Par le Pr SERGE EVRARD*
LA COELIOSCOPIE n'a pas été inventée pour opérer des cancers, c'est un fait incontestable qui pour autant ne lui interdit en rien d'évoluer. Présentée en 1901 à Hambourg par Georg Kelling comme une nouvelle approche diagnostique à une époque où n'existaient ni échographie ni scanner, la coelioscopie a progressivement poussé son avantage interventionnel avec, en 1929, la première biopsie hépatique visuellement contrôlée ; en 1972, le traitement des grossesses extra-utérines ; en 1983, la première appendicectomie ; en 1988, les premières lymphadénectomies pelviennes, jusqu'à 1987, qui voit se déclencher la « seconde révolution française », comme l'avaient surnommée certains collègues américains. C'est bien en chirurgie fonctionnelle que la coelioscopie a acquis ses titres de noblesse combinant efficacité, meilleure tolérance pour le patient et diminution des séjours d'hospitalisation. Après avoir été testée avec succès dans le traitement de la diverticulose colique, la colectomie coelioscopique fut appliquée au cancer du côlon jusqu'à ce que, en 1993, un coup d'arrêt brutal lui soit porté par la publication du premier cas de métastases sur site de trocarts. La polémique était née qui dut attendre les années 2000 pour voir paraître les premiers essais randomisés multicentriques affirmant la non-infériorité de la coelioscopie par rapport à la voie ouverte. Un rapport publié par la HAS en 2005 consacrait une équivalence oncologique de fait, même si toutes les démonstrations – notamment les plus attendues, comme celle d'un gain en qualité de vie – n'étaient toujours pas acquises au débat. Dans d'autres spécialités, comme la gynécologie ou l'urologie, l'abord coelioscopique est, en 2007, validé pour de nombreux cancers. Cette notion de validation est le plus souvent le fait de sociétés savantes dont on peut critiquer le manque d'intérêt pour la méthodologie de l'évaluation scientifique. Elle doit être comprise essentiellement sous l'angle de la faisabilité technique, préalable à une véritable analyse du service rendu.
Mais laissons là le film, forcément réducteur, des événements pour articuler les éléments d'une réflexion. Tout d'abord, l'intérêt du patient pour la coelioscopie est souvent ambigu et se focalise plus sur le bénéfice cosmétique de la technique que sur l'intérêt réel en termes d'amélioration de son état de santé. Ne voit-on pas certaines équipes proposer un abord coelioscopique pour éviter des cicatrices cutanées millimétriques au profit de cicatrices viscérales profondes (vagin, estomac), certes, invisibles, mais beaucoup moins anodines du point de vue fonctionnel et septique ? Par ailleurs, le raccourcissement des séjours hospitaliers, une reprise du transit postulée plus courte par la coelioscopie ont entraîné les équipes ne la pratiquant pas à développer un management de type « fast track » qui brouille les pistes et atténue fortement les différences. En termes de coûts, la coelioscopie coûte plus cher en matériel chirurgical et en durée d'occupation de salle, mais elle induirait des économies à plus long terme (réduction des arrêts de travail).
Mini-invasif, un attribut erroné.
L'intérêt du chirurgien pour la technique comporte, lui aussi, sa part d'ombre et de lumière. Tout d'abord, affirmer que la chirurgie coelioscopique est mini-invasive est une erreur d'appréciation grave. Un humoriste pourrait la comparer à une attaque au gaz (le pneumopéritoine) suivie d'une violente attaque à l'arme blanche (les trocarts).
Le fait est que, si l'abord est mini-invasif, l'acte lui-même est rigoureusement aussi invasif, salvateur ou délabrant que la chirurgie à ciel ouvert peut l'être. Par ailleurs, le tout-coelioscopique prôné par certains chirurgiens pour promouvoir leur visibilité vis-à-vis de leur clientèle est une erreur conceptuelle : une voie d'abord est un moyen technique et certainement pas un but. L'intérêt du patient passe clairement avant la réalisation de l'exploit technique. Ceux qui arguent du fait que toutes les interventions ont été pratiquées par voie coelioscopique (et probablement ont-ils raison) s'étendent rarement sur les conditions d'organisation de la recherche clinique en chirurgie et, qui plus est, en chirurgie oncologique… Ce n'est pas parce qu'une intervention est faisable qu'elle est à faire, le rapport bénéfice risque pour le patient étant, en dernière analyse, le seul paramètre à évoquer dans le cadre d'une décision partagée.
Mais il y a la lumière… coelioscopique qui éclaire d'un jour particulier la scène chirurgicale. Il paraît bien établi aujourd'hui que la coelioscopie est particulièrement adaptée à la gestion des petits champs opératoires comme le pelvis ou à une dissection restreinte du rétropéritoine, beaucoup moins à des grands espaces comme le péritoine libre, où la vision en 3D fait défaut, ainsi que le manque de palpation ou de saisie des organes longs comme le côlon ou volumineux comme le foie. A titre d'exemple, le cancer du rectum et sa dissection agrandie, mais limitée au cône pelvien, intéresse davantage que le cancer du côlon, la voie rétropéritonéale, plus confinée et donc plus intimiste, passionne davantage que la voie intrapéritonéale. Pour les mêmes raisons, auxquelles s'ajoute une valorisation toute particulière du concept de préservation pariétale, les chirurgiens pédiatres s'intéressent de plus en plus à la coelioscopie des tumeurs malignes de l'enfant.
Le principe de conversion.
En pratique, il est possible en 2007 de considérer la voie coelioscopique comme une approche potentielle de la chirurgie des tumeurs limitées (< T3), et ce pour plusieurs raisons. Parce qu'il n'y a plus aujourd'hui d'opposition idéologique à la coelioscopie des cancers (les métastases sur site de trocarts ont quasi disparu, et les survies à court et moyen terme paraissent identiques dans la limite des essais réalisés), parce qu'on respectera le choix du patient, s'il l'a fait sciemment, en vérifiant toutefois que ce choix repose sur une approche complète de la problématique (principe de la décision partagée, où l'on identifiera pour lui un avantage objectif, par exemple, une meilleure préservation des fonctions sexuelles, ce qui n'est pas forcément le cas de tous les cancers), parce qu'on lui proposera de participer à un essai clinique ou à un registre de surveillance pour toutes les indications non encore validées, parce qu'on ne lui proposera que ce que l'on sait bien faire et, au-delà de tout, parce qu'on se rappellera que la conversion en chirurgie ouverte n'est jamais une faute ou un échec, mais la poursuite de la même opération par une autre voie d'abord. Le principe de conversion est en définitive la meilleure assurance qualité que l'on doit à son patient lors de toute procédure coelioscopique.
* Institut Bergonié et université Bordeaux-II.
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