Hôpital de Villeneuve-Saint-Georges

Cinq gardes à vue soulèvent une vive émotion

Publié le 19/12/2006
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«AU TROU» trente et une heures d’affilée après une fouille «humiliante», sans ceinture, sans lunettes, et avec pour compagnon de cellule un jeune Turc délinquant relâché au petit matin : le Dr Bernard Maria garde un cuisant souvenir de sa récente garde à vue. «J’ai vécu cela comme une torture mentale», raconte le gynécologue, encore sonné. Ni braqueur de banque, ni criminel, le Dr Maria a séjourné au poste de police après le dépôt d’une plainte d’une sage-femme qui l’accuse de harcèlement moral. Quatre autres de ses collègues ont subi le même sort : le directeur de l’hôpital, deux de ses adjoints, et le chef de la sécurité de l’établissement ont également été placés en garde à vue la semaine dernière, pour le même motif. Moins chanceux que le Dr Maria, le directeur a passé un long moment menotté au banc : les cellules étaient pleines. Finalement, tous ont été relâchés.

Au total, ce sont donc cinq salariés de l’hôpital qui ont individuellement porté plainte contre leur supérieur hiérarchique. Les faits reprochés sont déconnectés, parfois anciens. Et trois des plaignants sont rattachés à la CGT. Faut-il suspecter un règlement de compte syndical ou une manipulation orchestrée, comme le croient certains ? Michèle Trucy, syndicaliste CGT au CHI de Villeneuve-Saint-Georges, balaye l’accusation : «L’ambiance se dégrade depuis 2003, affirme-t-elle . Surcharge de travail, mises au placard, changements fréquents de bureau: les salariés de plusieurs services sont à bout. La CGT leur a conseillé de porter plainte, mais le syndicat ne s’est pas porté partie civile.»

Sous le choc.

A ce stade, difficile de dire s’il y a ou non harcèlement moral en série à l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges. L’enquête se poursuit. Non-lieu, classement sans suite, ou au contraire mise en examen et sanction au pénal : il faudra patienter plusieurs mois avant de connaître l’issue.

En attendant, les personnes poursuivies sont sous le choc. Le directeur de l’hôpital, Philippe Paris, parle d’une «pénalisation de relations hiérarchiques relevant du champ disciplinaire». La mise en cause du Dr Maria, qui dirige la maternité de l’établissement, l’inquiète particulièrement : «Ce chef de service a considéré que la sage-femme qui a ensuite porté plainte contre lui mettait en cause la sécurité de la maternité, raconte Philippe Paris. Il m’a alerté par des rapports disciplinaires légitimes basés sur des faits, et signés par l’ensemble des médecins du service. Où est le problème?» Le Dr Maria livre sa version des faits : «Cette sage-femme ne faisait pas son travail.» Le chef de service a entamé il y a deux ansune procédure administrative d’insuffisance professionnelle à son encontre . «Si je suis condamné, où va-t-on?, s’interroge le Dr Maria. Cela voudrait dire que, à chaque conflit, tout personnel pourra porter plainte contre son chef. Ce serait une remise en cause de la hiérarchie, une atteinte au fonctionnement des services.»

Grève de solidarité.

Sans se prononcer sur le fond de l’affaire, l’ensemble du monde hospitalier s’est aussitôt mobilisé pour soutenir les cinq personnes mises en cause. Une grève de solidarité a été organisée localement, les sages-femmes se sont toutes rangées derrière leur chef de service, tandis que les syndicats ont relayé l’information au plan national. L’étape au poste de police a particulièrement marqué les esprits. «La garde à vue, qui est pour le moins traumatisante pour une affaire de conflit du travail, paraît disproportionnée, commente le Dr Jacques Lansac, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (Cngof), qu’a présidé en son temps le Dr Bernard Maria. «Disproportionnée» : c’est également le terme employé par la Fédération hospitalière de France (FHF) pour qualifier la procédure employée.

Les hospitaliers craignent aussi que l’affaire ne fasse jurisprudence. La garde à vue, reprend le président du Cngof, «peut avoir des conséquences graves non seulement pour le médecin incriminé, mais aussi pour tous ses confrères qui risquent de voir leur autorité entamée. Au-delà, c’est l’ensemble des services de gynécologie en France qui est concerné: comment en effet garantir l’organisation des soins lorsque les consignes sont discutées ou bafouées?».

Les syndicats de directeurs d’hôpital ont également fait bloc derrière leurs trois collègues. Le Syncass-Cfdt demande que «dans le respect des règles de droit, la présomption d’innocence l’emporte sur les amalgames et les manipulations». Le Snch, «indigné», a saisi les ministres de la Santé et de la Justice. «Ces fait démontrent une exposition médiatique et judiciaire croissante de la profession», considère son président, Philippe El Saïr, qui demande à Xavier Bertrand de soutenir les directeurs d’hôpital dans leurs responsabilités.

> DELPHINE CHARDON

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8076