Chronique électorale
Nous ne perdons pas nos mauvaises habitudes. Un tremblement de terre vient de secouer la France, mais nous entrons déja dans des querelles secondaires, qui n'ont rien à voir avec la seule priorité des huit jours à venir : écarter Jean-Marie Le Pen du pouvoir.
On trouve donc des gens qui reprochent à Jacques Chirac de refuser de débattre avec M. Le Pen ; leur argument : c'est la tradition, et c'est démocratique. Réponse : ce n'est qu'une tradition récente, elle n'est pas inscrite dans la Constitution et le respect de cette habitude est à la discrétion des candidats. Rien, strictement rien, n'oblige le président à considérer le chef du Front national comme un alter ego. Il est bien possible, comme l'affirme M. Le Pen, conformément à sa phraséologie nuancée, que M. Chirac « se dégonfle ». Il est bien possible que le chef de l'Etat agisse par calcul et estime, en réalité, qu'il a beaucoup à perdre s'il entre dans une discussion télévisée avec son concurrent du second tour. Il est bien possible que le chef de la droite classique craigne l'éloquence et le sens de la formule du chef de la droite non parlementaire. Mais là n'est pas le plus important.
Parons au plus pressé
Sur la forme d'abord, M. Le Pen est parfaitement capable de plonger le débat dans des basses-fosses nauséabondes. Il n'épargnerait pas M. Chirac et rappellerait les quelques lourdes casseroles qu'il traîne depuis qu'on fouille dans son passé de maire de Paris. Certes, aucun candidat ne doit être épargné, mais ce qui intéresse les Français en ce moment, c'est de savoir si oui ou non ils veulent faire une expérience néofasciste. M. Le Pen rassure peut-être certains électeurs au sujet de l'insécurité, mais il utiliserait, pour la faire reculer, des méthodes autoritaires, pour ne pas dire arbitraires. Il sortirait la France de l'Europe et de l'euro. Il effacerait toutes les mesures prises en faveur de l'avortement, des couples PACSés, il créerait une caisse d'assurance-maladie pour les étrangers, il contesterait le jus soli, c'est-à-dire la nationalité française conférée par la naissance sur le territoire français, il expulserait les sans-papiers, il limiterait ou éliminerait le droit d'asile politique, il s'attaquerait aux avantages sociaux. Beaucoup de ceux qui ont voté pour lui seraient ses premières victimes et elles ne le savent pas encore.
Chirac à la hauteur
M. Chirac considère donc que l'extrême droite est une anomalie politique, une dérive à laquelle il ne veut donner aucun crédit.
Et en refusant le débat, il accomplit un acte politique de première grandeur. Car, même s'il se protège, de cette manière, contre les insultes que n'hésiterait pas à prononcer son rival, il exclut aussi tout compromis avec le Front national aux législatives, alors que, dans beaucoup de circonscriptions, il pourrait assurer la victoire de son camp en passant des accords avec le FN.
De même que Lionel Jospin s'est montré digne en annonçant qu'il abandonnait la vie politique, ce qui veut dire qu'il ne croit pas aux longues carrières dans ce domaine, de même Jacques Chirac s'est montré à la hauteur en se privant délibérément d'un soutien éventuel du Front aux législatives. C'est le choix démocratique, c'est le choix rigoureux, et c'est un choix pénible dans la mesure où il prend ainsi le risque d'une nouvelle cohabitation. Quoi qu'on pense de M. Chirac (il n'a pas toujours été aussi clair dans ses rapports avec le FN), quoi qu'on pense de son septennat écoulé ou des soupçons qu'il a éveillés dans sa gestion de la mairie de Paris, il a été désigné par presque tous les partis, les syndicats et autres organisations comme le candidat de la démocratie française.
Il était logique qu'il réponde convenablement à cet appel populaire et qu'il offre à tous les démocrates la garantie qu'il ne dévierait pas de son chemin. Il a fait le bon choix, et, à nos yeux, il n'y avait pas d'autre choix à faire.
