François Fillon, ministre des Affaires sociales, a sans doute autant d'ambition que Nicolas Sarkozy, mais n'en laisse rien voir. Il a réussi sa réforme des retraites, ce qui n'était pas tâche facile, mais son itinéraire gouvernemental lui a fait commettre des erreurs, comme son annonce prématurée du plan solidarité vieillesse, qui semble l'avoir fâché pour longtemps avec le Premier ministre.
M. Fillon passe souvent en force avec une remarquable économie de mots et de gestes. Il a présenté en Conseil des ministres son grand projet de réforme du dialogue social, qui a déjà été critiqué, comme il se doit, par d'excellents experts. On a compris que le ministre souhaite délivrer la France de ses carcans pour hâter son développement, qui laisse à désirer, et créer des emplois. Il fait partie de ces membres de l'équipe gouvernementale, comme Nicolas Sarkozy, qui font de la réforme à outrance, et jusqu'à tuer politiquement Jean-Pierre Raffarin.
Une marque à la législature
Car, comme Jacques Chirac l'a compris lorsqu'il a ajourné la réforme du système de santé, le pouvoir ne peut pas appliquer son programme au mépris de sa popularité. Une déstabilisation politique ne donne aucune chance, ni à l'application des réformes ni à l'avenir de ceux qui les ont conçues. Sans jamais se départir de son calme, sans cultiver particulièrement son image, avec une discrétion remarquable, M. Fillon est néanmoins un homme pressé. Ou, si l'on préfère, un ministre qui veut donner sa marque à cette législature.
Peut-on dire que ce gaulliste est essentiellement inspiré par les dogmes libéraux de l'économie, et que cet homme froid, parfois glacé, manque de compassion pour les pauvres, les RMistes et les smicards ? Ce ne sont pas les partis qui défendent les droits des travailleurs (au détriment de ceux des chômeurs) en enrobant leurs propositions dans l'amour du prochain qui sont nécessairement les plus efficaces. On peut transformer la France en un immense kibboutz et haïr l'argent au point d'en interdire l'usage, on n'élèvera pas pour autant le niveau de vie des Français. Par conséquent, ce qui compte, c'est la méthode, fût-elle impitoyable, pourvu qu'elle crée des emplois et permette d'augmenter les salaires.
Bien entendu, c'est ce que nous propose M. Fillon. Et quand il dit que, s'il veut remplacer le RMI par le RMA ou revenu minimum d'activité, c'est pour remplacer l'assistanat, si prisé à gauche, mais humainement indigne dans sa conception et souvent dans ses résultats, par des emplois. Revaloriser le travail, l'expression a été lâchée par Jean-Pierre Raffarin qui, comme François Fillon, pense surtout à démanteler la semaine de 35 heures. Il n'empêche que la phrase est forte, qu'elle est juste, que les Français ne peuvent pas affronter l'avenir en travaillant de moins en moins. Au fond, s'il y a une différence réelle entre la droite et la gauche dans ce pays, c'est au sujet du travail.
Mais attention : prolonger les carrières, c'est bien, mais seulement si on trouve d'abord des emplois pour les jeunes ; mettre les RMistes au travail, d'accord, à condition qu'ils puissent vivre un peu mieux ; lancer un plan pour les personnes âgées, d'accord, si on a de quoi le financer.
En somme, le principe du RMA est excellent. S'il est critiqué, c'est parce qu'il n'ajouterait que 183 euros par mois aux 411 euros que touche le RMiste seul. Total : 594 euros, mais en échange de vingt heures de travail par semaine. On pouvait entendre, mercredi à la radio, quelqu'un qui demandait : « Mais qu'est-ce qu'on fait avec 594 euros par mois ? » Réponse : plus qu'avec 411. Mais le problème n'est pas là. Il réside plutôt dans la création d'un sous-SMIC. Voilà que les entreprises peuvent disposer d'une main-d'uvre bien meilleur marché que le SMIC ; un gisement dans lequel elles risquent de puiser au détriment des emplois normalement payés.
Le précédent américain
Le seul vrai moyen de mettre les RMistes au travail, c'est de leur garantir le RMI plus les heures travaillées au salaire horaire du SMIC. La réforme part d'un bon principe, mais faute de financement, elle pourrait déstabiliser le marché de l'emploi. On remarquera en outre qu'un couple avec deux enfants bénéficie d'un RMI de 864 euros et que travailler 20 heures par semaine pour 183 euros seulement ne lui semblera pas intéressant.
Après tout, « revaloriser » le travail, c'est lui donner une valeur en rapport avec le coût de la vie minimal.
Aux Etats-Unis, lorsque Bill Clinton est arrivé au pouvoir en 1992, il a appliqué une des idées de la « nouvelle gauche » en démantelant le « welfare », c'est-à-dire le système d'assistance financière aux démunis. Les télévisions avaient diffusé des reportages où l'on voyait des gens qui arrivaient en Cadillac pour toucher l'aide de l'Etat. Les voyous, les dealers de drogue et les bandits de grand chemin s'inscrivaient au welfare parce que, évidemment, ils n'avaient pas d'emploi officiel.
Clinton fut très largement critiqué par la gauche traditionnelle et bon nombre de démocrates estimaient qu'il les avait trahis. Mais la méthode était la bonne. Comme l'Amérique entrait dans une longue phase de croissance, on s'est aperçu que ceux qui préféraient le welfare au travail pouvaient facilement trouver un emploi. Acculés par la disparition du système d'assistance, ils ont fini par gagner leur vie.
Les circonstances sont très différentes aujourd'hui en France. Tout le monde souhaite qu'un chômeur ait enfin le pied à l'étrier. Mais nous avons près de deux millions et demi de sans-emploi. Pour que l'on puisse les mettre au travail, il faut d'abord que gonfle le carnet de commandes des entreprises.
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