Des incidents déplorables se sont produits aux Etats-Unis et au Canada, où des citoyens de confession musulmane ont été agressés. Pour être prévisibles, ces actes n'en sont pas moins ignobles.
Dès l'annonce des attentats de New York et de Washington, les pays arabes et musulmans avaient exprimé leur inquiétude aux dirigeants américains. Ils craignaient - à juste titre - que l'horreur de l'événement ne crée des réactions d'intolérance, d'autant que la confusion entre islamistes et islamiques est vite faite par les médias.
Un geste pour les musulmans
Les Américains, qui ont montré beaucoup de dignité et de courage jusqu'à présent, ne sont pas, malheureusement, immunisés contre le racisme ou le désir de vengeance. Mais le président Bush a jugé que les dérapages, quoique relativement rares, étaient assez sérieux pour qu'il intervînt dans l'affaire. A deux reprises au moins, il a demandé à ses concitoyens de ne pas associer les Américains de confession musulmane au terrorisme et, pour mieux faire passer le message, il a pris le temps, en dépit de la gravité de la crise, de rendre visite à un centre musulman. Les images de cette visite ont été diffusées par toutes les chaînes de télévision.
C'est une autre conséquence de l'opération conduite le 11 septembre dernier : elle cause un préjudice à cet islam dont ils se réclament. Cela souligne non seulement une absence de scrupules que leur crime a largement démontrée, mais l'incohérence de leur raisonnement. On dirait qu'ils souhaitaient peut-être dissuader leurs coreligionnaires d'aller vivre aux Etats-Unis si certains des kamikazes n'étaient déjà de nationalité américaine ou résidents aux Etats-Unis. Bien qu'il soit surprenant que des Américains musulmans aient pu abandonner leur famille pour se jeter dans une aventure mortelle, on ne peut sous-estimer les effets du lavage de cerveau qu'ils ont subi. Il est probable que, dans le projet de ceux qui ont organisé l'opération, la notion d'« ennemi de l'intérieur » propre à déclencher une paranoïa collective était considérée comme un puissant ingrédient.
Les gouvernements arabes ont maintenant la responsabilité des efforts à fournir pour mettre un terme à l'amalgame. Depuis dix jours, ils sont très préoccupés par les choix éventuels que pourrait faire le gouvernement américain et ils n'ont pas manqué de lui conseiller une extrême prudence. Toute riposte militaire portée contre un Etat arabe ne peut qu'accroître la haine des peuples arabes contre l'Amérique. Le raisonnement est d'une logique parfaite, mais il a pour effet immédiat de paralyser les Etats-Unis.
Aussi Washington a-t-il demandé de son côté que les capitales arabes participent activement à la lutte contre les réseaux terroristes qui trouvent souvent des sanctuaires en terre d'islam. S'il est vrai qu'une guerre secrète est de loin préférable à un assaut frontal contre un Etat souverain, encore faut-il que les Etats concernés s'y associent.
Le laxisme américain en matière de lutte anti-terroriste a sans doute contribué à l'indulgence des pays arabes pour des mouvements qui possèdent des bases militaires faciles à localiser, des fonds considérables qui empruntent les circuits bancaires classiques et une provision inépuisable de ressources humaines.
Il vaut mieux toutefois que le monde arabe comprenne que les Américains ont été assez éprouvés par le désastre pour mettre en uvre, désormais, des méthodes infiniment plus fermes. Le cas de l'Afghanistan témoigne de l'incompréhension entre les Etats-Unis et le monde arabe : jusqu'à présent, les Américains n'ont fait qu'envisager des bombardements ou une attaque terrestre contre les taliban. Cette simple hypothèse a été dénoncée par nombre de pays musulmans (et pas moins de gouvernements européens). Une partie du peuple afghan a pris le chemin de l'exil. Du coup, une nation où six mille civils ont péri en moins d'une heure n'avait même plus le droit de songer à sa riposte. D'agressée, elle devenait agresseur avant même d'avoir cillé.
Bush sermonné
Ce paradoxe, que personne n'a mentionné dans la presse française, traduit l'état des relations internationales. Avant la concertation, on accuse, on confond le criminel et la victime, on invoque les droits des faibles, comme si le préjudice infligé aux plus forts était de toute façon négligeable. Depuis dix jours, on ne cesse de sermonner M. Bush comme s'il était bon de lui appliquer la logique terroriste : il n'a pas encore fait le moindre choix tactique ou stratégique qu'on le décrit déjà comme un va-t-en-guerre impénitent, ce qu'il n'est pas, un cow-boy, un Texan borné qui ne connaîtrait que la loi du plus fort.
Or il y a autre chose à faire. Il n'est pas excessif de demander aux intellectuels arabes, étrangement silencieux, de dénoncer le terrorisme ; il n'est pas scandaleux de demander aux Egyptiens qui, pour éradiquer un terrorisme dirigé contre leur gouvernement, n'ont pas hésité à employer des moyens particulièrement dissuasifs, de rejeter avec la même vigueur le terrorisme dirigé contre d'autres. Il n'est pas impossible d'expliquer aux gouvernements arabes que, lorsqu'ils ferment les yeux sur l'expression virulente d'un antisémitisme sans doute jugé acceptable à cause de la lutte sacrée contre Israël, ils encouragent l'intolérance en général ; et que, en tentant ainsi d'orienter vers des mythes les mécontentements sociaux, ils se préparent des lendemains difficiles.
Dès lors qu'ils favorisent certains amalgames par tactique politique, ils sont moins fondés à se plaindre de la xénophobie manifestée par les Américains. Dès lors qu'ils ne veulent pas d'un débarquement américain en Afghanistan - qui, objectivement, ne serait ni souhaitable, ni utile, ni efficace -, il faut qu'ils donnent à M. Bush quelques gages au sujet de la destruction des réseaux terroristes.
La tragédie sans précédent du 11 septembre ne permet plus les ambiguités, les louvoiements, les compromis, les politiques binaires qui ont fait, par exemple, que l'Arabie saoudite, si conservatrice et si attachée à l'ordre établi, ait nourri en son sein les plus dangereux des militants armés de l'anti-américanisme. C'est le message général que Washington a adressé aux Etats musulmans ou arabes. S'ils veulent l'empêcher de se lancer dans une aventure aux conséquences imprévisibles, il faut qu'ils répondent à ce message par oui ou par non.
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