«E N dix ans, le secteur de l'hospitalisation privée a connu 500 opérations de restructurations », affirme Alain Coulomb, délégué général de l'Union de l'hospitalisation privée (UHP). Le phénomène se poursuit, avec peut-être un léger ralentissement, selon plusieurs observateurs.
« Il me semble qu'il y a une petite baisse par rapport à il y a deux ou trois ans. Est-elle due au fait que beaucoup ont déjà eu lieu, ou bien au fait que les établissements n'ont plus les moyens d'en faire ? Le débat est difficile à trancher », confie Daniel Bour, P-DG de la Compagnie générale de santé, qui représente plus de 50 % des lits dépendant d'une chaîne de cliniques.
Le problème de la taille critique
Une chose est certaine, en tout cas : l'enquête annuelle menée par l'UHP et le cabinet CTC Conseil sur la situation économique et financière des cliniques indique que le chiffre d'affaires a évolué au rythme de 2,9 % en 1999, soit moins qu'en 1998 (3,2 %). « On tend à une baisse de la rentabilité. Il est logique qu'elle entraîne des restructurations, qui se traduisent par des rachats et des fusions, observe Delphine-Sophie Caillot, du cabinet CTC Conseil. Car, pour être compétitif, il faut atteindre une taille critique. »
D'après cette spécialiste, les établissements de petite taille et monodisciplinaires sont les plus concernés, car ce sont souvent les plus fragiles. Mais le profil type de la clinique en difficulté n'existe pas, aucun type d'établissement n'étant préservé. Les facteurs qui entrent en jeu sont très nombreux. « Tout dépend de la situation géographique, du nombre d'établissements dans les environs, du nombre de lits dont elle dispose, poursuit Delphine-Sophie Caillot , mais on constate que, en se regroupant, les établissements de moins de 100 lits atteignent suffisamment de disciplines pour toucher un maximum de patients et parvenir à l'équilibre », comme c'est souvent le cas pour les « MCO », médecine-chirurgie-obstétrique.
La tendance à la concentration se retrouve partout. Exemple : en 1993, l'agglomération de Nantes comptait 15 cliniques. En 2003, elle n'en comptera plus que 6. Mais ce type d'opérations a un coût, que tous les établissements ne peuvent supporter. « Redistribuer les spécialités, concentrer les activités sur un site, tout cela nécessite de gros investissements, ce qui explique le fléchissement actuel », souligne le Dr Max Ponseillé, président de la Fédération intersyndicale des établissements d'hospitalisation privée (FIEHP).
La recherche de partenariats est souvent une question de survie. « Face à la menace d'une fermeture, il y a deux manières de s'en sortir : le tribunal de commerce ou le rachat », explique Alain Coulomb.
Les rachats ont ralenti depuis 1998, non parce que la situation est meilleure, mais faute d'acheteurs, lesquels n'ont aucune envie de prendre des risques inconsidérés. La sortie sèche par dépôt de bilan ne provoque pas l'enthousiasme des acteurs économiques. Les cliniques continuent donc de vivre d'expédients, avec un sentiment de désespoir. L'Ile-de-France est la plus touchée (l'UHP indique 14 fermetures l'an dernier), car elle avait sans doute moins restructuré, contrairement à d'autres régions. « Les petits établissements ont fermé en raison d'investissements sécuritaires trop lourds. Mais le phénomène nouveau, c'est la fragilité d'établissements importants et de référence, comme le montre l'exemple de la clinique d'Essey-lès-Nancy », souligne Alain Coulomb. Cette polyclinique de Meurthe-et-Moselle, qui compte 200 lits et emploie 450 personnes, a déposé le bilan et a été placée en redressement judiciaire il y a deux mois, à la suite d'une grave crise survenue en décembre 2000. En raison d'un risque de contamination par réutilisation de matériel à usage unique, certaines activités du service de cardiologie avaient été fermées pendant quinze jours. Cette fermeture provisoire ainsi que l'information judiciaire qui l'avait suivie lui ont été fatales. Une déconfiture due également à la politique de rachats d'établissements que la clinique avait menée sans discernement.
