Le temps de la médecine:Bonnes et mauvaises notes
L'OREILLE musicale. Avoir de l'oreille. L'oreille absolue. C'est certain, l'audition joue un rôle prépondérant chez le musicien. C'est aussi son talon d'Achille. Qu'il joue en orchestre symphonique ou qu'il démontre son talent dans une salle largement sonorisée, l'instrumentiste soumet son oreille interne à rude épreuve. Et elle le lui fait savoir. « Les acouphènes et l'hyperacousie sont les deux principaux motifs de consultation spontanée, explique le Dr Christian Meyer-Bisch, consultant en audiologie à l'hôpital Beaujon (Paris). Viennent ensuite les baisses d'acuité auditive, le plus souvent dépistées par le médecin du travail. Dans ce cas, la principale inquiétude concerne l'évolution de la carrière professionnelle. Mais les craintes majeures portent sur l'hyperacousie ou sur la survenue d'une distorsion des sons, qui perturberait le jeu. »
On s'en aperçoit, les atteintes auditives sont univoques chez les musiciens, mais leur mode de survenue diffère selon la pratique musicale. Le Dr Meyer-Bisch voit d'ailleurs une majorité de musiciens classiques en consultation. Ceux qui jouent de la variété ou du rock consultant moins volontiers, « un peu comme si, sachant qu'ils prennent des risques, ils se voilaient la face ». Il constate également une très faible proportion de disc-jockeys, « mais ceux que j'examine ont l'audition d'un chaudronnier de 55 ans ».
Assis devant les cuivres.
Au premier rang des musiciens « acoustiques » exposés viennent... les altistes. On peut s'étonner du pouvoir destructeur d'un alto. « Dans un orchestre, les altistes sont assis devant les cuivres. Le traumatisme vient de l'environnement bien plus que de l'instrument lui-même, explique le spécialiste. Autres victimes, ces mêmes joueurs de cuivres lorsqu'ils ont derrière eux une seconde ligne identique. Les harpistes sont particulièrement concernés parce qu'ils sont situés à proximité des percussions. »
Enfin, le violon, indépendamment de l'environnement orchestral, endommage, de façon limitée, l'oreille gauche. La perte auditive, de l'ordre de 40 à 50 dB, est très limitée en fréquence. Il s'agit d'une « encoche audiométrique, centrée typiquement aux alentours de 4 000 Hz ».
Alors que les musiciens classiques arrivent en consultation vers 45-50 ans, ceux qui s'expriment grâce à une sono viennent bien plus tôt, « dès 25-30 ans ». Ici apparaît une autre curiosité : de tous ceux qui jouent sur le mode amplifié, les plus malmenés sont ceux qui n'utilisent pas d'amplificateur, les batteurs et les percussionnistes. L'explication est simple. La batterie se joue fort, même en répétition ou lors du travail des partitions. Une batterie, quand le musicien « cogne un peu », atteint les 100 dB, avec une grande proportion de sons aigus ; la caisse claire atteint 135 dB en pic au niveau de son oreille. « Ce nombre représente la limite du tolérable dans le monde du travail... et les musiciens s'exercent plusieurs heures par jour. Quand on songe qu'en concert tous les instruments, la batterie comprise, sont amplifiés, les niveaux sonores atteints impressionnent. »
Les méfaits du « retour ».
Cette fameuse batterie conditionne le besoin d'amplification des autres instruments. Le saxophone, la contrebasse ou la guitare acoustique, par exemple, ne peuvent rivaliser en volume sonore avec les percussions. Une chaîne d'amplification est donc nécessaire pour de tels instruments... ainsi que pour la batterie. Une fois tout le groupe muni de micros, chacun a besoin d'un haut-parleur en face de lui, ou « retour », pour s'entendre jouer et suivre l'ensemble. Ce « retour » est connu pour ses traumatismes sonores. « Il est de plus en plus remplacé par des"ear monitors", sortes d'embouts placés dans l'oreille et contenant un petit écouteur. Même s'ils disposent d'un potentiomètre, personne n'a pu contrôler jusqu'à présent les niveaux sonores qu'ils délivrent chez les musiciens. »
Alors qu'on espérait, en obstruant l'oreille, une protection de l'audition, il y a tout lieu de craindre un effet inverse en raison des volumes sonores fournis. Christian Meyer-Bisch précise en effet que ces mini-haut-parleurs manquent de basses, indispensables pour sentir le rythme. « Les musiciens augmentent donc le niveau jusqu'à le sentir. »
Hors ces deux types d'instrumentistes apparaissent de nouvelles victimes de la musique amplifiée : ceux qui jouent au casque. Il faut comprendre par là, tout d'abord, ceux qui utilisent des instruments muets et dont le son est retransmis via un casque, « pour ne pas gêner les voisins ». Ici encore, aucune maîtrise du volume sonore n'est possible. S'ajoutent ensuite à ces musiciens les compositeurs amateurs. Ils profitent des prodiges informatiques et des claviers pour écrire de la musique. Selon Christian Meyer-Bisch, manquant souvent de bases musicales, ils accentuent la partie rythmique de leur création, qu'ils ressentent mieux en poussant le volume du casque. Plusieurs heures par jour d'un tel traitement ne laissent pas la cochlée indemne.
Protéger son instrument le plus précieux
De la même façon qu'il existe deux modes d'atteinte auditive chez le musicien (orchestre symphonique ou amplification), il est possible d'envisager deux types de protection.
En formation classique, la situation la plus à risque est la fosse d'orchestre, où tous les musiciens se situent sur le même plan horizontal. Pour les protéger, la première solution consiste à les installer sur des estrades, les sons des musiciens du fond passant au-dessus de ceux des premiers rangs. La seconde consiste en des sortes de paravents, ou pare-son, en Plexiglas disposés derrière les postes les plus exposés, notamment les altistes. Ces protections transparentes et arrondies demeurent quasi invisibles du public. Elles peuvent être utilisées en répétition et en concert.
Tous les musiciens peuvent également tirer bénéfice d'une occlusion du conduit auditif. Le Dr Meyer-Bisch en précise les modalités. « Il faut éviter les bouchons en mousse qui atténuent surtout les aigus. S'il a déjà une petite perte auditive portant ces fréquences, le musicien ne maîtrise plus son instrument. Il convient de conseiller des protections linéaires en fréquence, c'est-à-dire abaissant uniformément les sons sur toutes les fréquences. » Ces bouchons sont moulés selon le conduit auditif du musicien et contiennent un filtre qui abaisse le volume sonore de 15 ou 25 dB. Le seul modèle disponible s'appelle Pianissimo et coûte environ 150 euros. La réduction de 25 dB est conseillée aux batteurs, « ainsi qu'aux techniciens du spectacle et aux photographes de scène, tout autant à risque ». Le filtre à 15 dB convient pour tous les autres.
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