Christine Malèvre a aussi son côté de battante. Alors qu'elle paraissait prostrée lors du premier jour de son procès devant la cour s'assises de Versailles, elle s'est montrée le lendemain comme ragaillardie, maquillée et apprêtée, dans un tailleur gris. A la barre défilent ses amis, qu'elle regarde avec des yeux reconnaissants. Elle esquisse des sourires.
Il y a Christine Saray, son amie d'enfance « et de cur », qui a demandé à Christine Malèvre d'être à ses côtés pour la naissance de son bébé. « Christine m'a portée jusqu'au bout de ma grossesse, raconte-t-elle. Je ne pouvais pas accoucher sans elle. » Il y a Huguette Brard, conseillère technico-commerciale que Malèvre a rencontrée à Laval dans la société où elle travaille actuellement à un poste de responsabilité. « Christine m'a beaucoup soutenue, explique-t-elle. Quand je l'ai connue, je venais de perdre mon papa. Neuf mois plus tard, j'ai perdu mon ami. Je me sentais réconfortée par son regard. »
Les relations amicales de Christine Malèvre ne paraissent pas différentes de celles que l'infirmière voulait nouer avec ses patients. « Je m'attachais à être à l'écoute. Une relation avec un malade, ce n'est pas qu'être une infirmière, dit-elle confusément en décrivant son métier aux jurés. J'ai des malades qui me remontaient le moral. »
Il y a également Christelle Mertens, infirmière, qui a voulu connaître Christine Malèvre « parce qu'il y avait un décalage entre son image médiatique et ce que j'ai entendu d'elle au dispensaire du Burkina-Faso », où, quelques années plus tôt, Christine Malèvre avait fait un stage humanitaire. « Nous nous sommes liées d'amitié, je n'ai pas senti de malaise à son contact », dit-elle. Pourtant, lorsque Me Morice, avocat des parties civiles, lui demande sa position sur « une infirmière qui tue ses patients », Christelle Mertens, catholique pratiquante, préfère ne pas répondre.
La terreur devant un patient mort
Christine Malèvre est donc une battante, mais qui a la « trouille » et dont le comportement varie de l'inhibition à la rage. Lorsqu'elle apprend son métier d'infirmière, celui qu'elle a toujours voulu faire, elle a la « trouille » d'échouer dans ses études. C'est ainsi qu'elle explique le stress qui lui fait prendre 30 kilos en trois ans. Quand elle voit pour la première fois, encore élève, un patient mort, elle est foudroyée de terreur. « La patiente était sur un matelas à eau. Elle bougeait, j'avais peur qu'elle me saute dessus. »
Christine Malèvre s'est dit alors qu'il ne fallait plus être « trouillarde, il fallait que je m'habitue, que j'accepte ».
A-t-elle réussi ? Sur les sept assassinats qui lui sont reprochés, elle reconnaît avoir eu des gestes qu'elle n'aurait pas dû faire en tant qu'infirmière, notamment pour deux patients qu'elle a « aidés à mourir », MM. Bruyelle et Hauguel. La mort du troisième patient, qu'elle s'imputait dans son livre « Mes aveux », elle la conteste aujourd'hui, après le recul des quatre ans de psychothérapie qu'elle a entrepris depuis. « Je me suis sentie responsable parce que je ne l'ai pas aspiré assez vite » (le patient, M. Baudet). Une erreur technique, selon elle. Le Dr Kouyoumdjian, chef de l'unité de pneumo de l'hôpital de Mantes-la-Jolie, qui exerce aujourd'hui à l'hôpital de Troyes, confirme le manque de technicité de l'infirmière : « On préférait qu'elle ne s'occupe pas des malades très graves. »
Christine Malèvre parle de sa colère face à un service insuffisamment pourvu de personnel. Contrairement aux soignants de son équipe, elle refuse de prendre des pauses-café. « Je prenais trop à cur mon métier », suggère-t-elle. Ce zèle lui vaut l'inimitié de ses collègues, selon elle. Tandis qu'elle est la seule infirmière à aider les aides-soignantes à faire la toilette des patients, elle se plaint du manque de respect de ces dernières. « Maman dit que j'étais autoritaire (quand j'étais petite) , mais à l'hôpital, je n'y arrivais pas. »
Malèvre poursuit donc seule son chemin. Sa hiérarchie non plus ne la satisfait pas, entre le Dr Olivier Ille, neurologue et chef du service, et le Dr Laurence Kouyoumdjian. Le premier ne lui semble pas intéressé par le traitement de la douleur et la seconde est trop lointaine avec elle mais aussi avec les familles des patients, affirme-t-elle. Dans le service, des rumeurs montent dès l'automne 1997 sur ses agissements. Un changement de service est envisagé, mais il est seulement évoqué pour raisons personnelles, par souci de préserver Christine, dont le compagnon, patient du service et atteint d'une sclérose en plaques, nécessite beaucoup d'attentions. « Cela me semblait un choix difficile », avec la charge de travail du service, explique le Dr Ille, qui a fait la proposition. Mais Christine Malèvre le vit comme un déplacement et refuse.
En novembre 1997, le Dr Kouyoumdjian, qui parle du mal-être de l'équipe, pourtant très solidaire d'habitude, fait remonter devant le Dr Ille et la surveillante générale du service, Véronique Raff, les soupçons qui pèsent sur l'infirmière. « Certaines des aides-soignantes m'ont fait comprendre qu'il se passait des choses bizarres, qu'il y avait plus de décès dans le service quand Christine était présente, explique le Dr Kouyoumdjian. Mais lorsqu'on est soignant, on ne peut pas imaginer un comportement aussi déviant. C'était une vague idée, chacun avait une pièce du puzzle. »
Un drôle de poisson d'avril
Peu après, le Dr Ille donne sa démission au directeur de l'hôpital. Sur un malentendu, indique-t-il, parce que soi-disant les soignants de son équipe avaient 15 min de retard à une réunion de service. Mais avant mai 1997, il n'a aucune information, dit-il, concernant les agissements de Malèvre, qu'il voit comme une excellente infirmière, « parfaitement intégrée à l'équipe ». « Le seul élément qui m'a alerté, poursuit-il, c'est le poisson d'avril qu'elle nous a fait. » Christine Malèvre fait croire aux membres du service qu'elle est enceinte de son compagnon handicapé, à qui elle annonce même la fausse nouvelle par le téléphone du service. « C'était pour déstabiliser la surveillante générale, se défend-elle. Elle était catastrophée, une infirmière était déjà enceinte dans le service. » Dans ce service que chacun voit différemment, où il n'est pas question d'euthanasie mais de prise en charge du malade jusqu'au bout (le Dr Ille confie même n'avoir jamais, de sa carrière, parlé ou entendu parler du mot ou du fait), Christine Malèvre a pu, malgré la méfiance de toute une équipe, décider ou non de la mort de patients pendant plusieurs mois.
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