Aucune sonnette d'alarme n'a empêché la crise

Comment c'est arrivé

Publié le 13/10/2008
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LE MONDE VIT à crédit. Le crédit irrigue les entreprises, la consommation, le commerce. Sans crédit, pas de croissance. La crise est née du fait que les sociétés occidentales ont pris la mauvaise habitude de s'appuyer sur le crédit, même quand il n'est pas indispensable. Si presque personne ne peut acheter son logement sans une avance de la banque remboursable à tempérament, si on peut concevoir que, pour l'achat de votre nouvelle voiture, vous empruntiez la moitié de la somme, il devient extrêmement dangereux, pour vous et pour le système, que vous empruntiez de l'argent pour faire votre marché ou payer votre loyer. Cela signifie en effet que vous ne gagnez pas assez pour financer vos besoins quotidiens.

Le fléau de la dette privée.

Ce n'est pas forcément votre faute : tout le monde a le droit d'être pauvre. Le problème vient de ce que nombre de familles ont trouvé dans le crédit une façon d'augmenter artificiellement leur niveau de vie, sans vraiment se demander si elles pourraient toujours rembourser ce qu'elles empruntaient.

On évoque souvent les dettes publiques constituées par les déficits budgétaires et sociaux d'un État. On évoque aussi, notamment en France, le sort funeste des familles surendettées. Mais on s'intéresse peu à une dette privée qui, dans certains pays, atteint des montants énormes. Aux États-Unis, un ménage possède en moyenne neuf cartes de crédit et a en permanence un endettement de 17 000 dollars. Multipliez cette somme par environ 75 millions de familles et vous aurez une idée de l'endettement privé. L'endettement personnel atteint, toujours aux États-Unis, le taux hallucinant de 139 % du revenu disponible ; c'est-à-dire que, pour rembourser sa dette, une famille doit travailler 1,4 année et ne pas dépenser un seul centime. Au Royaume-Uni, l'un des pays les plus atteints par la crise, le taux d'endettement privé est encore plus élevé : 173 %.

Les banques américaines n'étaient que trop heureuses de satisfaire l'appétit des classes moyennes pour le crédit. Mais, comme elles étaient tenues de respecter des règles, en particulier celle qui exige qu'elles aient constamment un pourcentage de fonds propres qu'elles ne peuvent pas prêter, elles ont, avec la bénédiction des pouvoirs publics, trouvé un moyen de les contourner. L'immobilier a ainsi servi de levier à la bulle financière qui a fini par exploser. Les banques ont créé des instruments, les CDO (collateralized debt obligations) et les CDS (credit default swaps) qui, aujourd'hui, sont la gangrène dont souffre le marché et dont il risque de mourir. Avec la dérégulation des marchés et une politique de baisse des taux d'intérêt aux États-Unis qui remonte à dix ans, certaines banques sont parvenues à prêter vingt-huit à trente-trois fois ce qu'elles avaient en fonds propres ! Le marché des CDS, qui a commencé à fonctionner en 2001 pour un total de 100 milliards de dollars de prêts, est passé en 2008 à 62 000 milliards de dollars (depuis la crise, il est retombé à 55). Soixante-deux mille milliards, c'est le PIB de toute la planète, c'est quatre fois la production totale des États-Unis en un an. Les sommes avancées n'avaient plus aucun rapport, proche ou lointain, avec la réalité économique.

Le poison.

En d'autres termes, les subprimes n'étaient qu'une partie de l'histoire. Certes l'immobilier a été le secteur le plus fou : on a encouragé les Américains à se faire bâtir des maisons de plus en plus grandes et de plus en plus chères ; on leur a juré qu'ils s'y retrouveraient toujours puisque les prix des logements augmentent sans cesse, n'est-ce pas ? On a même invité ceux qui avaient fini de rembourser leur hypothèque à en contracter une nouvelle, sous le prétexte que la hausse du prix de la maison suffirait à rembourser le nouvel emprunt !

LES CDS REPRESENTAIENT 100 MILLIARDS DE DOLLARS EN 2001; ILS SONT PASSES A 62 MILLIARDS EN 2008!

Les Américains, comme chacun sait aujourd'hui, ont exporté le poison du crédit en vendant aux banques européennes des crédits titrisés, c'est-à-dire des paquets de dettes dont, en fait, ils se sont débarrassés et qui se présentent aujourd'hui comme des obligations dont personne ne peut plus payer ni les intérêts ni le principal.

Quand on mesure le gigantisme de la dette, quand on mesure la distance qui sépare ces sommes insensées de la capacité de l'Amérique et même du monde à produire assez de richesses pour couvrir une telle dette, on n'est plus étonné de la panique boursière ou d'un pessimisme dont ne viennent pas à bout les objurgations les plus énergiques. C'est pourquoi la confiance ne reviendra vraiment sur les marchés que lorsqu'ils auront été purgés, mais surtout lorsqu'une réforme empêchera les abus inimaginables qui ont été commis.

> RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8439