Des avantages théoriques séduisants
Les techniques chirurgicales orthopédiques sont naturellement candidates à une évolution sur le mode mini-invasif, ne serait-ce qu'en tirant les leçons de la révolution thérapeutique apportée par l'arthroscopie durant ces trente dernières années.
Faut-il pour autant extrapoler et chercher à tout prix à réaliser des interventions squelettiques reconstructrices complexes sous la vision d'un « trou de serrure » ?
Jusqu'à un passé récent, l'un des principes fondateurs d'une chirurgie orthopédique de qualité consistait en exposition adéquate du ou des éléments squelettique(s) à opérer, afin d'y effectuer la restauration mécanique le plus précise possible (ostéosynthèse anatomique, implantation prothétique irréprochable...).
Les promoteurs de la « mini-invasivité » mettent en avant certains avantages : moindre dissection tissulaire, meilleur respect de l'environnement biologique (parties molles, muscles), moindre perte sanguine... Reste cependant à savoir si de tels avantages, plus ou moins caractérisés (et/ou réalisables en pratique), ne sont pas neutralisés par une certaine déperdition du niveau de perfection obtenu de plus en plus régulièrement par des techniques rodées classiques, à abord large.
Un équipement exigeant
Pour compenser la moindre visibilité résultant de l'adoption de techniques « mini-invasives », et du fait même d'une moindre disponibilité des repères anatomiques servant à optimiser l'implantation du dispositif orthopédique (prothèse, matériel d'ostéosynthèse...), force est de recourir à des appoints techniques peropératoires (contrôle fluoroscopique, navigation...).
L'opérateur en « mini-invasivité » se trouve souvent dans la situation d'un pilote d'avion, contraint à un atterrissage sans visibilité, et rendu dépendant d'une instrumentation de guidage de plus en plus sophistiquée. En revanche, l'acte chirurgical orthopédique, par exemple prothétique, possède un seuil de tolérance très limité du compromis accru imposé, dans la qualité de l'implantation. En effet, les imperfections éventuelles de mise en place des pièces prothétiques limitent la longévité fonctionnelle des implants et se soldent par un risque aggravé de complications (descellement, instabilité...).
Les exemples pratiques
C'est avant tout en chirurgie élective articulaire que l'évolution sur un tel mode a été popularisée. Certaines équipes, à travers le monde, ont introduit la « mini-invasivité » dans une importante proportion de leurs interventions dites de « chirurgie réglée » : prothèse totale de hanche, prothèse totale de genou, prothèse unicompartimentale de genou...
Bien que certaines écoles fassent déjà de la chirurgie orthopédique « mini-invasive » sans trop le savoir (ou le proclamer...), celles qui se sont engagées dans cette évolution méthodologique systématique ont fini par adopter, pour chacune d'entre elles, une formule de sécurisation opératoire particulière : recours ou non à des contrôles squelettiques peropératoires (navigation, scopie...), écarteurs spéciaux...
Pour la prothèse de hanche, l'étendue de la voie d'abord parvient à se limiter au diamètre de la tête fémorale à amputer (une demi-douzaine de centimètres). La topographie de cette voie d'abord dépend de l'extrême familiarité de l'équipe chirurgicale avec une voie particulière : antérieure, latérale, postérieure. Les implants sont le plus souvent fixés par ajustage impacté, sans recours au ciment. Certaines de ces équipes préparent l'ajustage de la tige fémorale par alésage diaphysaire fémoral radioguidé.
Pour la prothèse du genou, l'arthrotomie est parapatellaire interne et « dissise » (néologisme provenant de la contraction de « dissèque » et «inc ise », NDLR), quelque peu en son milieu, obliquement, le muscle vaste interne, puis luxe la rotule en dehors, sans la retourner. Là encore, la voie d'abord parvient à se limiter à un tout petit peu plus d'une demi-douzaine de centimètres. L'avantage défendu par les promoteurs de la méthode consisterait en une moindre agression de l'appareil extenseur du genou, ce qui reste à démontrer.
Une option encore débattue
Quelles que soient les vertus prêtées à la chirurgie « mini-invasive », il est encore prématuré de dire qu'elle finira tôt ou tard, à l'horizon d'une quinzaine d'années, par totalement supplanter la chirurgie traditionnelle. Tout d'abord, elle n'est pas applicable sur certains sujets (obèses, en particulier). Elle réclame de surcroît une logistique imposante : courbe d'apprentissage des opérateurs prolongée, doublée d'une expérience chirurgicale traditionnelle conséquente. On n'a pas encore déterminé si les techniques mini-invasives ne se soldent pas, sur des séries importantes d'opérés, par des incidents per-opératoires plus fréquents, d'éventuelles complications post-opératoires en plus grand nombre (luxation d'une prothèse de hanche, infection, nécrose cutanée...), enfin, par de moins rares imperfections de pose des implants, susceptibles d'obérer la longévité des prothèses ainsi posées.
Autrement dit, seul un recul comparable à l'expérience déjà acquise, et au prix d'une méthodologie d'étude rigoureuse, viendra confirmer ou non que la chirurgie orthopédique mini-invasive représente une percée réelle, plutôt qu'un gadget marketing imposant une dépendance technologique plus lourde des équipes chirurgicales. Cette dépendance est justifiable si, effectivement sans incident, la durée des interventions se trouve amoindrie et la durée des séjours hospitaliers et de rééducation réduites à leur plus simple expression. Elle devient moins défendable en cas de morbidité péri-opératoire accrue ou de compromission dans le niveau d'excellence des remplacements prothétiques, déjà acquis par la technique classique.
Au total
La chirurgie mini-invasive est une option possible d'évolution de la chirurgie orthopédique dont seul l'opérateur peut décider de l'intérêt dans une situation donnée et en fonction des équipements dont il dispose et de l'expérience qu'il aurait pu acquérir de cette technique.
Chirurgie orthopédique mini-invasive : il faut rester prudent
Publié le 22/09/2003
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Pr Charles MSIKA Chirurgien orthopédiste. Membre de la SOFCOT (Société française de chirurgie orthopédique et traumatologique. www.sofcot.com.fr).
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Source : lequotidiendumedecin.fr: 7388
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