L'expérimentation du cannabis, c'est-à-dire sa consommation au moins une fois au cours de la vie, est en hausse chez les jeunes dans l'ensemble des pays occidentaux, depuis une dizaine d'années. Pour mieux cerner ce phénomène socioculturel, l'INSERM a effectué, à la demande de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), une expertise collective consacrée aux « Effets du cannabis sur le comportement et la santé »*.
Pour la MILDT, ce travail, pris en charge par Jeanne Etiemble, avec le concours, entre autres, du Dr Jean-Claude Coqus, généraliste, des psychiatres Isabelle Bailly, Xavier Laqueille et Michel Reynaud, avait pour but de « constituer un bilan des connaissances actuelles permettant d'adapter les prochains messages d'information et de prévention à destination du grand public » (voir encadré).
En France, le cannabis, qu'il soit sous forme d'herbe ou de résine, est presque exclusivement fumé en association avec du tabac. 60 % des garçons de 19 ans déclarent en avoir pris au moins une fois dans leur vie ; le pourcentage tombe à 50 % chez les 25-34 ans et à 30 % chez les 35-44 ans. L'expérimentation par les 15-16 ans a fortement augmenté de 1993 à 1999, de 12 % à 35 %, avec une dominante masculine à 16-17 ans, 42 % contre 34 % de filles.
De l'ivresse à la psychose cannabiques
Les effets sur l'organisme s'expliquent principalement par la présence de delta9- tétrahydrocannabinol, le plus abondant des 60 cannabinoïdes recensés dans la plante Cannabis sativa indica (chanvre indien). Les concentrations de ce principe actif inférieures à 2 % représentent 18 % des échantillons étudiés et rapportés dans nombre des 1 200 articles de la littérature scientifique internationale analysés par l'INSERM. Depuis 1996, les teneurs les plus fréquentes sont d'environ 8 % pour le mélange de feuilles, tiges et sommités florales de la plante, et de 10 % avec le haschich ou résine, même si l'on rencontre des concentrés, respectivement à 22 et 31 %. En 2000, 3 % des échantillons d'herbe et 18 % de résine contenaient plus de 15 % de principe actif.
Les données relatives aux modes de culture, utilisant des pesticides, ou de préparation, avec colorants, paraffine, excréments d'animaux ou encore huile de vidange, sont malheureusement quasi inexistantes. En revanche, les retombées sur le cerveau, dues à la propriété très lipophile du cannabinoïde majeur, sont connues, rappellent les experts de l'Institut. Les effets psychoactifs chez le fumeur durent en moyenne de deux à dix heures, selon la dose et la sensibilité individuelle. Il s'agit d'un état de somnolence, d'une euphonie et d'une sensation de bien-être. Les spécialistes parlent d' « ivresse cannabique », qui s'accompagne d'une détérioration de la perception temporelle et d'une incapacité à accomplir des tâches complexes. Le cannabis altère, de manière réversible, les performances psychomotrices et cognitives. Des sujets éprouvent des difficultés à se rappeler des mots, des images, des histoires ou des sons qu'ils devaient percevoir alors qu'ils étaient sous l'emprise du produit. A un stade de consommation plus élevé, des troubles du langage et de la coordination motrice ne sont pas à exclure et le temps de réaction est augmenté.
Des attaques de panique et des angoisses de dépersonnalisation, déjà observées, « pourraient être des facteurs d'arrêt de la consommation », souligne l'INSERM. Parmi des adultes socialement et affectivement bien insérés, on a pu observer un trouble psychotique, nommé « psychose cannabique », qui se manifeste par des signes proches de ceux des bouffées délirantes aiguës, avec une plus grande fréquence des hallucinations, en particulier visuelles.
Le syndrome, qui toucherait 0,1 % des usagers d'après une étude suédoise, est concomitant de l'intoxication ou se déclare dans le mois qui suit. Un traitement courant par neuroleptique permet de le faire disparaître. Globalement, la plupart des manifestations cliniques instantanées sont « mineures » : augmentation de la fréquence et du débit cardiaques, troubles digestifs ou encore vasodilatation et irritation oculaires. Des substances comme des produits dérivés de la combustion ou résultant de coupage pourraient en expliquer en partie le déclenchement. Les goudrons de cannabis, comme ceux du tabac, ont un fort potentiel irritant pour les muqueuses bronchopulmonaires, à l'origine de toux. Mais aucun cas de décès n'a jamais été publié, « ce qui est en accord avec la faible expression des récepteurs cannabinoïdes au niveau des centres cérébraux de contrôle des principales fonctions vitales, comme les fonctions respiratoires et cardio-vasculaires ».
