Crise durable entre la France et les Etats-Unis

Chirac et Bush aux antipodes

Publié le 30/06/2004
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ENTENDONS-NOUS BIEN : on ne peut qu'approuver le chef de l'Etat quand il rappelle que la construction européenne n'est pas du ressort des Etats-Unis et que leur intervention (répétée) en faveur de la Turquie (dont l'adhésion n'a nullement été rejetée par la France) équivaut à une ingérence.
L'annonce du différend franco-américain sur cette affaire (parmi d'autres) est donc plus importante que le différend lui-même. M. Bush, a dit Jacques Chirac, « est non seulement allé trop loin, il est allé sur un terrain qui n'est pas le sien ». Ce propos est délibéré.
M. Bush ne s'est jamais imposé par sa subtilité. Il croit encore, malgré ses multiples échecs, qu'il est en mesure de dicter leur conduite à d'autres membres de l'Alliance atlantique. Mais il suffisait à M. Chirac de lui répondre non et de n'en rien dire au public. Il a préféré rappeler à ses concitoyens qu'il est le fer de lance européen de la lutte contre l'hégémonie américaine. Cela le rendra un peu plus populaire, ou un peu moins impopulaire, mais cela approfondira aussi le fossé entre les deux pays.

Il n'en faut pas beaucoup.
Or, en même temps que nous tenons la dragée haute à l'exécutif américain, nous combattons encore les effets négatifs pour notre commerce de notre action diplomatique contre l'invasion de l'Irak, l'année dernière. Nous déployons des trésors d'imagination pour faire revenir les touristes américains et nos diplomates en poste aux Etats-Unis s'efforcent de diffuser un message d'amitié. C'est un peu contradictoire.
D'autant qu'il n'en faut pas beaucoup aux Français pour se plonger avec délices dans l'anti-américanisme. La circonstance aggravante leur est fournie par un président des Etats-Unis hors normes qui est parvenu à cumuler l'arrogance et l'ineptie. Loin de distinguer le gouvernement du peuple américain, une forte majorité de Français estiment qu'un tel pays ne pouvait produire que ce président-là.

ON VOUDRAIT ECRIRE QUE M. BUSH N'EST PAS UN BON PRESIDENT SI ON NE CRAIGNAIT D'ALIMENTER L'ANTIAMERICANISME

A n'en pas douter, l'anti-américanisme historique des Français a fini par déclencher chez les Américains, à cause de la crise engendrée par l'Irak, des sentiments antifrançais tout aussi violents - et dont les diverses expressions ne les grandissaient guère. Cependant, la différence entre eux et nous, c'est qu'ils oublient vite, alors que nous avons la rancune tenace. Et que nos intellectuels, contrairement aux leurs, qui nous déclarent leur flamme tous les jours, font partie du vaste complot franco-français destiné à diffamer l'Amérique et auquel participent les intolérants qui marinent dans leur haine depuis qu'ils sont nés, une gauche dont le salut passe encore par l'anti-impérialisme, des auteurs de tous bords qui se sont chargés d'abattre, par toutes les calomnies possibles (les bombes des ingrats et des envieux) la soixantième commémoration du Débarquement, et bien entendu, le cortège désormais habituel des altermondialistes, de l'extrême gauche et autres José Bové.


Tête de Turc.
On voudrait donc pouvoir écrire que, décidément, M. Bush n'est pas un bon président, si on ne craignait d'alimenter les métastases de la haine. On voudrait approuver M. Chirac et approuver les socialistes qui l'approuvent si on n'avait l'impression que, en définitive, M. Bush est devenu la tête de Turc idéale. Car, en s'ingéniant avec acharnement à justifier par ses propos ou par ses attitudes le monceau de critiques qui s'abat sur lui, il fait oublier tout ce que l'Amérique a de bon et que la réapparition de Bill Clinton sur nos écrans de télévision a parfaitement exprimé.
Comme tout ce qui est excessif, l'allergie des Français à l'Amérique brouille leur raisonnement. Lorsqu'on entend des intellectuels souhaiter une défaite américaine en Irak, on est d'autant plus choqué que leur défaite serait nécessairement la nôtre. Dans l'aversion aveugle qu'inspire M. Bush à des gens qui font métier de haïr, ils perdent toute mesure et ne voient même plus qu'il a tenu compte des objections qui lui ont été adressées : il a renoncé au multilatéralisme, il a rendu leur souveraineté aux Irakiens, il libère les prisonniers irakiens après le scandale d'Abou Ghraib, il y aura des élections en Irak au début de l'année prochaine et M. Bush, qui vient de rapatrier son « gouverneur », Paul Bremer, a renoncé au modèle MacArthur pour la gestion de ce pays.

Désarroi.
Lequel est certes dans une situation extrêmement précaire par la faute des Américains. Mais après tout, le pire n'est pas sûr. Ce qui est incontestable, c'est que, en dépit de ceux qui parlent de « fausse sortie » américaine (ils n'ont rien compris à la perplexité et au désarroi d'un président qui se représente dans quatre mois pour un second mandat), M. Bush, par la force des choses, serait heureux d'évacuer l'Irak s'il ne craignait une guerre civile et un éclatement du pays. Cessons de lui attribuer des arrière-pensées qu'il n'a pas. Il en a suffisamment par ailleurs.
Quant aux Français qui se réjouissent des revers américains, on s'intéressera à leurs commentaires quand un Irak islamisé se transformera en base pour les terroristes d'Al-Qaïda. Dans cette affaire, il y a longtemps que la plupart des Français ont oublié les attentats du 11 septembre (ont-ils jamais compris le choc causé aux Américains, ont-ils alors sympathisé ?) et qu'ils ne parviennent pas à considérer comme tout à fait mauvais un Ben Laden qui prend à partie les Etats-Unis. Il suffit de voir comment, en Irak, on décapite joyeusement les otages. Nous n'avons pas lu un seul article dans la presse française qui dénonce cette monstrueuse façon d'agir, ou tout au moins qui rappelle que Ben Laden et associés ont réussi à surpasser les plus barbares de leurs prédécesseurs.
Il est sûr que Ben Laden, quand il aura un surplus d'explosifs à faire sauter quelque part, se rappellera que d'aucuns, en France, le préfèrent à Bush ; il est sûr qu'il nous récompensera pour notre mansuétude ; il est sûr qu'il nous épargnera.

> RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7572