Fin 2011, une enquête du Crédoc révèle que les trois quarts de la population française ne respectent pas la recommandation des 5 fruits et légumes par jour. Seuls 9 % des enfants atteignent ce seuil. Ces données reflètent une modification lente mais progressive du modèle alimentaire français selon Pascale Hébel (Crédoc) : « Les données de 2010 récemment publiées confirment la chute du budget alimentaire des Français, la simplification du contenu du repas avec deux composantes au lieu de trois, la diminution de sa durée et la disparition progressive des produits bruts en faveur de ceux transformés ». Elles révèlent aussi de nouvelles évolutions. « Les familles ont tendance à ne pas prendre leurs repas ensemble. Et nous avons constaté une très forte baisse de la diversité alimentaire chez les plus jeunes », indique Pascale Hébel. Autre constat, de plus en plus d’individus avouent qu’il leur arrive de sauter des repas (60% en 2010 contre 45 % en 2000). Les données de l’étude Nutrinet indiquent, elles aussi, que les recommandations nutritionnelles seraient plus respectées par les sujets plus âgés que par les jeunes générations. Une observation que P. Hébel confirme : « Plutôt bien mémorisés par les plus âgés, les messages du PNNS n’ont pas eu l’effet attendu sur les générations actuelles. En cause, l’évolution des modes de vie. Aujourd’hui, on cherche des produits simples, déjà préparés et faciles à manger ».
Des actions ciblant l’individu peu convaincantes…
De multiples stratégies ont alors été envisagées et mises en place, avec des résultats variables. En premier lieu, des actions centrées sur l’individu. Mais aucune n’a pour l’instant montré son efficacité en termes de comportement. Les campagnes d’informations auprès du public, tout comme l’éducation nutritionnelle collective n’améliorent que le niveau de connaissances. « Chez les adolescents, les messages nutritionnels sont récités comme une leçon bien apprise, mais sans qu’ils soient compris» constate Aurélie Maurice à l’issue d’observations en collège. « De plus, cette culture PNNS entre en conflit avec leur culture adolescente» explique la chercheuse en sociologie. Sans compter la concurrence entre les messages de prévention, les messages publicitaires et les allégations nutritionnelles. C'est la « cacophonie alimentaire » décrite par le sociologue Claude Fischler. Quant à la mise en pratique de ces normes alimentaires, de gros écarts sont souvent constatés entre les discours et les habitudes alimentaires selon Aurélie Maurice. « Pour s’approprier ses messages, il faut nécessairement passer par la pratique comme lors d’ateliers de dégustation ou de leçons culinaires » analyse-t-elle. Un constat fait dès années 70 par le spécialiste de l’éducation au goût Jacques Puisais, à l’initiative des « Classes du goût ». Celles-ci viennent justement d’être relancées quarante ans après dans les écoles et constituent une des actions-phares du Programme national pour l’alimentation. Des travaux ont récemment souligné la complexité du sujet : la façon de consommer et d’intégrer les recommandations alimentaires dépend de la catégorie sociale des individus, de leurs moyens financiers mais aussi de leurs représentations en matière d’alimentation. « Si bien nourrir son enfant signifie pour les catégories aisées, lui inculquer des principes et lui apprendre à aimer les aliments sains, pour les populations précaires, il s’agit de lui offrir une abondance d’aliment, d’assurer la solidité de son corps et de le gâter dans un contexte social difficile » observent Faustine Régnier et Ana Masullo (INRA) après des entretiens réalisés auprès de femmes de catégories sociales variées.
… et des actions sur l’environnement
En second lieu, des initiatives en matière d’intervention sur l’environnement du consommateur, plus nombreuses, ont été menées. Là encore, leur efficacité est variable. La réglementation de l’étiquetage, sur laquelle les pouvoirs publics comptaient pour améliorer la qualité des choix alimentaires, a eu finalement peu d’impact. De fait, seuls 21 % des Français lisent les étiquettes. En revanche, les actions sur la disponibilité des produits sur le lieu de consommation comme la distribution de fruits à l’école ou l’interdiction des distributeurs en collèges et lycées (depuis 2005) sont plus prometteuses à condition d’être associées à des programmes éducatifs et d’être durables. De même, agir sur l’offre industrielle est une option intéressante. Les efforts annoncés dans les 29 chartes d’engagement de progrès nutritionnels signées pourraient avoir des effets significatifs, selon Louis-Georges Soler, économiste. « À condition d’être généralisés et de porter sur une large part de l’offre » précise-t-il. En revanche, les taxes sur les aliments caloriques, gras ou sucrés auraient un effet relativement faible d’après une estimation d’Olivier Allais (INRA). « Elles seraient inéquitables vis-à-vis des ménages modestes et pourraient même porter préjudice à leurs apports en vitamines et minéraux, pour un résultat limité sur le poids » alerte-t-il. On peut alors s’interroger sur la pertinence de la récente taxe sur les sodas et boissons sucrées… A contrario, les subventions seraient plus encourageantes comme le prouve l’impact favorable de chèques destinés à l’achat de fruits et légumes frais sur la consommation alimentaire de populations précaires. Reste l’interdiction de la publicité alimentaire à destination des enfants. Une mesure prise par le Québec et la Suède mais dans laquelle la France n’ose s’engager alors même que l’exposition à ces publicités est associée à une consommation plus fréquente d’aliments denses en énergie.
L’Avenir : multiplier les angles d’attaque
Multiplier les angles d’attaque, mettre en place des interventions combinées, de longue durée et locales semble être la voie d’avenir. Des programmes à l’image, par exemple, de « Vivons en Forme » (VIF, anciennement EPODE) ou du projet européen IDEFICS, deux programmes de prévention de l’obésité infantile qui impliquent directement des familles. De nouveaux acteurs s’impliquent : les urbanistes et les sociologues. Ils en sont convaincus : pour améliorer les comportements des Français, il faut mener une réflexion plus large sur les transports et l’aménagement du territoire. Pour Marcos Weil, urbaniste-paysagiste, l’urbanisme peut favoriser l’activité physique : « Plus courtes seront les distances à parcourir pour atteindre les services et commerces, plus il y aura de raisons de pratiquer la marche ou le vélo ». De même, selon lui, la pratique de la marche est très liée à la qualité de l’environnement comme la présence de parcs, de places, de commerces de proximité, de bancs, de bruit, de pollution ou encore d’insécurité. « Une réforme en profondeur de la manière de produire l’environnement construit semble indispensable, mais cela ne sera pas suffisant » alerte-t-il. « Les utiliser relève encore de comportements individuels ».
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