Des effets différés
Outre les retombées immédiates, l'INSERM met l'accent sur les effets différés liés à un usage répété et régulier. Car 13 % des garçons et 7 % des filles de 17 ans ont fumé dix fois et plus au cours des trente derniers jours. Pour ce qui est de la dépendance, « l'Association américaine de psychiatrie la décrit comme n'étant pas, en général, de nature physique. Toutefois, un phénomène de tolérance, qui est un des critères diagnostiques de dépendance physique, est observé. Il se caractérise par le besoin de quantités notablement plus fortes de substance pour obtenir l'effet recherché », tandis qu'un « syndrome de sevrage de faible intensité » est signalé.
Des études américaines évaluent à 5 % la proportion de sujets, dans la population générale, qui présente un risque de dépendance ; chez les personnes ayant déjà goûté au cannabis, elle serait de 10 % et de 30 % parmi les 15-21 ans « expérimentateurs de tabac ».
Si impact sur le cerveau il y a, essentiellement des troubles de mémoire, « les recherches n'ont pas apporté la démonstration d'une persistance de cette perturbation ».
Un impact sur le système endocrinien est possible puisque quelques études ont montré qu'une consommation importante et répétée était associée à une diminution de la production de spermatozoïdes et à la présence de cycles sans ovulation chez la femme. Des cancers bronchiques et des voies aérodigestives supérieures ont été signalés chez des jeunes qui fument exclusivement du cannabis. A noter que la quantité de goudrons dans un joint est plus élevée que dans une cigarette classique, 50 mg au lieu de 12.
En fait, les fumeurs de cannabis ne sont pas égaux face à l'abus. Certains sont plus vulnérables que d'autres et, parmi eux, les adolescents consommateurs précoces de tabac ou d'alcool, ou ayant une faible estime de soi, une personnalité antisociale, des difficultés à faire face aux événements et aux problèmes, ou encore des antécédents familiaux (alcoolisme, toxicomanie). En dernier lieu, il y a des situations particulières qui rendent l'abstinence impérative. Il faut le faire savoir aux automobilistes, aux personnes exerçant un métier où la sécurité d'autrui dépend de leur vigilance, aux femmes enceintes (au nom de leur futur enfant) et aussi aux schizophrènes et aux jeunes filles boulimiques. Dans ces derniers cas, les risques de passer à l'acte suicidaire, pour les uns, et de développer davantage de troubles de l'humeur et de troubles anxieux sont plus grands.
Au total, quatre constats majeurs se dégagent du travail d'analyse de l'INSERM. En premier lieu, l'expérimentation du cannabis concerne essentiellement les 15-19 ans, et pour des usages d'au moins dix fois dans l'année, la proportion de garçons est plus importante. Les campagnes d'information et de prévention « doivent tenir compte des différences de consommation en fonction de l'âge et du sexe ».
Selon le nombre de « prises », les conséquences sanitaires et sociales sont variées. Il faut donc « cibler les messages en distinguant risques sanitaires immédiats et à plus long terme ».
Il importe de considérer « certains facteurs génétiques, sociaux ou familiaux » lorsqu'on s'adresse à des sujets à la personnalité vulnérable. Enfin, les femmes enceintes, les patients souffrant de troubles mentaux et les conducteurs automobiles nécessitent une « vigilance accrue ».
Alors, faut-il dépénaliser, sur le papier, l'usage du cannabis ou le légaliser ? La question reste ouverte, et bien audacieux sera le ministre qui en fera un thème électoral lors de la présidentielle.
* « Cannabis : quels effets sur le comportement et la santé ?» Edit. INSERM, 2001, tél. 01.44.23.60.82.
Questions-réponses de l'INSERM sur le cannabis
. Quelle est la proportion d'usagers qui prennent d'autres produits ?
5,5 % des 15-19 ans qui ont expérimenté le cannabis ont consommé aussi de la cocaïne, de l'héroïne, du crack, des amphétamines ou des hallucinogènes.
. La consommation détruit-elle les neurones ?
La neurotoxicité est fonctionnelle et réversible : des fonctions cérébrales sont atteintes, mais les neurones ne sont pas touchés.
.Certaines classes sociales sont-elles plus touchées ?
Dans l'enquête ESPAD (European School Survey Project on Alcohol and other Drugs) de 1999, les enfants de cadres et de professions intermédiaires sont plus nombreux à déclarer en consommer régulièrement.
.Peut-on le détecter par un examen médical ?
Un dosage de delta9-tétrahydrocannabinol permet de mettre en évidence l'usage, sans préjuger du temps écoulé depuis la dernière prise. Pour un dosage plus précis, des méthodes effectuées sur le sang sont nécessaires.
. Quel est son rôle dans la douleur ?
Il participe aux effets antinociceptifs, en activant les récepteurs CB1 présents à la fois dans les structures du système nerveux central contrôlant la transmission de la douleur et au niveau des terminaisons nerveuses mêmes.
.Fortement dosé, est-il plus dangereux ?
La façon d'inhaler la fumée détermine en partie la concentration sanguine en principe actif ; de 15 à 50 % de celui-ci sont absorbés et passent dans le sang. Et s'il est établi que les concentrations en question sont responsables des effets sur le cerveau, les relations dose-impact sont encore mal caractérisées.
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