Sur le fond ensuite. Que M. Chirac, quasi assuré d'être réélu président pour cinq ans, souhaite obtenir une majorité parlementaire est légitime. François Bayrou a fait un bon score à la présidentielle et, comme Alain Madelin, il a présenté un programme de gouvernement distinct de celui de M. Chirac. Les deux ex-candidats de droite ne souhaitent pas être laminés par le bulldozer du RPR, renforcé par une partie de l'UDF. Leur position aussi est légitime, mais, là encore, il ne faut pas que les querelles de tendances ou de personnes affaiblissent le président. Sans doute doit-il tenir compte des différences qu'ils représentent et peut-être pourrait-il leur confier des tâches - l'Europe et l'Economie ou le Budget - dans lesquelles ils apporteraient convictions et compétences. Mais l'un et l'autre doivent mettre leurs ambitions dans leur poche.
De ce point de vue, l'idée d'un grand parti de droite pour la majorité présidentielle n'est pas négligeable. Le président, s'il est réélu, ne peut sûrement pas compter sur le soutien de la gauche, qui n'a pas vocation à se taire pendant cinq ans et passera sans doute le quinquennat dans une opposition farouche. Mais c'est un autre devoir de M. Chirac de tenter de disposer des instruments qui lui permettront à la fois de tenir compte du message de l'électorat (rapprochement des gouvernés et des gouvernants, mesures décentralisées pour la gestion rapide des intérêts locaux, et très probablement réforme des institutions et de l'Etat qui sont devenues impuissants face aux revendications) et d'apporter, après le maelström du 21 avril, le minimum de stabilité politique indispensable aux réformes.
Carte blanche jusqu'au 5 mai
Quelles que soient les vives différences qui existent entre les démocrates, ils n'ont pas d'autre moyen, pour faire reculer le danger néofasciste, que de donner carte blanche à Chirac jusqu'au 5 mai. Les législatives sont une autre affaire et il est possible que leurs résultats nous apportent une autre carte électorale de la France.
Il n'est pas question de donner un blanc-seing au président réélu. La gauche est affaiblie mais vivante ; la droite a reculé, mais a une chance d'appliquer des idées souvent énoncées, souvent restées lettre morte ; et le mouvement qui a fait de Le Pen le deuxième homme ne va pas, du jour au lendemain, s'aplatir comme un soufflé.
Les enjeux des législatives sont donc immenses. Ce sera d'abord la bataille des démocrates contre la dérive totalitaire ; ce sera ensuite la chance de réformer en profondeur ; ce doit être l'occasion pour la prochaine majorité de faire ce qu'on dit et non plus de dire ce qu'il y a à faire. Le boulet est passé très près ; il faut maintenant faire taire le canon.
Chacun d'entre nous, candidats et électeurs, a moins d'un mois et demi pour dessiner l'avenir immédiat de la France. Chacun d'entre nous n'a que quelques semaines pour méditer : d'abord sur le message de l'énorme vote de protestation du premier tour, qu'il ne faut pas oublier ; ensuite sur la nature des réformes à engager. Il serait excessif d'envisager une forme d'union sacrée des démocrates : le mot même de réforme n'a pas le même sens à droite et à gauche. Mais si le slogan « Chirac et Jospin, c'est la même chose » a jamais eu une signification, la voici : plus d'emplois, un allégement de l'Etat, à la fois omniprésent et inefficace, une hausse du pouvoir d'achat, celle-là même que n'ont pas vraiment favorisée la réduction du temps de travail et les nombreuses interruptions de carrières à 55 ou 57 ans, la relance de la recherche et de la compétitivité, la protection des retraites, la santé mise au rang de richesse nationale, une décentralisation immédiate, profonde, assortie d'abandons de pouvoir par Paris, une intolérance vertueuse à la violence sous toutes ses formes. Il y a du pain sur la planche. Et les résistances ne manqueront pas. Faisons au moins une partie du chemin.
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