Le débat sur l'autorisation ou l'interdiction des travaux menés sur l'embryon humain n'est pas nouveau. Il était déjà à l'ordre du jour en juillet 1994, lors de l'adoption des lois de bioéthique. Cependant, les progrès scientifiques aidant, il a changé de nature. En effet, les découvertes récentes concernant la thérapie cellulaire permettent d'envisager de traiter des patients atteints de maladies neurodégénératives ou génétiques. C'est notamment ce que propose la technique du clonage thérapeutique.
Le principe, rappelons-le, en est simple. Un noyau prélevé à partir d'une cellule somatique du malade est injecté dans le cytoplasme d'un ovocyte énucléé issu de n'importe quelle femme. La cellule obtenue est mise en culture puis différenciée selon la thérapie visée : cellules neuronales, hépatiques, musculaires, etc., lesquelles sont ensuite réintroduites dans l'organisme donneur du noyau. Les tissus lésés peuvent ainsi être régénérés ou réparés. L'intérêt majeur de cette méthode, par rapport au transfert de cellules souches totipotentes : le risque de rejet est nul, l'immunocompatibilité étant respectée. Les législateurs devront donc prendre position en janvier 2001 : pour ou contre le clonage thérapeutique ?
A première vue, la technique semble porteuse d'espoirs thérapeutiques immenses et nouveaux. Alors, pourquoi lui imposer un cadre législatif restreignant ses applications ? En fait, le clonage thérapeutique soulève nombre de problèmes éthiques, non résolus à ce jour. Et il est du rôle de l'Etat d'équilibrer les possibilités offertes par la science et les valeurs éthiques de notre société, dont le maître mot est « respect de la dignité humaine ».
Parmi les interrogations posées par le clonage thérapeutique : peut-on éviter l'application du clonage à des fins reproductives ? Comment se procurer les ovocytes, indispensables à l'expérience, sans engendrer la création d'un trafic de ces gamètes femelles ? Doit-on accepter l'extension du pouvoir de l'homme sur l'homme, devenu capable de créer un embryon potentiel sans avoir recours à la procréation sexuée ? D'ailleurs, peut-on parler d'embryon pour qualifier la cellule obtenue après transfert nucléaire ? Le débat a fait rage lors de la table ronde organisée par la commission chargée d'examiner le projet de loi bioéthique.
Le but et les moyens
Les arguments avancés par les défenseurs du clonage thérapeutique se fondent sur la liberté de la recherche. Il est du « devoir des scientifiques de soulager les souffrances de leurs semblables quand cela leur est possible », souligne Jean-Pierre Changeux, professeur au Collège de France et à l'Institut Pasteur : « A partir du moment où une voie de recherche semble prometteuse, elle doit impérativement être développée. » Certes, reconnaît Alain Bacquet, président de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, « le but poursuivi est légitime. Mais il est essentiel de tenir compte des moyens employés. Or les espoirs attachés à la médecine régénératrice sont encore très hypothétiques et controversés ».
Autre sujet de discorde : l'usage du mot « embryon » pour désigner la cellule issue du clonage thérapeutique. « L'embryon ne se différencie qu'après l'implantation, soit 7 jours après la fécondation, explique Jean-Pierre Changeux. Or ici, le clonage est arrêté au stade du blastocyste. Par conséquent, les problèmes éthiques reliés à la manipulation d'un embryon ne se posent pas. Le débat doit porter sur les pratiques elles-mêmes plutôt que sur les mots. »
Le Pr Henri Atlan, ancien membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), parle, quant à lui, « d'artefact de laboratoire», qui ne peut être confondu avec un embryon issu d'une fécondation. « Si demain, on parvient à réaliser une parthénogenèse réussie chez un mammifère, faudra-t-il considérer tous les ovules comme des embryons ? Assurément, non », affirme l'ancien chef de service de biophysique de l'hôpital de l'Hôtel-Dieu (Paris). Pourtant, la question du vocabulaire n'est pas nouvelle et dépasse largement le cadre de nos frontières. En Espagne, on parle de « nucléovule », ailleurs, la mystérieuse cellule est décrite comme un « préembryon ».
Des termes à définir
Le premier flou législatif à régler relève donc de la sémantique. Les nouveaux textes de loi devront impérativement définir les termes de clonage thérapeutique et de clonage reproductif, sans ambiguïté possible. De même, ils devront attribuer un statut clair au pseudo-zygote.
Par ailleurs, si le clonage thérapeutique venait à être légalisé, la loi devrait empêcher le franchissement de la barrière avec le clonage reproductif. Lourde tâche, vu l'importance des intérêts économiques en jeu. Faut-il se réfugier derrière le principe de précaution pour éviter qu'un chercheur mal intentionné ne décide de réaliser l'implantation chez une femme, et par conséquent, bannir toute forme de clonage ? A cette question posée par la députée Christine Boutin, Henri Atlan répond que « c'est le rôle des législateurs d'interdire l'utilisation de cellules dans le cadre reproductif ».
Visiblement, on tourne en rond. Autre mesure à envisager : la protection des femmes contre un éventuel trafic des ovocytes. Les ovaires de femmes ne doivent en aucun cas devenir un matériau, une marchandise. Or, même si la France prenait des mesures suffisantes, le problème resterait posé pour le reste de la planète.
Rappelons que le clonage thérapeutique a été exclu du programme de recherche européen en septembre 2000. Le groupe d'éthique européen a en effet souligné que cette technique, bien qu'elle soit prometteuse, est encore trop récente et présente de possibles risques (« le Quotidien » du 22 juin). Par ailleurs, la découverte de cellules souches chez l'adulte ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques. Même si ces cellules sont difficiles d'accès, car elles sont enfouies profondément dans les tissus, les chercheurs peuvent développer cette piste. Etant donné l'importance des risques potentiels engendrés par le clonage thérapeutique, il y a fort à parier que le gouvernement français ne changera pas de position sur le sujet. Rendez-vous en janvier prochain.
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