CLAUDE FRÉMONT jette l’éponge demain à 63 ans, à deux ans de sa retraite, comme il l’avait annoncé six mois plus tôt (« le Quotidien » du 23 mars). Le trublion médiatique de la Sécu quitte donc la direction de la caisse primaire d’assurance-maladie (Cpam) de Nantes où il a travaillé pendant trente ans à différents échelons. En guise de solde de tout compte, il publie, le 5 octobre, « Adieu Sécu », illustré en couverture par sa propre carte Vitale coupée en deux par dépit. «Zorro est fatigué, Lucky Luke en retraite. Et le Chevalier blanc descend de son cheval», résume en avant-propos Claude Frémont, qui s’enorgueillit des surnoms que lui ont attribués les médias ces dernières années.
Il «aurait aimé être avocat ou journaliste», mais il débuta sa carrière d’abord comme instituteur. Devenu professeur d’anglais après des cours du soir, il finit par intégrer le Cnesss (Centre national d’études supérieures de la Sécurité sociale)... «sur un coup de tête». Son premier coup d’éclat pour dénoncer les abus et les fraudes à l’assurance-maladie remonte à 1994, lorsque Claude Frémont sonne «l’alerte» dans une lettre adressée aux professionnels de santé de Loire-Atlantique. Dans son livre, il égrène tous ses faits d’armes, et en particulier sa longue bataille judiciaire contre l’Olympique de Marseille, menée entre 1999 et 2005 pour obtenir in fine le remboursement de 200 000 francs d’indemnités journalières versés à un joueur du Football Club de Nantes, victime d’une blessure.
L’opiniâtre directeur de caisse a, bien sûr, eu plus souvent des professionnels de santé libéraux dans le collimateur. Avec son service du contrôle médical, il a débusqué de nombreuses escroqueries à la Sécu : de l’affaire du kiné magouilleur aux fausses hospitalisations de ressortissants français en Afrique, en passant par les «médecins stupéfiants» qui s’autoprescrivent leur drogue sur ordonnance, le pharmacien aux fausses vignettes et les trois psychiatres qui consultaient en clinique «365jours par an».
La bête noire des libéraux.
Mais Claude Frémont ne s’est pas contenté de récupérer des indus au nom de la bonne gestion de fonds publics. Grisé par le tourbillon médiatique, il a simplement cherché aussi à «marquer les annales», comme il le reconnaît lui-même au détour d’une page. Par son intransigeance et ses provocations verbales (il évoqua l’idée de «flashballs» contre les généralistes du Calvados en pleine fronde tarifaire pour le C à 20 euros), il est devenu la bête noire des médecins libéraux, qui ont pris l’habitude de manifester sous les fenêtres de sa caisse. Et Claude Frémont le leur rend bien en fustigeant dans son livre les principes fondamentaux de la médecine libérale inscrits dans la loi en 1971 à la demande de la Csmf (libre choix du médecin, liberté d’installation et de prescription, paiement à l’acte...). «Sous ses dehors nobles et séduisants, ce texte est une supercherie, écrit-il. Le législateur se moque du monde. Sous la dictée des médecins libéraux, il nous fait prendre des vessies pour des lanternes, les intérêts du médecin libéral pour ceux de l’assuré social. Ceux d’une corporation pour ceux de la nation, des concepts idéologiques pour des préceptes déontologiques.»
Dans un style toujours enlevé et caustique, le directeur de la Cpam de Nantes tourne de même en dérision la convention de 2005, qui a réconcilié la Csmf avec l’assurance-maladie et créé «la plus extravagante usine à gaz jamais inventée par les technocrates qui nous gouvernent désormais».
La personnalisation de sa gestion et de ses prises de position ont isolé Claude Frémont à la Sécu. Résultat : son histoire est aussi celle du contrôleur contrôlé. Fin 2005, un audit général de sa Cpam lancé par la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam) lui a reproché de «privilégier le contrôle» et l’a obligé à fermer ses chères «maisons de la Sécu» de proximité, pour cause de «problème d’efficience» et d’incompatibilité avec «la stratégie d’enseigne» du réseau.
Claude Frémont évoque à cet égard le choc des cultures qu’il a vécu ces dernières années. Le directeur se montre sincèrement affecté par les exigences d’«industrialisation de la production» et la transformation des assurés sociaux en «clients». Un nouvel univers «technocratique», rythmé chaque matin par «des circulaires rédigées dans un langage abscons, nourries de termes anglo-saxons (benchmarking, reporting, front office, back office, marketing...) , inaccessibles à la compréhension d’un directeur ancien, qui n’a plus sa place dans un monde certainement idéal, mais qui n’est plus le sien».
Si Claude Frémont tourne la page de la Sécu, il restera probablement «dans le monde de la santé et de la protection sociale», précise-t-il au « Quotidien ». Lui qui «n’aime pas le mot retraite» affirme hésiter entre «plusieurs propositions».
« Adieu Sécu », de Claude Frémont, Ed. du Cherche-Midi, 213 pages, 15 euros.
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