Cette technique de production « fournira un approvisionnement pratique de ciguatoxine pour les futures études », commente le Dr Masahiro Hirama (université de Tohoku, Sendai, Japon) dans un communiqué de presse. « Nous pouvons maintenant entreprendre des études en utilisant la ciguatoxine synthétique et les molécules chimiques apparentées qui ont été développées. Nous projetons de préparer un test simple et sensible, comme les bandelettes pour mesurer le pH, qui permettra de détecter la ciguatoxine à l'aide d'anticorps anticiguatoxine. Nous envisageons aussi de développer des vaccins contre la ciguatoxine. »
Plus de vingt mille personnes des régions tropicales et subtropicales (principalement les Antilles, Hawaii et la Floride) sont atteintes chaque année de ciguatera, l'intoxication alimentaire par le poisson la plus fréquente.
Plus de quatre cents poissons de roche (dont le barracuda et le mérou) peuvent être vecteurs de la ciguatoxine. Cette toxine est produite par un dinoflagelle (Gambierdiscus toxicus), un organisme unicellulaire qui vit sur les algues. Les poissons acquièrent cette toxine en consommant les algues toxiques ou d'autres poissons qui ont accumulé la toxine.
Une quantité infime suffit
Chez l'homme, une quantité infime (environ 70 ng) provoque la ciguatera en une à six heures. Vomissements, diarrhée aqueuse et crampes sont les signes observés. D'autres symptômes peuvent aussi être présents : anesthésie et paresthésies des lèvres et des extrémités, inversion des sensations de chaud et froid, odontalgie, troubles de la vision, tremblements, ataxie, hypotension et bradycardie. Les symptômes persistent souvent pendant des mois ou des années. L'affection peut parfois être sévère, avec paralysie, coma et décès.
Il est très difficile de recueillir la ciguatoxine dans la nature, car elle est présente en quantité infime dans les poissons et que les méthodes pour la développer en culture sont peu fiables. Les chimistes n'ont pas réussi à la synthétiser en raison de sa structure très grande et complexe.
Puisque les poissons de roche sont de plus en plus exportés vers les autres régions, et qu'il n'y a aucun moyen de détecter les poissons contaminés, la ciguatera pourrait devenir un problème de santé dans le monde entier.
Dix ans de travail
Le Dr Hirama s'est mis en tâche de synthétiser chimiquement la ciguatoxine en 1989, à la demande du Dr Yasumoto (université de Tohoku, Japon) qui venait d'isoler et de déterminer la structure de la toxine par résonance magnétique nucléaire. « Après dix ans de travail, nous avons finalement accompli la synthèse totale de la toxine, apportant la preuve du pouvoir de la synthèse organique moderne », déclare le Dr Hirama.
Son équipe a assemblé deux fragments similaires complexes et découvert un moyen de les unir. Puis le composé résultant a été perfectionné pour donner la ciguatoxine CTX3C. Une réserve suffisante de toxines ainsi que la création de nouvelles sondes moléculaires pourront permettre de mieux étudier comment les toxines s'attachent et s'attaquent au système nerveux. Ces neurotoxines se fixent à des canaux sodium sensibles au voltage, ce qui entraîne une activation persistante ou une ouverture prolongée de ces canaux.
« C'est un formidable exploit », commente dans un article associé le chimiste Istvan Marko (Université catholique de Louvain, Belgique).
« Science », 30 novembre 2001, p. 1903.
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