LE SUSPENSE n’est sûrement pas insoutenable, mais de la décision du chef de l’Etat dépend le sort du pays. Une candidature de Jacques Chirac, annoncée par exemple à moins de deux mois du 22 avril, chamboulerait la donne, affaiblirait Nicolas Sarkozy au profit de Ségolène Royal, peut certes conduire M. Chirac à un nouveau triomphe, mais comporte aussi l’immense danger d’une déconfiture sans précédent qui altérerait un peu plus son héritage.
Le président ne peut pas ne pas faire cette analyse. Tout l’incite à ne pas se présenter : sa propre cote de popularité, qui est insuffisante et risque encore de baisser s’il est comparé à M. Sarkozy et à Mme Royal ; le très bon début de campagne de M. Sarkozy qui a réussi son passage à la télévision de la semaine dernière : à gauche comme à droite, on reconnaît sa compétence, et il n’en va pas de même pour Mme Royal, qui n’a pas encore acquis ses lettres de créance de femme d’Etat ; l’état de l’opinion, qui ne semble pas croire elle-même qu’un autre candidat pourrait représenter la droite : Dominique de Villepin gère discrètement les affaires depuis quelques jours ; et il n’existe aucun sondage public qui mesure la cote de Chirac par rapport à tous les autres.
Sondages secrets ?
Il n’est pas impossible que M. Chirac lui-même dispose de sondages secrets qui lui intiment l’ordre de ne pas se présenter. Ce qui expliquerait qu’il ait évoqué son départ devant Michel Drucker.
En revanche, M. Chirac est, comme chacun sait, un animal politique, et il ne résisterait pas à un « appel du destin », par exemple une crise internationale assez sérieuse pour qu’il apparaisse comme l’homme capable de protéger la France contre l’adversité. Pour qu’un tel événement se produise, il faudrait une coïncidence entre la crise et le calendrier électoral. On peut douter que le chef de l’Etat ait l’occasion de tirer profit d’un malheur du monde pour rempiler.
On aura d’ailleurs noté que les sarkozystes font preuve d’une déférence exceptionnelle à l’égard du président, un peu comme si, au moment où il se décide à partir, il fallait surtout ne pas l’agacer ; François Fillon, ancien ministre, qui n’a jamais caché son amertume quand il a été exclu du gouvernement Villepin après avoir tout de même accompli la difficile réforme des retraites, dresse, dans « le Parisien », un bilan positif de l’action du chef de l’Etat. Il cite notamment les réformes menées à bien par ses gouvernements. Nous avons eu nous-mêmes l’occasion de faire ce bilan, en soulignant que, en dépit de l’impopularité de Chirac et la forte hostilité que ses initiatives lui ont value, il a lancé quelques réformes indispensables.
On ne lui reprochera ni de ne pas les avoir toutes faites, ni de laisser des chantiers inachevés. Il serait contradictoire de souligner le fort mécontentement populaire soulevé par les réformes et d’affirmer que M. Chirac n’est pas allé assez vite ou assez loin.
LA BONNE PERFORMANCE DE SARKOZY DECOURAGE TOUTE AUTRE VELLEITE A DROITE
Ravaler ses soupçons.
Le président a dit en substance à Michel Drucker que l’on pouvait certes lui adresser des reproches, mais qu’il s’est contenté de servir la France et qu’il espère la servir encore dans d’autres fonctions. On voudrait croire que, dans une émission en forme d’adieu (ou d’au revoir), M. Chirac est sincère. Mais on ne sait jamais, dans la relation entre Etat et chef de l’Etat, lequel des deux sert le mieux les intérêts de l’autre. Il existe des affaires liées au nom de Chirac et, pour sa propre paix de l’esprit, l’opinion française souhaite probablement que les soupçons ne soient pas confirmés ou, s’ils le sont, que la justice s’efforcera de ne pas en tenir compte.
D’aucuns, en revanche, souhaiteraient que M. Chirac, s’il devient simple citoyen après l’adoption d’un amendement constitutionnel qui lève l’immunité du chef de l’Etat dès qu’il abandonne sa fonction, s’applique à lui-même cette disposition. Ils ne nous expliquent pas ce qu’un procès à scandale apporterait à l’équilibre démocratique d’un pays dont il accentuerait au contraire le cynisme et la désillusion.
Il nous semble que M. Chirac n’aura pas eu, à l’Elysée, que des jours heureux. Il a essuyé de nombreuses défaites et il a été réélu en 2002 sur une sorte d’anomalie historique, dont Lionel Jospin porte toute la faute, que l’ancien Premier ministre n’a pas encore expiée aujourd’hui. La politique n’est pas un lit de roses, c’est le moins que l’on puisse dire ; mais on admettra que le pouvoir ne se contente pas de corrompre ceux qui s’en emparent, il les enivre aussi, et leur fait perdre le sens des réalités, de sorte qu’ils ne sont jamais prêts à s’en défaire.
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