Au cours des vols spatiaux, toute erreur d'appréciation ou de jugement et toute baisse de performances physiques peut induire des cascades d'événements graves, voire catastrophiques. Or les capacités physiques et psychologiques diurnes sont intimement liées à la qualité et à la quantité du sommeil nocturnes. Si on sait, depuis le début des voyages habités, que le sommeil est possible dans des conditions de microgravité, il n'en demeure pas moins qu'en dépit des recommandations (8 heures de sommeil par nuit dès que le vaisseau est en orbite) la plupart des astronautes dorment 6 heures par nuit au cours des vols de courte durée et 7 heures lors de vols longs (plus de 30 jours).
En 1998, une étude sur le temps de sommeil de 58 astronautes ayant voyagé au cours de 9 missions de la navette spatiale (durée de voyage de 4 à 9 jours) a montré que le temps moyen de sommeil moyen est de 6,03 heures par nuit contre 7,9 heures au sol. C'est durant les premiers et derniers jours de voyage que le temps de sommeil est le plus restreint. Des enregistrements EEG ont été pratiqués en vol, autant au cours des missions MIR (cosmonautes russes et spationautes européens) que lors de récents vols de la navette spatiale. Sur près d'une centaine d'enregistrements, le temps moyen de sommeil était compris entre 6,03 et 6,11 heures. De façon très constante, la durée des phases de sommeil lent profond était diminuée dans l'espace. Or, sur Terre, en période de privation de sommeil, le temps passé en sommeil lent profond est systématiquement majoré. Pour le Dr D. Dinges (Philadelphie), « ce résultat tend à prouver que si, dans l'espace, le temps de sommeil total est diminué, il s'y ajoute des phénomènes de disparition de la composante restauratrice homéostatique du sommeil ».
De multiples facteurs semblent influer sur la durée et la qualité du sommeil dans l'espace. Ils sont d'origine environnementale ou humaine. Parmi les premiers, on distingue ceux liés à l'ergonomie spatiale : bruit (plus de 70 dB la nuit et de 80 dB le jour), température chaude et humide et manque d'espace vital individuel à bord des vaisseaux.
Dans l'espace, il existe aussi des modifications des synchroniseurs externes du sommeil, en raison, en particulier, de l'alternance lumière-obscurité sur des périodes courtes de 90 à 120 minutes. Cette absence de stimulation par les synchroniseurs externes est à rapprocher des expériences de vie en milieu confiné : sous terre, sous la mer, etc.
D'autre part, la microgravité semble jouer un rôle sur le sommeil. Bien qu'elle soit encore mal étudiée, on sait que cette condition particulière entraîne une absence de pression sur la surface corporelle. Or les réflexes liés à la proprioception sont activés sur Terre au moment de l'induction du sommeil. En outre, la microgravité peut entraîner les premiers jours de vol spatial un état désigné sous le terme « mal de l'espace », qui se traduit par des céphalées, des nausées, des vomissements et un mal être généralisé.
« Des facteurs psychologiques peuvent aussi influer sur le rythme veille-sommeil : stress, monotonie, privation sensorielle, hypodynamie... Si au cours des vols de durée limitée ces variations ne s'accompagnent que de façon exceptionnelle de signes dépressifs ou de troubles de l'humeur, lors des vols de longue durée, ces phénomènes sont plus communs, même chez ces sujets surentraînés », analyse le Dr Dinges.
Pour lutter contre les troubles du sommeil, des médicaments sont mis à la disposition des astronautes. Au cours de 79 vols de la navette spatiale, 45 % des médicaments administrés étaient des hypnotiques de nouvelle génération, inducteurs du sommeil. Bien que l'action de ces molécules soit limitée dans le temps et n'induise pas de troubles de la vigilance au cours de la journée, des techniques alternatives sont actuellement expérimentées dans la perspective de voyages spatiaux longs (trajet vers Mars, par exemple).
Vive la sieste !
L'équipe du Dr Dinges poursuit actuellement une expérimentation sur l'ajout systématique d'une sieste dans des conditions de privation de sommeil nocturne sur terre. Après 5 à 6 jours de suivi, les performances cognitives et physiques des sujets dormant un total de 8 heures réparties entre sommeil diurne et nocturne, sont significativement majorées par rapport à celles du sujet ne dormant que 6 heures par nuit. « Des expériences en condition de vol devraient maintenant être mises en place afin de définir le calendrier quotidien idéal de sommeil chez les astronautes en mission de courte et de longue durée », conclut le Dr Dinges.
« Cumulative Sleep Loss in Space Flight : Neurobehavioral Consequences and Countermeasures », communication du Dr D. Dinges (Philadelphie) au cours de 52e congrès international astronautique (IAC), Toulouse.
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