Van Cutsem E, et coll. J Clin Oncol 2007 ; 25(13):1658-64. (9) Cappuzzo F, et coll. Br J Cancer 2008 ; 99(1):83-9. (10) Frattini M, et coll. Br J Cancer 2007 ; 97(8):1139-45. (11) Jhawer M, et coll. Cancer Res 2008 ; 68(6):1953-61. (12) Perrone F, et coll. Ann Oncol 2008. (13) Moroni M, et coll. Lancet Oncol 2005 ; 6(5):279-86. (14) Sartore-Bianchi A, et coll. J Clin Oncol 2007 ; 25(22):3238-45. (15) Cappuzzo F, et coll. Ann Oncol 2008 ; 19(4):717-23. (16) Lievre A, et coll. Cancer Res 2006 ; 66(8):3992-5.(17) Italiano A, et coll. Ann Surg Oncol 2008 ; 15(2):649-54. (18) Lenz HJ, et coll. et coll J Clin Oncol 2006 ; 24(30):4914-21.(19) Vallbohmer D, et coll. J Clin Oncol 2005 ; 23(15):3536-44.
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