par le Professeur Alain Bron (*)
Harry Quigley a estimé la fréquence des glaucomes dans le monde pour l'année 2000 à 66,8 millions de personnes
Mais il s'agit des glaucomes primitifs (1). Or, le nombre des glaucomes secondaires est évalué à 20 % des glaucomes primitifs (2), ce qui amène la prévalence à 80 millions de glaucomateux pour l'an 2000.
Ce chiffre est certainement une estimation basse, car d'autres auteurs ont estimé un peu plus tard que le glaucome chronique par fermeture de l'angle touchait 10 millions de personnes pour la seule Chine (3).
Les glaucomes représentent aujourd'hui la deuxième cause mondiale de cécité, derrière la cataracte, avec un nombre de personnes atteintes d'une cécité bilatérale due au glaucome estimé à 6,7 millions par Harry Quigley (1). Tous ces chiffres décrivent la prévalence de la maladie, c'est-à-dire l'ensemble des anciens et des nouveaux cas à un instant donné.
L'incidence (c'est-à-dire les nouveaux cas sur une période donnée) est beaucoup plus difficile à appréhender. Elle peut s'obtenir par des méthodes statistiques à partir de la prévalence, ou, mieux, par des études de population (observation de tous les habitants d'une ville ou d'une région sur cinq ans par exemple) longues et onéreuses. Dans une population blanche adulte, l'incidence du glaucome à angle ouvert est évaluée à 145 nouveaux cas pour 1 million et par an (4). Pour la tranche d'âge de 55 ans, le chiffre est de 60, et de 200 pour 100 000 pour la tranche d'âge de 75 ans (2). Pour une population noire, les chiffres sont à multiplier par un facteur de trois à quatre, comme d'ailleurs pour la prévalence. Une étude d'incidence réalisée dans une île des Caraïbes a même révélé une incidence de 0,5 % par an, avec un taux de nouveaux cas de 1,2 % pour la quatrième décennie et de 4,2 % après 70 ans (5) !
Deux millions d'hypertones en France
Voilà bien un défi pour tous les professionnels impliqués dans la santé et l'économie des maladies oculaires. Des études existent bien dans notre pays, mais, malgré toute leur valeur, elles portent sur un petit effectif et datent un peu.
Des études épidémiologiques connues en Europe donnent la prévalence du glaucome à angle ouvert après 40 ans : 0,4 % au Royaume-Uni, 1,9 % en Irlande, 1,1 % en Hollande et 2 % en Italie.
Pour comparaison, les chiffres sont en gros du même ordre pour les autres pays : 1,8 % en Australie, 2,6 % au Japon et 0,7 à 2,2 % aux Etats-Unis (chez les Blancs)
Il semble que l'étude Italienne, réalisée à Bolzano, dans le nord de l'Italie, sur 4 297 personnes, et publiée en 1998, puisse être prise pour base d'évaluation pour notre pays (6). Les résultats globaux pour une population à partir de 40 ans sont : 2,1 % d'hypertonie oculaire, 1,4 % de glaucome à angle ouvert, 0,6 % de glaucome à angle fermé et 0,6 % de glaucome à pression normale.
Le recensement de 1999 a comptabilisé 27 671 508 personnes de 40 ans et plus. En appliquant les résultats ci-dessus, on peut estimer les chiffres suivants pour l'Hexagone : 600 000 hypertonies oculaires, 400 000 malades atteints de glaucome à angle ouvert, 160 000 cas de glaucome à angle fermé et 160 000 cas de glaucome à pression normale.
Certes, cette cuisine de chiffres est facilement critiquable, mais elle a le mérite de donner un ordre d'idée sur les différentes formes cliniques des glaucomes.
Malgré tout, les chiffres concernant les glaucomes semblent assez fiables. En effet, on peut estimer, suivant le nombre de prescriptions (environ 18 millions de flacons de gouttes antiglaucomateuses en France en 2002) et par de nombreuses manipulations, un nombre de patients traités de l'ordre de 800 000. Des approximations fondées sur des enquêtes de terrain ont montré qu'environ 20 % de ces patients sont des hypertones oculaires, soit 650 000 glaucomateux environ. L'addition des trois types de glaucomes décrits dans l'étude italienne donne à peu près le même ordre de grandeur.
