TOUT A COMMENCÉ il y a une quinzaine d'années. A l'époque, Christine Petit, directrice de l'unité génétique des déficits sensoriels, constate que les mécanismes moléculaires qui sous-tendent le développement et le fonctionnement de la cochlée sont inconnus. Mais aussi que l'on ne connaît rien des gènes impliqués dans la surdité isolée – non associée à d'autres signes cliniques.
«J'ai pensé que l'approche génétique devait permettre d'accéder aux protéines qui ont un rôle essentiel dans le développement et le fonctionnement de la cochlée, explique-t-elle. Il m'est vite apparu qu'il existait des formes de surdité héréditaires. Or, parce que les malentendants s'unissent souvent entre eux, ils forment des familles au sein desquelles plusieurs gènes de surdité peuvent être transmis. Ce qui n'avait pas permis jusque-là d'isoler les gènes responsables de la perte de l'acuité auditive. J'ai conclu que seules les familles de malentendants résidant dans des isolats géographiques pouvaient nous permettre d'y parvenir. «Avec mon équipe, poursuit la chercheuse, j'ai alors développé des collaborations avec plusieurs médecins et scientifiques de pays où existent de tels isolats (Tunisie, Liban, Jordanie, Maroc, Iran) . Nous avons ainsi pu localiser les deux premiers gènes responsables de surdité précoce, sévère ou profonde sur les chromosomes humains.»
Aujourd'hui, Christine Petit et coll. ont isolé une vingtaine de gènes responsables de surdité. «Nous avons aussi pu démontrer, contre toute attente, que l'atteinte de l'un d'eux (parmi la centaine prédite) est l'une des affections héréditaires les plus fréquentes. De fait, elle est à l'origine du tiers, voire de la moitié, des cas de surdité sévère ou profonde du jeune enfant. Ce gène, qui code pour la connexine 26, est responsable d'une atteinte des cellules non sensorielles de la cochlée.»
L'équipe de Christine Petit a aussi découvert quatre grands types de mécanismes défectueux dans la surdité de l'enfant. Des atteintes purement mécaniques de la cochlée, comme celles qui portent sur la membrane tectoriale qui vient stimuler les cellules sensorielles. Des atteintes de l'homéostasie ionique de la cochlée, cruciale pour maintenir le courant de mécanotransduction qui convertit le signal acoustique en signal électrique. Des déficits synaptiques des cellules sensorielles, peu nombreux. Enfin, des atteintes, extrêmement fréquentes, de la touffe ciliaire, structure de réception du son qui se situe à l'apex des cellules sensorielles, stimulées par le son, elle opère la transduction acoustico-électrique.
Significatifs, les résultats de ces travaux ont révélé de multiples mécanismes impliqués dans le fonctionnement de la cellule sensorielle à l'échelle moléculaire. Mais aussi les gènes responsables de surdité, la fraction des surdités dues à l'hérédité et la pathogénie des différentes formes de surdité. Une démarche pionnière à laquelle se sont ralliés un grand nombre de laboratoires à travers le monde et un champ de recherche aujourd'hui particulièrement dynamique.
Conseil génétique.
Le caractère héréditaire de l'atteinte auditive peut être confirmé. Ces études bénéficient aux malentendants et à leurs familles, en améliorant largement la qualité du conseil génétique. «Aujourd'hui, on sait qu'un bon interrogatoire permet d'éliminer une éventuelle origine environnementale d'une surdité. Le développement du diagnostic moléculaire, pour les formes les plus fréquentes de surdité héréditaire de l'enfant, permet alors bien souvent de confirmer le caractère héréditaire de l'atteinte auditive et donc d'informer les familles du risque de récurrence de la surdité pour les enfants à venir. Et de prédire aussi l'apparition ultérieure éventuelle d'autres symptômes», affirme Christine Petit.
«Pour le syndrome d'Usher (surdité associée à une cécité) , par exemple, l'intérêt du diagnostic moléculaire est de pouvoir guider les parents dans leur prise de décision en ce qui concerne la pose d'un implant cochléaire. D'une façon générale, nous sommes en mesure d'identifier les formes de surdité de l'enfant que la pose d'un implant cochléaire peut améliorer.»
En outre, sur la base de l'identification des gènes impliqués dans les diverses formes de surdité, il est possible d'entreprendre une description clinique de chacune de ces formes.
Les travaux de Christine Petit ont amélioré la compréhension de la signification des résultats de tests cliniques utilisés pour explorer la surdité, grâce aux connaissances acquises sur le fonctionnement de la cochlée. Pour certaines formes de surdité héréditaire, déclenchées par la prise de certains médicaments, la prévention est possible par la recherche de mutations. Le premier gène de susceptibilité à la surdité déclenchée par l'exposition au bruit vient d'être découvert.
Tout en poursuivant le déchiffrage des surdités précoces et du fonctionnement de la cochlée, l'équipe du Pr Christine Petit s'est engagée à relever un nouveau défi : la recherche des facteurs de susceptibilité à la surdité tardive neurosensorielle (la presbyacousie). L'objectif avoué : réussir une percée thérapeutique alors que seules des prothèses auditives peuvent aujourd'hui être proposées aux malentendants.
La surdité en chiffres
Aujourd'hui, un enfant sur sept cents est atteint de surdité sévère ou profonde en période prélinguale. Un enfant sur mille deviendra sourd sévère ou profond avant l'âge adulte. 2,3 % de la population entre 60 et 70 ans souffre de surdité sévère ou profonde. Et 40 % des personnes au-delà de 65 ans sont gênées dans leurs échanges conversationnels par une perte d'acuité auditive.
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