Heureusement, des restructurations bien menées permettent d'éviter la fermeture d'un établissement. « Nous avons toujours autant de demandes d'audit provenant de deux établissements qui souhaitent se rapprocher pour faire des économies d'échelles, explique le Dr Jean-Noël Colin, consultant au cabinet de conseil Sanesco. Ce sont souvent des établissements de 50 à 100 lits, dont le but est de parvenir à une structure de 200 lits. Le regroupement physique n'est pas forcément nécessaire, même si, au bout d'un certain temps, il apparaît plus logique. Ces délocalisations nécessitent une réflexion sur l'architecture du bâtiment, les principes d'organisation. »
Le poids des nouvelles obligations
Beaucoup d'établissements de chirurgie cherchent ainsi à se transformer en établissement de moyen séjour. Les raisons sont toujours les mêmes : ils n'arrivent pas à répondre aux contraintes normatives, réglementaires, qui sont exigées au niveau des équipements et des effectifs. Le poids des nouvelles obligations, la démarche qualité, la logistique, l'hygiène nécessitent des compétences qu'ils n'ont pas les moyens d'assurer. « Souvent, le bâti est obsolète et il n'y a pas de possibilité d'extension des locaux, remarque le Dr Colin. L'état de la démographie médicale est aussi un problème. Les anesthésistes, les obstétriciens se raréfient. Ils n'ont pas envie d'être sur le pont 365 jours par an et préfèrent donc s'unir. »
Les agences régionales de l'hospitalisation (ARH) poussent au regroupement en unités, avec un seul plateau technique à la disposition d'équipes plus nombreuses. Les pouvoirs publics imposent parfois des rapprochements entre public et privé, notamment dans les villes moyennes où il existe un hôpital et une seule clinique.
Une réflexion commune a été menée récemment à Saint-Tropez, Vire, Mayenne, Bar-le-Duc ou Carpentras. « Dans les faits, les réalisations ne sont pas si courantes, constate le Dr Colin. Ces mises en commun de moyens qui visent à répondre aux objectifs du SROSS (schéma régional d'organisation sanitaire et sociale) sont difficiles à mettre en uvre et peuvent péricliter ». Les obstacles sont nombreux : casse-tête juridique, différence de la position statutaire des équipes, écart des conditions de rémunération, etc. « Les cas existants ont une valeur d'expérience. Cette stratégie peut être intéressante dans quelques cas, mais elle a trop d'effets pervers », juge le Dr Max Ponseillé.
Le président de la FIEHP croit aux « restructurations ciblées sur des bassins de santé, comme à Rennes, où 300 à 400 lits au total sont regroupés sur quelques sites. La structure idéale tourne autour de 200 lits, au maximum 300. Au-delà, l'établissement est trop lourd, le côté humain disparaît ». Les nouveaux acteurs se situent aux niveaux local et régional, confirme Alain Coulomb, qui cite les regroupements, en Midi-Pyrénées.
Les chaînes de cliniques ont su trouver leur place dans ce paysage. « En moyenne, elles s'en sortent mieux, en partie parce qu'elles vendent un établissement quand il n'est plus rentable », fait remarquer Jean de Kervasdoué, professeur au conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM), même si la Générale de santé affirme qu'elle poursuit sa politique d'acquisition au rythme de six ou sept établissements par an, et compte même faire mieux cette année. Les chaînes utilisent aussi et sans doute mieux que d'autres la solution des restructurations. « Nous avons engagé 1,5 milliard pour nos établissements entre 1998 et 2000, déclare Daniel Bour, P-DG de la Compagnie générale de santé. A cela s'ajoutent 800 millions de francs sur trois programmes de regroupement en région parisienne et à Lyon. A Paris-Sud-Antony, quatre établissements vont être fondus en un seul ». Le mouvement ne semble donc pas près de se tarir.
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