OEIL NOIR MALICIEUX, sourire en coin mais allure discrète, le Dr Claude Pigement, 62 ans, dissimule sa nature opiniâtre. La ténacité et l'endurance incarnées. Depuis un quart de siècle, partout où il est invité – et on l'invite souvent car il est aimable et compétent –, cet homme tisse et retisse le fil entre le PS et les milieux médicaux, soigne les idées de gauche dans des assemblées plutôt à droite, dessine inlassablement des traits d'union entre ses confrères et son parti dont les thèses sont, dans ce milieu, très souvent à rebours du courant majoritaire. Combien de fois a-t-il saisi son bâton de pèlerin pour défendre le médecin référent ou les maisons de santé face à des salles circonspectes ou hostiles ? Combien de fois a-t-il plaidé pour des «forfaits» devant des libéraux qui ne juraient que par le paiement à l'acte ? Et combien de fois a-t-il décroché son téléphone pour «donner une réaction» à des journalistes qui n'avaient pas précisément songé à l'appeler ? Dans le secteur, la plupart des observateurs respectent sa connaissance des dossiers. Et son travail de bénédictin. «Il est l'homme qui n'a cessé de raccommoder le lien entre le PS et la médecine générale libérale, il réalise un travail de fond et de fourmi, joue un rôle de tampon», précise le généraliste écrivain Christian Lehmann, qui le connaît fort bien. Un rôle ingrat, à l'instar des missidominici de Charlemagne ? «Je suis respecté des médecins, objecte l'intéressé. Je suis de leur famille, toujours en activité, ma parole porte, car je ne suis pas le techno de service.»
Pas le M. Santé du PS.
Il n'a pas tort.A côté de ses fonctions au parti, son activité médicale se partage entre ses vacations de gastro-entérologue à l'hôpital Sainte-Périne (AP-HP), dans le très bourgeois XVIe arrondissement de Paris, la polyclinique d'Aubervilliers (93), le centre municipal de santé de Nanterre (92) et même une consultation mutualiste (Mgen). Qui peut dire mieux ? Une palette variée qui lui permet de frotter ses idées aux réalités du terrain. «Je vois beaucoup de gens, c'est ma force.»
Claude Pigement est ainsi : des convictions socialistes chevillées au corps (courant « Hollande », puis « royaliste »), la volonté de ne pas céder un pouce de terrain à la droite sur les questions de santé et d'assurance-maladie. S'il prend des coups lors des colloques auxquels il participe, il sait en donner. A Cannes, lors de la dernière université d'été de la Csmf, fin septembre 2006, il n'a pas hésité à expliquer aux médecins confédérés la «crise d'identité» de la médecine de ville, la «cassure» entre libéraux et pouvoirs publics dont le gouvernement serait «responsable». Toujours écouté, applaudi parfois. «Ce n'est pas un tribun fantastique, analyse un responsable syndical, mais dans un débat il sait faire passer les deux ou trois idées qui lui tiennent à coeur.»
C'est aujourd'hui au poste de responsable national du PS à la santé (longtemps «délégué national», il a pris du galon en mai 2006) que Claude Pigement dit «porter» la campagne « santé » de Ségolène Royal. Avec quelques autres dont le député ardéchois Pascal Terrasse, secrétaire national du PS à la Santé, plusieurs délégués ou experts santé et, dans un autre registre, le médiatique porte parole du groupe PS Jean-Marie Le Guen. Un attelage complexe qui avance parfois à hue et à dia. «Je ne suis pas le M.santé du PS, insiste-t-il, soucieux de ne pas se mettre en avant. Ségolène n'a pas voulu de shadow cabinet.»
Dans cette campagne ardue mais ouverte, il se démultiplie : charge contre la droite sur les sujets polémiques comme les franchises « Sarkozy » sur les soins ; fournit en haut lieu fiches techniques et argumentaires ; répond aux sollicitations de la presse, des syndicats, des Français. «Les courriers qu'on reçoit au PS, c'est dément, s'exclame-t-il. On nous interroge sur les dépassements de tarifs, les soins dentaires mal remboursés, on reçoit des choses personnelles sur la vie des gens. C'est la démocratie participative.»
Ferrailleur.
Les mauvaises langues ironisent sur son manque d'envergure. «Un éternel second couteau qui ne sera jamais député ni ministre», raille un observateur. Le Dr Jean-Paul Hamon, président de la FMF-Généraliste, corrige : «C'est un gars très honnête, maltraité par le PS qui ne l'a pas récompensé à la hauteur de son engagement.»
Tout son parcours, cohérent, éclaire pourtant sa volonté de faire émerger au PS une réflexion solide sur les questions de santé. Adhérent dès 1974, il milite au sein de l'association « Santé et Socialisme », la « boîte à idées »du PS qui plaidait pour les centres de santé intégrés et la dissolution de l'Ordre. Des propositions reprises dans le programme santé de Mitterrand en 1981. Après la disparition de ce groupe, il s'investit dans le parti dont il ne quittera plus les arcanes. Au milieu des années 80, déjà délégué national à la santé, il rencontre «Ségolène», conseillère sociale à l'Elysée. «Elle était très concrète, n'avait peur de rien, raconte-t-il un brin flagorneur . Si elle avait une idée, elle se battait pour la faire passer.» En 1988, c'est lui qui anime le comité de soutien des professionnels de santé à François Mitterrand. Les ministres de la Santé passent ( «J'ai tiqué avec Schwartzenberg [record de brièveté absolue], ClaudeEvin marquera l'histoire»), les majorités changent, lui creuse le même sillon. Fidèle mais pas apparatchik, il s'efforce de maintenir les relations entre le PS et cette mouvance médicale, au pouvoir électoral réel ou mythifié. Il ferraille contre le plan Juppé en 1996, soutient les internes en colère mais cultive malgré lui son image d'homme de l'ombre : aux législatives de 1997, il ne sera que suppléant. Ses regrets? «Je n'ai pas pris la mesure du grand mouvement de grève des généralistes en 2001/2002. On avait toujours un train de retard.» Une leçon qu'il n'a pas oubliée.
Clin d'oeil aux opposants.
Aujourd'hui, il concentre ses flèches contre la réforme de l'assurance-maladie «injuste, inefficace» malgré le «talent» qu'il reconnaît à Xavier Bertrand, propulsé porte-parole de Nicolas Sarkozy . L'idée du médecin traitant était «bonne», concède Claude Pigement, mais elle a été «pervertie»;etles généralistes, tranche-t-il, sont «asphyxiés par la paperasse».
D'aucuns seraient découragés par les sondages qui accordent seulement 16 % des suffrages médicaux à Ségolène Royal, trois fois plus à Nicolas Sarkozy (1). Pas Claude Pigement qui donne des gages aux opposants à la convention, majoritaires dans le collège généraliste. «Ils ont raison de se plaindre, il y a un décalage entre les syndicats qui négocient et les résultats des élections aux unions: en cas d'alternance, il faudra tout remettre à plat, faire une enquête de représentativité.» Brique après brique, le maçon Claude Pigement continue de construire des ponts entre la profession et le parti. Mais refuse d'endosser des habits trop larges. «Je n'ai aucun projet, sourit-il. Mais si Ségolène gagne, la palette sera large.»
(1) Sondage « Le Quotidien »-Ifop sur le vote des médecins (édition du 12 avril)
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