CMV et grossesse : la réinfection des mères pourtant immunisées

Publié le 03/05/2001
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L' INFECTION intra-utérine par le CMV est un événement grave, qui peut se solder par des lésions cérébrales irréversibles et des anomalies de développement. L'immunité développée par la mère à la suite d'une première infection ne constitue qu'une protection partielle : des contaminations peuvent se produire lors de grossesses ultérieures. On s'est beaucoup interrogé sur l'origine du virus contaminant l'enfant, chez des mères séropositives au CMV. Deux hypothèses sont possibles : la réactivation de la souche initiale, éventuellement mutée, ou la réinfection.

Sur la base d'un travail remontant à 1980, montrant l'analogie des fragments de restriction des génomes viraux isolés chez la mère et l'enfant dans six cas d'infection intra-utérine, l'hypothèse d'une réactivation virale semble avoir été longtemps favorisée. En fait, l'analogie des fragments de restriction ne prouve pas l'analogie des souches virales. Et, selon le travail publié aujourd'hui dans le « New England Journal of Medicine », qui fait appel, lui, à des analyses sérologiques, il semble que la majorité des infections congénitales est au contraire liée à une réinfection de la mère.

La transmission à l'enfant

Seize femmes ayant transmis le CMV à leur enfant, et dont la séropositivité avait pu être attestée lors d'une grossesse préalable, ont été comparées à trente autres femmes, également séropositives, mais qui n'ont pas contaminé leur second enfant. L'argument en faveur d'une réinfection est lié à la diversité des anticorps observés chez les femmes ayant transmis le virus ; 11 des 16 mères présentaient des anticorps dirigés contre la glycoprotéine H d'au moins deux souches de laboratoires (AD169 et Towne). Sur ces 11 femmes, 7 ne présentaient, lors de leur précédente grossesse, que des anticorps dirigés contre une seule souche. En outre, parmi les femmes ne présentant qu'un seul type d'anticorps lors de leur seconde grossesse, 2 ne présentaient aucun anticorps lors de leur première grossesse. Au total, donc, 10 des 16 femmes ayant transmis le virus lors de leur seconde grossesse avaient acquis une nouvelle spécificité immunologique depuis leur première grossesse. Parmi les 30 femmes n'ayant pas infecté leur enfant, 4 seulement avaient élargi leur répertoire immunologique entre les deux grossesses.
On pourrait naturellement s'en tenir à l'hypothèse d'une réactivation de la souche initiale, en imaginant une mutation, et une sélection positive du mutant échappant aux anticorps neutralisants. Ce scénario est toutefois très improbable, le passage de l'une à l'autre des souches testées supposant la mutation de deux codons au moins au niveau de l'épitope neutralisant de la glycoprotéine H du virus. La notion de réinfection est en outre renforcée par une observation supplémentaire : parmi les 7 femmes ayant infecté leur enfant et présentant des anticorps dirigés contre deux souches au moins, 4 présentaient des anticorps spécifiques du virus retrouvé par ailleurs chez l'enfant, à des taux au minimum deux fois supérieurs aux taux relevés lors de la première grossesse. Pour rendre compte de la présence chez la mère de ces anticorps nouvellement acquis, et chez l'enfant de la souche virale correspondante, la réinfection est de loin l'hypothèse la plus simple.
Sans exclure qu'une réactivation virale puisse survenir dans certains cas, les auteurs concluent que des réinfections par le CMV sont responsables de la majorité des contaminations intra-utérines. La fréquence et les modalités de telles réinfections mériteraient maintenant d'être étudiées dans différentes populations et différents contextes sociaux.

S. B. Boppana et col. « N Engl J Med », 2001 ; 344 : 1366-1371.

Vincent BARGOIN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6911