Le président de la République est revenu d'Algérie avec un nouveau titre : c'est le leader du monde occidental le plus proche du monde arabe. Il n'y a rien de très surprenant à cela : il a toujours cultivé ses relations politiques et personnelles avec les pays arabes, y compris Saddam Hussein, Muammar Kadhafi et Bachar Al-Assad, jusqu'au moment où il a fallu les interrompre, dans le cas de l'Irak et de la Libye, par exemple.
La visite d'Etat en Algérie ne pouvait mieux tomber : la tournure triomphale qu'elle a prise (et qui ne change rien à la crise profonde que traverse notre ancienne colonie, ni à nos efforts pour contrôler l'immigration, les Alégriens réclamant des visas pendant que la France organise des charters d'expulsés) a confirmé que la posture adoptée par la France dans la crise irakienne ne concerne pas seulement la volonté du gouvernement de contester l'approche belliqueuse des Etats-Unis, mais de présenter notre pays - et aussi l'Europe dont nous avons pris les rênes avec l'Allemagne - comme une alternative crédible à l'influence de la superpuissance.
Une crise sans lendemain...
Le monde arabe nous en sera, sans nul doute, reconnaissant, d'autant qu'il fallait beaucoup de courage pour mettre en uvre une diplomatie aussi agressive et même un peu d'inconscience, dans la mesure où nous avons sacrifié à cet objectif l'amitié de quelques-uns de nos partenaires européens, nos relations avec la Grande-Bretagne, devenues exécrables, et bien sûr nos rapports avec les Etats-Unis.
De toute évidence, M. Chirac est convaincu que les querelles avec certains Etats européens et avec l'Amérique seront sans lendemain : quand la guerre sera terminée, on parlera d'autre chose et on en reviendra aux relations traditionnelles. De plus, le président de la République a montré aux Européens qu'il est capable de tenir aux pays de l'Union et aux candidats à l'Union un langage fortement teinté d'autoritarisme. Il ne renoncera ni au ton ni au contenu de son message : au sein de l'UE, la France se considère comme primum inter pares. M. Bush fait des émules.
Le paradoxe de l'éclat chaque jour plus aveuglant de la France, c'est qu'elle n'en mène pas large sur le plan économique et social. Quand les Etats-Unis se plaignent de la crise, c'est parce que leur croissance, en 2002, n'a été « que » de 2,5 %. Nous sommes dans un état encore moins reluisant, avec des vagues de licenciements, un chômage qui revient rapidement à son étiage de 1997, et un budget impossible à boucler. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin n'est pas inerte, qui avance sur le front des réformes, rejette à bon droit la rigueur, mais revient sur les avantages sociaux accordés par Lionel Jospin. Il lui manque néanmoins le nerf de la guerre et nous souffrons de ce que les Etats-Unis (qui comptaient naïvement sur l'Europe pour prendre le relais de la croissance) ne sont plus en mesure, comme ce fut le cas à plusieurs reprises dans un passé récent, de courir, un peu comme un SAMU financier, à la rescousse des Européens comme ils l'ont fait pour la Corée du Sud, le Mexique ou la Russie. L'Europe n'est pas un continent dont on peut soigner les maux par un remède unique, efficace et rapide.
La presse a donc souligné ce qui sépare les destins du président et du Premier ministre. Quand le second ahanne sous le poids du harnais, le premier caracole, tel un D'Artagnan de la diplomatie, sur la crête étroite d'une politique d'affrontement avec l'Amérique. M. Chirac tire de sa stratégie des bienfaits trop immédiats pour qu'ils durent. Mais ne jouons pas aux Cassandre : le déficit de politique économique est compensé par l'excédent de popularité personnelle du chef de l'Etat ; à la crise qui plonge beaucoup de concitoyens dans le chômage répondent les applaudissements et les youyous enthousiastes des masses algériennes ; la réalité sordide de la pauvreté ou de l'exclusion est oubliée dans les bains de foule et dans l'immense vertu pacifiste de la France, approuvée par une majorité planétaire, par le pape, par le tiers-monde, par tous ceux, des Anglais aux Espagnols qu'indigne le choix de leur gouvernement. M. Chirac est populaire au-delà des frontières, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes chez un homme qui, ayant décidé de poursuivre les essais nucléaires français aussitôt après avoir été élu président en 1995, a soulevé la colère du monde pour, quelque huit ans plus tard, se métamorphoser, sinon en pacifiste, en champion de la paix.
On nous répondra à juste titre qu'il a placé son ambition, dans les deux cas opposés que nous venons de citer, au service de la stature de la France. C'est vrai. Mais le chef de l'Etat semble complètement défini par le présent, par l'acte du moment, par sa réaction à une crise donnée ; il ne situe pas son action dans la durée. Si l'avenir avait à ses yeux une importance essentielle, il n'aurait pas pris des risques dont les conséquences seront ultérieures.
En même temps, il pousse à un degré extrême le partage des tâches avec le chef du gouvernement. A lui le domaine réservé, à l'autre les soucis quotidiens. Mais la vie des Français n'est pas faite d'envolées lyriques sur la splendeur de la paix. Notre posture sur l'Irak masque des difficultés nationales très sérieuses et auxquelles on a le sentiment que M. Raffarin qui, conformément au système de la Ve République, doit servir de fusible, risque un jour d'être sacrifié. Il avance en effet sur un terrain miné : le budget, dont le déficit n'est toujours pas clair, mais aurait dépassé de peu les 3 % en 2002 et atteindrait 3,5 % en 2003, nous vaut déjà des avertissements de la Commission de Bruxelles, et bientôt une procédure visant à sanctionner la France ; les vagues de licenciements sont acceptées avec résignation par le gouvernement qui n'a trouvé qu'une expression, « patrons-voyous » pour se démarquer de ceux qui licencient, sans limiter pour autant le phénomène ; la dette nationale dépasserait les 60 %, plafond imposé par les accords de Maastricht et pèsera sur les taux d'intérêt ; une spirale vicieuse est en place contre laquelle les pouvoirs publics semblent bien désarmés qui entendent tous les jours des chiffres calamiteux et se contentent de les enregistrer.
La sortie de Claude Chabrol
Fallait-il pour autant que Claude Chabrol, cinéaste un brin provocateur s'immisce à sa façon dans cette scène bien sombre pour se moquer de l'apparence physique de M. Raffarin ? Si on respecte le metteur en scène, on se demande ce qui lui a pris soudain quand il s'est gaussé du Premier ministre, de sa « gueule » et de son allure. Le chef du gouvernement a répondu par une question qu'a rendue populaire une vedette qu'il adore : « Qu'est-ce qu'elle a, ma gueule » ? Il est vrai qu'à un jugement dérisoire et absurde, on ne saurait répondre sérieusement. Et que M. Chirac, naguère jugé « usé et vieilli » par un Lionel Jospin soudain sorti de sa réserve, s'est défendu en dénonçant le « délit de sale gueule ». A n'en pas douter, il y a une forte dose d'intolérance dans ces propos de café du commerce qui visent à dénigrer des hommes politiques non pour ce qu'ils font mais pour ce qu'ils sont. Mais on ne nous reprochera pas de mettre en parallèle la grandeur retrouvée de la France et le niveau de vulgarité où est tombé le débat politique.
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