« Plus facile à dire qu'à faire », « des mots, pas d'actes », « une rengaine, la fracture sociale transformée en fracture urbaine » : les critiques adressées au discours prononcé par Jacques Chirac à Valenciennes n'ont pas manqué. Nous ne sommes pas d'accord. Nous pensons, après l'avoir lu, que ce discours est admirable.
Le président de la République, en effet, nous a tous rappelés à nos devoirs républicains. Au problème de ce qu'il est convenu d'appeler le « communautarisme », mot contestable dans la mesure où il y en a de plus communautaristes que d'autres, mais qu'on utilise pour ne faire de la peine à personne, la seule solution, c'est l'intégration.
Fragiles libertés
La laïcité est l'instrument de cette intégration. Elle s'appuie sur des libertés qui, pour être partagées par tous, n'en sont pas moins fragiles dès lors que des groupes les contestent. Chaque fois que nous nous trouvons dans une période troublée, nous devons retourner aux fondements de notre société, la République laïque et démocratique. En exalter les vertus, c'est déjà commencer à l'exorciser. C'est ce qu'a fait le chef de l'Etat.
Pourquoi la polémique sur le foulard dure-t-elle depuis vingt ans ? Justement parce que nous sommes dans un pays libre. Un pays où on tolère que les jeunes filles se mettent des objets métalliques sur le nez ou le nombril ne peut pas lutter contre le foulard islamique sans porter atteinte à une liberté : les Français devraient tous avoir le droit de s'habiller comme ils l'entendent.
Mais le sujet ne participe pas des phénomènes de mode. Il est hautement politique. Le foulard, d'abord porté par conviction, a servi plus récemment de signe distinctif, d'affirmation d'une exception, et bientôt, de provocation. Du coup, on assiste à l'irruption de la religion dans l'école laïque.
Certains vont jusqu'à dire que, si on laisse faire, les catholiques, les protestants et les juifs finiront par porter eux aussi leurs signes religieux ; et l'école, loin de fondre les différences, deviendra leur lieu géométrique, l'espace des antagonismes, la cacophonie des sectarismes.
Cet argument n'est pas bon. L'écrasante majorité des Français est chrétienne ou d'origine chrétienne ; la communauté juive, dans les évaluations les plus généreuses, ne dépasse pas un pour cent de la population. A l'école républicaine, sauf pendant la sombre période de Vichy, il n'y a jamais eu de problème de cohabitation entre juifs et chrétiens, aucun problème d'assimilation par la langue, le savoir, la nature même de l'enseignement. La question du foulard est donc tout à fait inédite. Expression publique d'une différence, elle nie l'cuménisme naturel de la laïcité, elle lui lance un défi, elle tend à affaiblir les institutions démocratiques en le contraignant à réprimer.
Le foulard n'est plus, comme il y a quelques années encore, la traduction d'une foi irrépressible, il constitue une invitation permanente à la supériorité d'une religion sur les autres : si je prends le risque de porter le voile, avec toutes les conséquences désagréables que mon geste entraîne, je me pose en martyre. J'adopte une attitude exemplaire. Non seulement je n'accepte pas la laïcité, mais j'en conteste les principes fondateurs.
Surmonter sa condition
M. Chirac sait très bien d'où vient le danger : des cités insalubres et peuplées de jeunes délinquants ; d'une population taraudée par l'injustice sociale et qui ne voit de salut que dans la rébellion ; de ce besoin, chez ceux qui n'ont rien ou ont moins que d'autres, de surmonter leur condition en accomplissant un coup d'éclat. Le chef de l'Etat ne peut pas, d'un geste divin, transformer tous les ghettos de France en délicieuses résidences. Il dit ce qui a été fait et ce qu'il reste à faire, mais rappelle en même temps que la République ne peut pas attendre d'avoir mis un terme à ses inégalités et tolérer, pendant des décennies, des dérives tout à fait capables de la faire changer de cap.
Il est donc dans son rôle quand il dit que, après des hésitations qui ont fait honneur à la société française (dans la mesure où elle a voulu éviter un acte autoritaire), il est urgent de tenir aux intégristes de tous bords un langage clair : s'ils persistent dans leur désir de délaïciser le pays, le pays ne les laissera pas faire. Le droit, c'est-à-dire l'ensemble des lois adoptées par le Parlement, est supérieur à la loi religieuse. On ne vient pas en France, on ne reste pas en France, on ne prévoit pas un avenir en France pour y recréer les sociétés qu'on a abandonnées ou qui ont été abandonnées par des ancêtres. On ne participe pas au « rêve français » en reconstruisant en France la réalité, parfois très sombre, qui a contraint à l'exil les parents ou grands-parents de ceux qui aujourd'hui éprouvent de la nostalgie pour un étrange « bon vieux temps » que, dans la plupart des cas, ils n'ont pas connu et dans lequel ils croient retrouver leurs racines.
Leur avenir est ici
Pour tous les beurs, donc les personnes d'origine maghrébine nées en France, leurs racines sont ici, leur vie est ici, leur avenir est ici. Ils n'ont rien à gagner à se distinguer par des symboles vestimentaires ou autres et leur éventuel projet d'amener d'autres Français à leur foi sera nécessairement combattu en tant que forme active de prosélytisme.
On perçoit donc les implications, les dangers et divisions que recouvre le voile. Il est bon que le recteur de la Mosquée de Paris, le Dr Dalil Boubakeur, ait publiquement admis que les musulmans, s'ils ne trouvaient pas de compromis avec les autorités administratives, devraient se plier à la loi. Certes, son propos n'engage pas les islamistes qui dominent le Conseil français du culte musulman (CFCM), dont il n'est que le président toléré. Mais c'est un début. Et la fermeté du gouvernement devrait faire le reste.
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