EN D’AUTRES TERMES, M. Chirac promulgue la loi et la change en profondeur à la fois.
Personne ne peut nier qu’il existe une majorité contre le CPE, pas plus qu’on ne peut nier la force des manifestations populaires, la révolte des jeunes contre un texte qui, selon eux, les pénalise, les conséquences graves de l’adoption du CPE sur l’état de la France. Le pays risque de se déchirer durablement et, après tout, à un peu plus d’un an des élections générales, le statu quo était envisageable et peu dommageable pour les projets de Dominique de Villepin.
Mais on peut retourner ces arguments en faveur du président. La contestation, depuis le début de la crise, a fait peu de cas de la majorité gouvernementale ; le bon fonctionnement de la démocratie exigeait que l’opposition attendît son heure : si le contrat social est abîmé, les Français peuvent voter à gauche et obtenir une nouvelle majorité qui s’empressera d’abolir la loi sur l’égalité des chances, ou abolir seulement l’article qui crée le CPE. Mais, maintenant, est-ce bien nécessaire ?
Gouvernance à la hussarde.
Les syndicats sont fondés à se plaindre de l’absence de dialogue et à reprocher à Dominique de Villepin sa gouvernance à la hussarde ; rien ne les autorise cependant à lancer des ultimatums au gouvernement démocratiquement élu, ce qu’ils ont pourtant fait à plusieurs reprises.
On remarquera en outre que c’est l’opposition (60 députés socialistes) qui a déposé un recours devant le Conseil constitutionnel, lequel a approuvé le texte de loi « sans réserves ». Or, si le Conseil avait requis le retrait de l’article sur le CPE, la gauche aurait crié victoire. Son combat, entièrement fondé sur « la démocratie de la rue », par opposition à celle des urnes, n’est pas légaliste. Dès que le Conseil a rendu public son verdict, la gauche en choeur a déclaré que sa décision n’avait pas la moindre importance. Dans ce cas, pourquoi a-t-elle déposé son recours ?
D’autres, nombreux, espéraient que le Conseil, présidé par Pierre Mazeaud, ami de M. Chirac, « rendrait service » au président en lui demandant de ne pas publier la « loi scélérate » comme le réclame bien imprudemment cet agrégé de droit qu’est Jack Lang : que ne dira-t-on pas, à quelles contorsions juridiques se livrera-t-on, de quelles déviations du droit et des règles démocratiques s’inspirera-t-on pour prouver qu’on a raison ? Quel affront a-t-on fait au Conseil constitutionnel quand on a imaginé que ses membres réduiraient leur immense fonction à une fleur faite au président ?
De la même manière, pourquoi M. Chirac aurait-il attendu que le Conseil lui apportât soulagement et réconfort en exigeant la suspension d’une loi embarrassante ? Quel respect pour sa propre fonction aurait-il s’il se bornait à interpréter l’existence de l’institution juridique suprême de la République pour en faire l’instrument d’une politique conjoncturelle ? Et pourquoi ne devait-il pas ressentir le soutien du Conseil comme une victoire, ou tout au moins comme une approbation de sa démarche ?
Dans la décision du chef de l’Etat de promulguer la loi, il y a, qu’on l’admette ou non, une continuité légale : recours au 49/3, article que la gauche au pouvoir n’a jamais cherché à faire abroger, vote majoritaire à l’Assemblée, test du Conseil constitutionnel : on peut bien crier dans les rues et incendier des voitures, force reste à la loi.
CHIRAC AURAIT PU SUSPENDRE LA LOI :IL Y A PARFOIS DE LA GRANDEUR DANS LE RENONCEMENT
Le pays est mal engagé.
Nous rappelons tous ces faits pour montrer qu’entre la mégalomanie du Premier ministre, décidé à sauver son ego au prix d’un embrasement national, et les soucis tactiques de l’opposition et des syndicats, pas meilleurs que le gouvernement quand ils cherchent plus à sauver la face qu’à assurer l’avenir de la jeunesse, le pays est fort mal engagé. Désespérez du gouvernement si vous voulez, mais quand vous entendez des gens aussi sérieux (habituellement) que Julien Dray, Laurent Fabius ou Dominique Strauss-Kahn affirmer que la décision du Conseil constitutionnel n’a aucune incidence sur la réalité de la révolte des syndicats et des jeunes, vous devez vous dire qu’ils seront prêts à tous les expédients quand ils seront au pouvoir.
Le secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly, a déclaré vendredi dernier, avant l’intervention télévisée du chef de l’Etat, que, si la loi était abrogée, la journée d’action et de grèves de demain n’aurait plus lieu d’être. C’est vrai, c’était une main tendue. Mais en même temps, le jeu de la révolte en vaut-il la chandelle ? Un an de CPE ne va sûrement pas détruire le tissu social français. Il suffisait donc de patienter jusqu’aux élections. Pour les syndicats, aujourd’hui, il ne s’agit pas de se dresser contre un danger mortel. Il s’agit d’avoir gain de cause au prix d’un affaiblissement durable de la fonction présidentielle.
Dans cette affaire, on retrouve tous les ingrédients de la tragédie classique : des hommes sont poussés vers un destin funeste parce qu’ils ne peuvent en aucun cas transiger sur des principes peut-être plus puissants que les enjeux qu’ils poursuivent. Chirac doit prouver, une fois de plus, qu’il est le gardien des institutions. L’opposition, les syndicats et la jeunesse ont fait savoir que l’étrange décision du chef de l’Etat ne les satisfait guère. Rien ne détournera de cette route ni les uns ni les autres. La collision est prévue, programmée, certaine, et personne ne donnera le coup de volant qui empêchera l’accident.
Le discours rêvé de Chirac.
Pour terminer, on retournera une troisième fois les mêmes arguments contre Jacques Chirac. Garant des institutions, certes. Mais garant aussi de la paix sociale. Un homme de 72 ans qui a exercé les plus hautes fonctions de la République, qui a obtenu deux mandats présidentiels, qui a accompagné l’histoire de son pays pendant un demi-siècle n’a plus rien à prouver, n’a plus besoin de rien pour lui-même. Il aurait pu dire : «Je n’avais aucune raison de ne pas promulguer la loi, sinon que j’aime mon pays et les gens qui l’habitent, et que je ne ferai rien qui accroisse leur ressentiment et, souvent, leur souffrance. Je renonce donc parce que nous avons tous besoin d’un peu de calme». Il y a de la grandeur dans la fermeté (on a comparé Dominique de Villepin à Margaret Thatcher), il peut y en avoir dans le renoncement. Chirac aurait pu introduire un peu de passion racinienne dans son dilemme cornélien.
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