On peut opposer un bémol respectueux à cette belle étude de nos confrères transalpins : le nombre anormalement bas des hypertones oculaires, classiquement évalué de 4 à 7 % d'une population à partir de 40 ans. Par ailleurs, le nombre des glaucomes chroniques par fermeture de l'angle peut sembler élevé, mais la méthodologie de cette étude n'est pas discutable.
En bref, on peut retenir qu'il y aurait (conditionnel impératif ! et sauf erreur de calcul) 650 000 patients glaucomateux et de 600 000 à 2 000 000 d'hypertones oculaires en France.
Avec une méthode comparative, tout aussi critiquable et sous toute réserve, on peut établir l'incidence du glaucome à angle ouvert à 10 000 cas par an.
Comment dépister les glaucomes en France ?
Toutes les études épidémiologiques concordent sur un point : 40 à 50 % des patients porteurs de glaucome ne sont pas identifiés (7). La tâche qui consiste à rechercher ces patients, dont la cécité due au glaucome peut le plus souvent être évitée, est donc lourde.
La mesure de la tension oculaire au tonomètre de Goldmann ou au tonomètre à air est à elle seule un piètre outil de dépistage. En effet, sa sensibilité (capacité à identifier les vrais patients glaucomateux) est de 47 %, et sa spécificité (capacité d'affirmer qu'un sujet n'a pas de glaucome) est de 92 % pour un chiffre de 21 mmHg (8).
Il faut donc nécessairement adjoindre une technique plus spécifique et plus sensible. Aujourd'hui, cette technique existe, il s'agit du FDT (Frequency Doubling Technology), qui donne un champ visuel de dépistage en une minute par il. Sa spécificité et sa sensibilité dépassent 90 % (9).
La théorie est une chose, la pratique en est une autre. Comment faire du dépistage de masse alors que le délai pour obtenir un rendez-vous chez l'ophtalmologiste sont couramment de plusieurs mois, voire un an dans le nord du pays.
Il faut certainement utiliser les opportunités telles que les centres de médecine préventive, médecine du travail, assurances, etc. Une minorité de collègues pourraient se sentir (après une lecture rapide) dépossédés d'une partie de leur exercice. En fait, il n'en est rien, car ces patients dépistés sont bien entendu dirigés vers un ophtalmologiste, qui peut alors faire un bilan correct du patient, la tâche ingrate et fastidieuse du dépistage de masse ayant été réalisée par des professionnels dont c'est le métier. D'ailleurs, plusieurs de nos collègues ont déjà l'expérience de ce genre de collaboration et en sont très satisfaits.
(*) CHU Dijon
1. Quigley HA. Number of people with glaucoma worldwide. Br J Ophthalmol 1996 ; 80 : 389-393.
2. Quigley HA, Vitale S. Models of open-angle glaucoma prevalence and incidence in the United States. Invest Ophthalmol Vis Sci 1997 ; 38 : 83-91.
3. Foster PJ, Johnson GJ. Glaucoma in China : how big is the problem ? Br J Ophthalmol 2001 ; 85 : 1277-1282.
4. Schoff EO et coll. Estimated incidence of open-angle glaucoma in Olmsted County, Minnesota. Ophthalmology 2001 ; 108 : 882-886.
5. Leske MC et coll., the Barbados Eye Study Group. Risk factors for open angle glaucoma : the Barbados Eye Study. Arch Ophthalmol 1995 ; 113 : 918-924.
6. Bonomi L et coll. Prevalence of glaucoma and intraocular distribution in a defined population. The Egna-Neumarkt Study. Ophthalmology 1998 ; 105 : 209-215.
7. Sommer A, et al. Relationship between intraocular pressure and primary open angle glaucoma among white and black americans. The Baltimore eye survey. Arch Ophthalmol 1991 ; 109 : 1090-1095.
8. Wilson MR. Screening paradigms in glaucoma. J Glaucoma 2001 ; 10 (Suppl. 1) : S25-27.
9. Yamada N, et al. Screening for glaucoma with frequency-doubling technology and Damato campimetry. Arch Ophthalmol 1999 ; 117 : 1479-1484.
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