C’est une petite information mais combien symbolique qui augure peut-être, du moins l’espère-t-on des futurs plus justes pour les patients et au-delà les citoyens. Un chirurgien-dentiste vient d’être condamné à une amende de 10 000 euros pour refus de transmission du dossier médical d’un patient. Ce manquement de respect du droit a été caractérisé par la Cnil comme un « défaut manifeste de prise en compte des questions informatique et libertés et la preuve de la méconnaissance de l’obligation de coopération avec la Cnil résultant de la Loi. » Dura Lex Sed Lex. Si la Cnil n’existait pas il faudrait l’inventer. Cet épisode, dans un contexte plus large, est-il le signe que la justice convergerait vers le droit ?
Blaise Pascal aurait-il tort pour une fois ?
On cite habituellement la 2987e pensée de pascal pour se plaindre à juste raison souvent. Rappelons-en les termes « Ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. » On aurait pu également citer Esope et son plagiaire Jean de la Fontaine : « Selon que vous serez puissant ou misérable on vous dira blanc ou noir. » Dans le cas qui nous occupe, un professionnel de santé a refusé de transmettre les éléments du dossier de santé d’un patient alors que la loi l’y oblige. Aux termes de l’article L1111-7 du code de la santé publique « Toute personne a accès à l'ensemble des informations concernant sa santé détenues, à quelque titre que ce soit, par des professionnels et établissements de santé, qui sont formalisées ou ont fait l'objet d'échanges écrits entre professionnels de santé, notamment des résultats d'examen, comptes rendus de consultation, d'intervention, d'exploration ou d'hospitalisation, des protocoles et prescriptions thérapeutiques mis en œuvre, feuilles de surveillance, correspondances entre professionnels de santé, à l'exception des informations mentionnant qu'elles ont été recueillies auprès de tiers n'intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant un tel tiers. Elle peut accéder à ces informations directement ou par l'intermédiaire d'un médecin qu'elle désigne et en obtenir communication, dans des conditions définies par voie réglementaire au plus tard dans les huit jours suivant sa demande et au plus tôt après qu'un délai de réflexion de quarante-huit heures aura été observé. Ce délai est porté à deux mois lorsque les informations médicales datent de plus de cinq ans ou lorsque la commission départementale des soins psychiatriques est saisie en application du quatrième alinéa. Lorsque la personne majeure fait l'objet d'une mesure de protection juridique, la personne en charge de l'exercice de la mesure, lorsqu'elle est habilitée à représenter ou à assister l'intéressé dans les conditions prévues à l'article 459 du code civil, a accès à ces informations dans les mêmes conditions » (Légifrance Loi 2016-41 du 26 janvier 2016 – Art 7, 96 et 189).
Le cas de ce patient n’est pas rare et ce sont des milliers de nos concitoyens qui se heurtent soit à l’indifférence, soit à l’ignorance de la loi.
Cas isolé ou prémices ?
Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Cnil, conseillère d’Etat, énarque, est une forte femme. Dans son corps d’origine, on n’hésite pas à la surnommer « Isabelle la cathodique ». Dans Le Monde en date du 28 mai dernier, elle a donné le ton, preuve que peut-être quelque chose est en train de changer au pays des « bisounours » quand elle déclare que « la période du chèque en blanc sur les données est terminée ». Il faut reconnaître qu’on a du mal à s’y reconnaitre tant les positions de certains sont divergentes de celles des autres. Citons les tenants du business à tout prix qui sont prêts à vendre des données auxquelles ils accèdent gratuitement pour les revendre au mieux disant. Le cas d’IMS Canada est intéressant (Journal du Québec 29 mai 2017) qui devra affronter une plainte de médecins dont les données de prescription ont été revendues à des laboratoires pharmaceutiques. Alors que la loi interdit le « trafic » de prescription en deçà d’une moyenne anonyme de 30 prescripteurs, le journal du Québec fait état de panels variant de 1 à 17 médecins. Il ajoute : « Selon notre enquête, des listes contenant le nom des médecins sont toutefois revendues à des compagnies pharmaceutiques qui les utilisent pour faire la liste des médecins qui prescrivent leurs produits ou celui de leurs concurrents. Les représentants pharmaceutiques peuvent ainsi cibler les plus hauts prescripteurs et tenter de les influencer. Environ le tiers des médecins québécois acceptent les visites des représentants. » Parmi les autres fervents prosélytes de l’ouverture à tout vent, on compte les Gafa, les assureurs (Cf. Generalli et son programme à géométrie géo-juridique variable Vitaly), des organismes de recherche. Les mutuelles seraient intéressées, nous dit-on et Etienne Caniard, ex président de la Mutualité française, s’inquiète du passage de la solidarité au risque. Tout cela au profit de l’humanité souffrante, il va sans dire.
Quelques signes sont néanmoins encourageants. La création du G29 à l’initiative de la Cnil française, l’avènement du GDPR (General Data Protection Regulation) de l’Union européenne et la création par Marisol Touraine de France Assos Santé sous la présidence d’Alain Michel Ceretti, bien connu pour son action dans l’affaire de la clinique du Sport de Paris.
Les grands prédateurs sont puissants, très puissants, mais même au pays du géant vert roi – comprendre le dollar -, il n’est pas sûr qu’ils aient encore bien mesuré le contre-feu que constitue le peuple des réseaux sociaux et leur pouvoir de nuisance sur l’e-réputation. Quand Google, optimiseur fiscal devant l’Eternel, reçoit une amende de 150 000 euros, il ne s’en rend pas compte. Mais quand la Cnil impose l’affichage sur sa page frontale sa condamnation, cela lui donne à réfléchir sinon à fléchir. Ajoutons à cela la possibilité des class actions européennes, incluses dans le règlement GDPR, beaucoup plus accessibles que timide et complexe à souhait avancée de la loi Hamon, typique des Houla Houla français*.
Le combat du respect de la vie privée et du libre arbitre est loin d’être gagné, si l’on en croit le directeur du FBI qui n’hésite pas à déclarer que la « vie privée existe dans une la mesure du raisonnable ». D’ailleurs, il masque toujours la webcam de son portable. Et l’on connaît la retenue éthique des hommes dès lors qu’on ajoute devant leur yeux une liasse de billets.
Nous avons le pouvoir de nous opposer aux dérives et la Cnil fait partie de ces acteurs qui agissent dans le bon sens, pour nous le sens de l’Histoire ou alors c’est à désespérer de tout et autant laisser les clés aux prédateurs américains, chinois et autres. Nous sommes nombreux à plaider pour l’augmentation drastique des moyens de cette belle institution nationale. En tant que citoyens, il faut exercer nos droits car comme chacun le sait, « la démocratie ne s’use que si l’on ne s’en sert pas » (emprunté à Guy Bedos).
(*) Les Houla Houla sont les membres d’une tribu française particulièrement dense dans le VIIe arrondissement de Paris dont la règle de conduite est de ne fâcher personne et la philosophie de, je cite « ne pas être trop ambitieux, car il n’y a que des coups à prendre ».
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