«NOUS SOMMES à l’aube d’un bouleversement climatique radical», martèle Jack Hall, climatologue de renommée internationale, à la tribune d’une conférence en Inde sur le réchauffement global en Inde. «Nous devons prévoir l’éventualité d’évacuations à grande échelle, surtout pour les Etats du Nord», ajoute-t-il, devant un vice-président américain incrédule. «Mais qui paiera le prix du protocole de Tokyo qui coûtera des milliards de dollars à l’économie mondiale?», s’exclame ce dernier. «L’inaction pourrait nous coûter plus cher», répond Jack Hall. C’est évidemment lui qui a raison dans ce film américain (« The Day after Tomorrow », 2004), où la catastrophe, qui nous ramène en période glaciaire, est bouclée en deux heures de temps. Lorsque c’est l’ancien vice-président des Etats-Unis Al Gore qui présente « Une vérité qui dérange », le documentaire réalisé par Davis Guggenheim (« An Inconvenient Truth », 2006), la catastrophe paraît encore plus impressionnante, palpable. Celui qui a travaillé aux côtés de Bill Clinton expose, sans effets spéciaux, les conséquences déjà observables du réchauffement climatique qui résulte de l’activité humaine : les glaciers fondent à un rythme accéléré, la faune et la flore sont obligées de migrer, les tempêtes et périodes de grande sécheresse se multiplient. Al Gore, qui avait déjà écrit un livre en 1992 (« la Terre en jeu »), dans lequel il exposait les risques climatiques avec une grande perspicacité, multiplie les exemples. Le nombre d’ouragans de catégories 4 et 5 a quasiment doublé en trente ans ; le paludisme affecte désormais certaines régions montagneuses, comme les Andes ; la fonte des glaces du Groenland a plus que doublé en dix ans ; quelque 280 espèces végétales et animales ont déjà réagi à ce changement climatique en se rapprochant des pôles.
La faute aux émissions humaines.
Mais le coup de grâce, celui qui devrait marquer les esprits les plus rebelles au catastrophisme, ce sont les experts du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) qui l’ont donné à travers un rapport rendu public ce mois-ci. Avec une probabilité fixée à 90 %, ces anges noirs confirment la part «essentielle» des émissions humaines de gaz à effet de serre, dues principalement à l’utilisation des combustibles fossiles et au changement d’utilisation des terres dans le réchauffement climatique. Jamais cette certitude n’avait été aussi forte depuis la création, en 1988, par les Nations unies de ce vaste réseau d’expertise mondiale. «Le réchauffement est désormais sans équivoque: tout ce qui bouge autour de nous en témoigne», indique le climatologue français Jean Jouzel. A l’échelle des continents, des régions et des bassins océaniques, de nombreux changements à long terme du climat ont été observés. On note des changements largement répandus concernant les températures, la quantité de précipitations, la structure des vents. La salinité de l’océan se modifie, le volume de la glace arctique diminue. Des aspects de situations météorologiques extrêmes apparaissent, comme les sécheresses, les fortes inondations, les vagues de chaleur. Un bémol toutefois, les experts ne disposent pas d’éléments suffisants pour déterminer s’il existe des tendances dans des phénomènes de petite échelle tels que les tornades, la grêle, les orages et les tempêtes de poussières. Fruit des études croisées de plusieurs milliers de scientifiques, le pronostic du Giec aboutit à une perspective de + 1,8 à + 4 °C d’ici à la fin du siècle par rapport à la période 1980-1999, une «meilleure estimation» parmi six scénarios envisagés, du plus engagé à combattre les émissions de gaz à effet de serre au plus laxiste. Ces valeurs moyennes, qui ont été adoptées par consensus entre les représentants des Etats, n’excluent pas un emballement jusqu’à 6,4 degrés dans le pire des cas et peut-être même deux fois plus aux pôles.
20 millions de personnes déplacées.
Outre la hausse du thermomètre, celle du niveau des océans pourrait atteindre près de 60 cm. Or «40cm en plus à la surface des océans, ce sont 20millions de personnes obligées de fuir leur lieu de vie», insiste Jean Jouzel, qui rappelle que le changement climatique n’affectera pas les seules «générations futures, mais les enfants qui sont en maternelle et même en primaire». «Nous sommes beaucoup plus affirmatifs, non seulement sur la température, mais sur les précipitations. Tous les modèles convergent pour dire qu’il y aura plus de précipitations dans les hautes latitudes et plutôt moins de précipitations dans les régions subtropicales et, pour ce qui nous concerne de façon plus proche, le pourtour méditerranéen», dit Jean Jouzel. Il estime que, en France, en cas d’augmentation de température de 3-4°, la canicule de l’été 2003 se reproduirait un été sur deux à partir de 2050.
Tous ces dérèglements sont d’autant plus préoccupants, insistent les experts du Giec, qu’ils resteront inéluctables «pendant plus d’un millénaire». «Tout ça donne l’image d’un monde extrêmement différent, d’un bouleversement climatique, estime Jean Jouzel. Même un changement de trois degrés, si nous le subissions en un siècle, c’est la moitié d’un changement climatique majeur, celui qui nous a fait passer de la dernière période glaciaire à la période actuelle, mais ce passage a pris 5000ans.»«Le jour approche où l’emballement climatique échappera à tout contrôle: nous sommes au seuil de l’irréversible», a indiqué le président français Jacques Chirac, en appelant à une «révolution des consciences» en ouverture de sa conférence internationale pour une gouvernance écologique, dans la foulée du Giec. Reste à écrire le prochain épisode, celui où la Terre est sauvée. Le producteur est déjà trouvé : le milliardaire britannique Richard Branson, fondateur de Virgin, a annoncé qu’il offrirait 25 millions de dollars au chercheur qui trouvera le moyen de lutter efficacement contre les gaz à effet de serre.
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