IL EST VRAI QUE l'opposition tire de son immense victoire une leçon accablante pour la majorité. Tout a été dit à gauche au sujet des conséquences de la consultation : d'aucuns ont suggéré que M. Raffarin démissionne, d'autres que le président dissolve l'Assemblée, les derniers que M. Chirac s'en aille.
Sont-ce des propositions excessives ? Cela dépend de l'endroit où les intéressés situent leur honneur.
M. Chirac n'est pas du genre à se sacrifier. C'est historiquement un survivant ; et il a su répondre par un silence écrasant à la surexcitation des médias, au point qu'un quotidien du matin, pris de court, a rédigé sa manchette en ces termes fort peu attrayants : « La France attend. »
Le fusible est intact.
Le président de la République a également jugé que l'aggravation de la défaite au deuxième tour ne devait pas changer son plan, qui était déjà de laisser Jean-Pierre Raffarin à la tête du gouvernement. Pourquoi n'a-t-il pas fait valoir au Premier ministre sa fonction de fusible ? Pour plusieurs raisons, dont la première est probablement que le chef du gouvernement ne dispose que d'un sursis limité : il devra faire ses preuves avant les élections européennes (13 juin).
La seconde est que M. Raffarin n'est pas las au point de tout plaquer ; il a peut-être envie de prendre sa revanche : une reprise économique, une réforme achevée, un retour, fût-il lent, aux équilibres fondamentaux, le rendraient de nouveau populaire, du moins l'espère-t-il.
La troisième est que le président attend Alain Juppé. L'ancien Premier ministre saura en octobre si la justice l'autorise à poursuivre sa carrière politique. Apparemment soucieux d'éviter une « cohabitation » avec Nicolas Sarkozy, qu'il estime mais n'aime pas, M. Chirac veut faire encore un bout de chemin avec M. Raffarin avant de confier les rênes du gouvernement à M. Juppé lors d'une occasion ultérieure.
LE DÉPART DE RAFFARIN N'AURAIT RESULTÉ QUE DE LA VOLONTÉ DU PEUPLE
La peur de Sarkozy.
L'exécutif a-t-il le loisir, dans la tourmente, de poursuivre des calculs qui concernent les personnes, pas le fonctionnement de la démocratie ? Le maintien de M. Raffarin à son poste est déjà interprété par une partie de la population (et parfois même à l'UMP) comme un pied de nez à l'électorat. A fortiori, le jeu subtil auquel se livre M. Chirac pour contenir l'ascension de M. Sarkozy risque d'être dénoncé de manière virulente. Moins par la gauche, qui préfère sans doute que la droite continue à échouer jusqu'aux législatives et craint en conséquence l'efficacité du ministre de l'Intérieur, que par les journalistes et par l'opinion.
La meilleure raison du maintien de M. Raffarin serait que le président ne fait pas un bilan négatif de son action à la tête du gouvernement pendant deux ans. Il est possible que l'exécutif juge indispensable de poursuivre les réformes quoi qu'en pense le peuple. Le soir du second tour, François Fillon a exposé clairement la perplexité de nos dirigeants quand il a exprimé l'idée qu'on ne peut pas faire des réformes en France. Ce diagnostic est d'ailleurs largement partagé à l'étranger et par nombre de commentateurs français, aujourd'hui plus soucieux de rejoindre en hâte l'humeur de l'électorat que de reconnaître que M. Raffarin n'a pas que des défauts. La politique est foncièrement injuste.
Les alertes préélectorales.
Il demeure qu'entre la nécessité des réformes et la difficulté à les faire comprendre, il n'y a pas beaucoup de place pour un Premier ministre qui, bien avant les élections régionales, n'a pas manqué d'être alerté par les réactions violentes de ses administrés à l'application de ses projets. Est-ce d'ailleurs un problème de communication ? Non, nous répond la gauche, c'est un problème de fond : il faut faire des réformes qui protègent le confort social des Français.
Ce qui revient à se moquer du monde. Bien entendu, aucun projet ne sera couvert de louanges qui réclame des sacrifices aux gens. De là à ignorer l'arithmétique, à ne pas reconnaître que la France dépense plus qu'elle ne gagne et qu'il faut faire des économies, il y a un pas que seule la démagogie permet de franchir.
La victoire de la gauche ne réduit d'ailleurs en rien ses carences structurelles : elle a gagné les régionales sans avoir présenté de projet ; elle s'est contentée de dénoncer la droite au pouvoir sans jamais dire ce qu'elle ferait à sa place, notamment au sujet des déficits publics et plus particulièrement celui de l'assurance-maladie ; elle fait la sourde oreille quand on lui rappelle qu'elle a omis de lancer d'urgentes réformes en période de croissance.
Comme le répètent les experts, la pléthore administrative, les déficits, les freins au dynamisme industriel, toutes ces choses ne sont ni de droite ni de gauche. Mais faire croire aux Français qu'on va soigner ces plaies profondes en améliorant leur sort, c'est un mensonge.
Un malentendu.
Il ne fait pas de doute que la sanction populaire résulte en partie d'un malentendu. Certes, les chercheurs, les intermittents du spectacle et les chômeurs de longue durée soudain privés de leurs droits se sont fâchés pour les privations qu'on leur a imposées et non parce qu'ils n'auraient pas compris la « clairvoyance » du gouvernement. D'ailleurs, les ressources de l'Etat, même en pleine réforme, auraient pu être mieux réparties par le gouvernement Raffarin : de toute évidence, la contradiction entre les largesses consenties aux buralistes et aux restaurateurs et la poignée d'euros refusée à la recherche a été une faute grave. Parmi d'autres. Mais sur le fond de l'affaire, la modernisation du pays, il est évident que l'obstacle vient de très vieux conservatismes catégoriels.
Il demeure que le peuple est souverain. Et que M. Chirac, en gardant M. Raffarin, n'a pas obéi à la volonté du peuple.
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