« J'avais franchi une frontière invisible, et je l'avais franchie en silence, dans une totale solitude, puisqu'elle est interdite. J'avais aidé un être humain à mourir, parce qu'il me l'avait demandé. Courage ou faiblesse de ma part ? Qui étais-je, moi, petite infirmière diplômée, pour oser tenir la main de ce mourant, et abréger sa souffrance ? J'étais celle à qui le mourant avait fait promettre. J'étais celle qui regardait la mort arriver du même regard que lui, et accompagnait sa souffrance », écrit Christine Malèvre dans un livre intitulé « Mes aveux »*. C'était quelques mois après avoir été mise en examen, en juillet 1998, pour plusieurs « homicides volontaires » dans le cadre de son travail au service de pneumologie de l'hôpital de Mantes-la-Jolie (78).
Au début de l'affaire, Christine Malèvre en mentionne une trentaine à son actif. Elle se rétracte par la suite et ne reconnaît que « quatre cas d'euthanasie active » à la demande des patients ou de leur famille. Du 20 au 31 janvier, elle comparaîtra devant la cour d'assises des Yvelines pour l'assassinat de sept de ses patients.
Des troubles de la personnalité ?
C'est le juge Richard Pallain, chargé de l'instruction, qui a pris la décision de requalifier les faits d'homicide volontaire en assassinats (lequel inclut la préméditation), en 1999, après avoir pris connaissance des conclusions de deux rapports d'expertise particulièrement accablant. Les premiers psychiatres, Jean-Philippe Guéguen et Marc Peyron, qui ont examiné Christine Malèvre en 1998, ont décelé des « troubles de la personnalité », des « carences affectives », un « moi hypertrophié à la limite de la mégalomanie » et « une fascination morbide » pour les malades et les souffrants. Une fascination que récuse Christine Malèvre, laquelle s'est livrée depuis à une psychothérapie et a été soignée avec des antidépresseurs. Les seconds psychiatres, Frantz Prosper et Roland Coutanceau, parlent d'une « dimension immature et névrosée » de la personnalité de l'infirmière et d'un « surinvestissement passionnel » de sa fonction.
Christine Malèvre a-t-elle changé de peau, maintenant qu'elle travaille à la chaîne dans une usine à Laval ?
C'est pourtant par passion qu'elle est devenue infirmière. Sortie major de son école - on la dit « dévouée » -, elle commence sa carrière en maternité pour s'orienter finalement vers les malades en fin de vie.
Un service difficile
En 1995, elle est volontaire au service de neurologie et de pneumologie de l'hôpital de Mantes-la-Jolie, un service difficile qui accueille souvent des patients en soins palliatifs. Alors qu'elle attend des médecins un soutien quasi paternel, Christine Malèvre se trouve seule face à ses patients. Seule dans un service pourtant réputé comme étant très dur, insupportable si le travail n'est pas effectué en groupe. Pourtant, d'équipe, il n'en est que peu question. Les seules déclarations qui ont échappé aux médecins du service, après la révélation des actes de l'infirmière, laissent deviner une ambiance tendue. A l'époque, le Dr Laurence Kouyoumdjian, bras droit du chef de service, le Dr Olivier Ille, avait affirmé devant le juge Richard Pallin que le Dr Ille était averti de rumeurs concernant les agissements de Christine Malèvre six mois avant d'en parler ouvertement au directeur de l'hôpital. Conflit personnel ? Dysfonctionnement du service ? Quelle que soit la réponse, le travail en équipe ne devait pas en être facilité.
Pour juger Christine Malèvre, la cour d'assises va devoir décrypter le processus intime des passages à l'acte de l'infirmière. Une intimité toutefois troublée par le médiatique débat sur l'euthanasie, entre les partisans d'une légalisation de cette pratique et les défenseurs à tous crins des soins palliatifs (« le Quotidien » du 11 décembre 2002). « L'ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité) a compris que Christine Malèvre s'était trouvée dans une situation difficile, explique aujourd'hui le Dr Jean Cohen, président de l'association. Nous compatissons avec elle ». Compassion partagée par l'ancien ministre de la Santé, Bernard Kouchner, qui dénonce l'hypocrisie d'un système rendant la pratique de l'euthanasie clandestine.
Meurtrière pour les uns (et en particulier pour les cinq familles qui se sont portées partie civile), victime d'un système pour les autres, Christine Malèvre sera à nouveau seule devant ses juges.
* Editions Fixot.
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