La prostatectomie radicale par voie rétropubienne avec préservation nerveuse est un défi chirurgical difficile, avec deux objectifs contradictoires : d'une part, réduire le risque de séquelles à type d'incontinence, mais aussi d'impuissance, en permettant un rétablissement de la fonction érectile dans 30 à 75 % des cas selon des études récentes (ces chiffres dépendent notamment de l'âge du patient, de sa fonction sexuelle préopératoire et de la technique utilisée) et, d'autre part, contrôler le cancer en réduisant le risque de marges chirurgicales positives, évalué à 28 % des cas en 1998 sur une métaanalyse.
Découverte de tumeurs de très faible volume
Depuis dix ans, le diagnostic de cancer prostatique est porté de plus en plus tôt du fait d'une prise de conscience de la population masculine en général, mais aussi et surtout des médecins généralistes, aidés en cela par le dosage du PSA et l'examen clinique de la prostate.
Ainsi, on découvre très souvent des tumeurs localisées intracapsulaires, de très petit volume, chez des hommes jeunes, parfois à partir de 45 ans. Dans ces circonstances se pose encore plus vivement qu'ailleurs la question de la reprise de l'activité sexuelle au décours de la prostatectomie radicale.
Risque de lésions irréversibles des nerfs érecteurs
L'érection est sous la dépendance des nerfs érecteurs, rameaux végétatifs issus des plexus pelviens. Ces nerfs microscopiques, invisibles à l'il nu, sont situés de chaque côté des faces postéro-latérales de la prostate, dans des lames graisseuses porte-vaisseaux, appelées bandelettes vasculo-nerveuses.
Ces bandelettes adhèrent à la capsule prostatique, ce qui explique le risque d'impuissance postopératoire par lésions irréversibles des nerfs érecteurs lors d'une prostatectomie radicale.
Il y a plusieurs années, le Dr Walsh (Baltimore) a mis au point une technique chirurgicale de PR avec préservation des nerfs érecteurs par décollement des bandelettes vasculo-nerveuses au ras de la capsule prostatique.
Les résultats obtenus dans la reprise de l'activité sexuelle postopératoire peuvent néanmoins être entachés d'un risque accru de marges positives, en raison du risque d'effraction capsulaire chirurgicale intempestive.
Préservation nerveuse par dissection intrafasciale
Une équipe française a opéré 200 patients présentant un cancer prostatique localisé (pT2 = 69 % ; pT3 = 31 %) selon une technique originale de préservation nerveuse par dissection intrafasciale des bandelettes vasculo-nerveuses périprostatiques.
Dans ce cas, le plan de coupe ne passe pas au ras de la capsule prostatique, mais toujours à 2-3 mm au-delà, afin de conserver en permanence un liseré conjonctif péricapsulaire de sécurité.
Comme cela est la règle, l'examen anatomopathologique - particulièrement complexe - de la pièce de prostatectomie a permis d'évaluer les marges tumorales : positives, elles sont le signe que l'exérèse se situe en zone tumorale et correspondent bien souvent à un risque accru de récidive néoplasique.
Reprise de l'activité sexuelle
L'évaluation postopératoire des résultats a été faite sur un questionnaire portant sur la qualité des érections, mais surtout la possibilité d'obtenir des rapports sexuels avec pénétration vaginale sans assistance pharmacologique (sildénafil).
Le délai de récupération d'érections suffisantes pour l'obtention de rapports sexuels a été en moyenne de treize mois ; ce délai très long, qui corrobore les données de la littérature, s'explique par un phénomène de neurapraxie, les nerfs érecteurs conservés mais néanmoins traumatisés et étirés lors de l'exérèse chirurgicale étant en effet très sensibles à l'ischémie.
Au total, 114 patients consécutivement opérés, ayant un délai de suivi supérieur ou égal à dix-huit mois, ont ainsi été évalués.
La récupération de rapports sexuels a été obtenue chez 69 % (67/97 des hommes ayant bénéficié d'une préservation bilatérale des bandelettes vasculo-nerveuses) contre 47 %(8/17 en cas de préservation nerveuse unilatérale).
Ce pourcentage s'élève à 75 % (67/89) pour les hommes n'ayant aucune dysfonction érectile préopératoire et opérés avec une préservation nerveuse bilatérale.
La proportion globale de marges chirurgicales positives a été de 17 % (35/200) et seulement de 4 % (8/200) de marges plus spécifiques sur le site de la préservation nerveuse.
Ces données suggèrent le bien-fondé de proposer en cas de cancer localisé intracapsulaire de la prostate, chez des hommes encore jeunes et sexuellement actifs, une prostatectomie radicale qui tend à préserver la fonction érectile par une technique chirurgicale appropriée. De plus, ces éléments satisfaisants s'inscrivent pleinement dans la perspective moderne d'une guérison chirurgicale sans séquelles ce qui, en amont, ne peut se concevoir que dans le cadre d'une détection de plus en plus précoce du cancer de prostate.
D'après la communication du Dr Philippe Chauveau (Nantes).
Préservation nerveuse, dysfonction érectile et sildénafil
Le retour de la fonction érectile est possible s'il y a eu préservation des nerfs érecteurs au cours de la prostatectomie radicale pour cancer prostatique localisé. L'intervention est suivie d'une sidération de la fonction érectile. La restauration d'une érection normale ne peut être appréciée avant le 6e mois .
Les équipes américaines hyperspécialisées annoncent une conservation de l'érection dans la quasi-totalité des cas s'il y a eu préservation bilatérale ; le taux de retour à une érection spontanée est nettement inférieur si la préservation a été unilatérale. En France, les centres très entraînés rapportent des résultats un peu moindres, correspondant davantage à la réalité.
L'efficacité du sildénafil dans le traitement de la DE postopératoire est proportionnelle au degré de préservation des bandelettes vasculo-nerveuses : son taux de réussite est de 80 % dans les préservations bilatérales, de 40 % si une seule a été préservée et nul en cas de non-préservation.
Pendant la période postopératoire, le couple, davantage disponible pour des relations de tendresse, fait passer la sexualité au second plan.
Cependant, pour certains auteurs, il est souhaitable d'entretenir et/ou d'induire des érections « chimiques » durant cette phase, afin d'éviter la formation d'une fibrose des corps érectiles. On peut ainsi instaurer au cabinet médical des injections intracaverneuses périodiques de prostaglandines : en provoquant une tumescence, elles favoriseraient le processus de récupération ultérieure.
Par ailleurs, selon certains travaux, le sildénafil prescrit le soir « en préventif » pourrait faciliter les érections spontanées pendant le sommeil paradoxal, et contribuer à la restauration de la fonction. Cette utilisation s'appuie sur l'hypothèse selon laquelle ces érections spontanées auraient pour objectif de fournir du sang artériel, en vue d'une oxygénation tissulaire régulière.
Des études plus étoffées, notamment comparatives entre les injections intracaverneuses et le sildénafil le soir sont nécessaires pour étayer ces données.
D'après un entretien avec le Pr P. Costa (CHU de Nîmes).
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