Cisjordanie : les ONG dénoncent de graves entraves aux secours humanitaires

Publié le 17/04/2002
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« Depuis le début de mars, plusieurs dizaines d'intervenants sanitaires, parmi lesquels des médecins, ont été blessés ou ont perdu la vie, en essayant de sauver celle d'autrui menacée par des opérations militaires dans la plus grande partie des zones autonomes palestiniennes réoccupées par l'armée israélienne », dit au « Quotidien » Alexandra Matijevic, coordinatrice de la communication du comité international de la Croix-Rouge (CICR), basée à Jérusalem.

« Les forces armées manquent de respect pour les services médicaux et les travailleurs humanitaires », commente la jeune femme. Sur 95 ambulances du Croissant Rouge palestinien (CRP), qui coopère avec le CICR pour les évacuations médicales, « plus de 70 ont été endommagées par des tirs », ce depuis le début de la 2e intifada (30 septembre 2000). Yaakov Levy, ambassadeur d'Israël auprès de l'ONU à Genève, affirme, pour sa part, que certains groupes palestiniens armés utilisent à leurs fins des voitures du Croissant Rouge.

Le parcours du combattant

Le CICR, qui s'emploie à faciliter le travail des ambulanciers du CRP, en coordonnant leur mouvement en liaison avec les autorités israéliennes, fait l'objet d'attaques. A quatre reprises, ses véhicules blancs frappés du logo « CICR » ont reçu des projectiles, en mars-avril 2002, à Jénine et à Tulkarem. Dans cette dernière localité, c'est un de ses bureaux qui a été malmené par les soldats israéliens. Une enquête est en cours, pour évaluer les dégâts.
« A chaque check-point, et ils sont nombreux, les intervenants de la Croix-Rouge sont immobilisés, fouillés, mis à nu, humiliés. Les Israéliens veulent vérifier s'ils ne sont pas porteurs d'explosifs. Et les coup de feu dans notre direction sont fréquents, précise Alexandra Matijevic. Le 8 avril, à Naplouse, la plus grande ville du nord de la Cisjordanie, nous avons mis treize heures pour parcourir 2 kilomètres en ambulance. Nous sommes restés bloqués cinq jours aux portes de Jénine, avant de pouvoir y pénétrer le 15 avril. Le dernier accès dans cette cité de 20 000 âmes remontait au 8 avril, jour où trois ambulances ont évacué chacune, vers l'hôpital gouvernemental (très proche), un seul blessé ou malade, ce qui leur a pris pas moins de 6 heures. Un parcours du combattant. Le 15 avril, 3 blessés et 7 cadavres sont pris en charge par 3 équipes de la Croix-Rouge et 5 ambulances, là encore dans des conditions inimaginables. Jénine, ce jour-là, offre le spectacle d'une communauté ravagée par un tremblement de terre. Sans matériel, type pelleteuse, que faire ? Les survivants, qui doivent s'accommoder de corps en décomposition, n'ont ni eau ni nourriture ».
Le lendemain, 16 avril, le CICR œuvre toujours à Jénine, « sans filet », aux côtés de l'office de l'ONU pour l'aide aux réfugiés palestiniens (UNRWA), « et toujours dans le cadre du couvre-feu ». Pour l'essentiel, et compte tenu du danger couru, la Croix-Rouge évite dorénavant de prendre des risques, privilégiant les « priorités fondamentales du Croissant Rouge, à savoir la livraison de médicaments et de nourriture aux hôpitaux, l'accès aux blessés et aux malades et les évacuations sanitaires ». Autant dire qu'elle fait plus qu'assurer un service minimal. Dans tous les cas, la situation se révèle « très hétérogène », et elle évolue « très rapidement », note la représentante du CICR.
Le Dr Pierre-Pascal Vandini, 43 ans, directeur adjoint des opérations à Médecins sans Frontières (MSF), gardera « pour toujours » en mémoire ce qu'il a vécu sur le terrain entre le 5 et le 13 avril. Arrivé dans la nuit du 5 au 6 avril à Hébron (130 000 habitants), deuxième ville de Cisjordanie, en compagnie d'un confrère généraliste, d'un chauffeur-traducteur et d'un responsable de projet, il est « très vite dans le bain ». « Nos opérations de secours aux blessés et aux malades n'ont jamais été facilitées, dit-il au "Quotidien". Nous étions sous menace constante des forces armées, voire de colonne de chars. Et les communications téléphoniques permanentes que nous devions entretenir avec des responsables israéliens n'arrangeaient guère le cours des choses, pas plus, d'ailleurs, que notre véhicule ou nos habits parfaitement identifiables avec la griffe "MSF", ainsi que nos papiers parfaitement en règle. Pendant les trois jours où nous sommes intervenus, et à la fois restés bloqués, à Yattah (35 000 habitants), au sud d'Hébron, la maternité Nasser, qui nous abritait, n'a cessé d'être attaquée par des rafales de mitraillettes. Le mur de façade d'une autre maternité de la ville a été ébranlé. Pendant ce temps, dans les deux établissements, les femmes présentes continuaient à accoucher. Pour notre part, nous cherchions à faciliter le transport de patients à leur domicile en escortant les ambulances réquisitionnées. Nous avons dû venir en aide, en outre, à une vingtaine de blessés, des enfants, des femmes et des vieillards fauchés sur le seuil de leur habitation. Quelques-uns étaient touchés au thorax ou à la tête, mais la plupart à l'aine. Il s'agit là de blessures systématiques, témoignant de la volonté de tuer. Ainsi, en dehors de consultations sur place afin d'écarter un transport délicat, nous avons fait évacuer 15 blessés graves. Lors de l'une de ces évacuations, deux jeunes de 14 et 16 ans atteints à l'aine ont été sortis de l'ambulance sans ménagement pour une vérification d'identité. Quelle que soit l'origine des secours, palestiniens comme internationaux, les forces israéliennes dressent des obstacles », conclut le Dr Vandini.

La négation de l'accès aux soins

Jean-Christophe Pegon, coordinateur général des activités de Médecins du Monde (MDM) en Palestine, en poste à Jérusalem après avoir quitté Ramallah peu avant l'incursion israélienne du 29 mars, partage les mêmes sentiments. « Le problème majeur, pour une organisation médicale, et en tout premier lieu pour la médecine palestinienne à la fois très performante et riche en personnel, est de ne pas avoir accès aux blessés, déplore-t-il. En Cisjordanie, de fait, c'est la négation de l'accès aux soins. On empêche les ambulances de prendre des blessés et les médecins palestiniens d'exercer. Nombre de blessés, faute d'être traités immédiatement, deviennent à risque. Quant aux malades "ordinaires", mais aussi les diabétiques ou les dialysés, ils sont livrés à eux-mêmes. »
Cela étant, MDM, avec d'autres ONG, organise, autant que faire se peut, des « convois humanitaires de médicaments au profit de structures hospitalières éprouvées par les combats », tant à Naplouse qu'à Jénine. Des livraisons de matériel médicaux sont envisagées, mais, pour l'heure, l'irrationnel et l'absence de suivi règnent sur les opérations.
Une fois de plus le droit international humanitaire est bafoué et la IVe convention de Genève sur la protection des civiles en temps de guerre oubliée.

Philippe ROY

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7110