Les voies du président sont impénétrables : Marie-Josée Roig, maire d'Avignon, venait à peine d'affirmer que le chef de l'Etat n'annoncerait pas sa candidature à l'élection présidentielle au cours de sa visite lundi dans la cité des papes que Jacques Chirac s'empressait de faire le contraire.
Le président de la République n'a pas vraiment choisi la date de son entrée en campagne. Il aurait préféré être le dernier à se prononcer, en tout cas après Lionel Jospin, parce qu'il aurait semblé, de cette manière, avoir le contrôle absolu de son destin ; parce que cela eût été plus digne de sa fonction, laquelle, en l'occurrence, est son meilleur atout, sinon le seul ; parce qu'une candidature annoncée le plus tard possible aurait indiqué qu'il est maître de ses nerfs. Comme François Mitterrand qui, en 1988, a laissé le suspense parvenir à son paroxysme, avant d'y mettre un terme au mois de mars, à quelques encâblures du scrutin.
L'apnée la plus longue
Jacques Chirac a agi conformément à son tempérament : la sagesse lui dictait de maintenir un mystère (qui ne trompait personne) jusqu'à ce que M. Jospin, n'y tenant plus, annonce sa candidature. Au jeu de qui retient son souffle le plus longtemps, le Premier ministre vient donc de démontrer qu'il est capapble d'avoir l'apnée la plus longue. Il ne tardera plus à entrer dans une campagne où les absents ont tort, si l'on remarque que ce sont les candidats déclarés, mais du deuxième rang, qui ont animé jusqu'à présent un débat plus que jamais indispensable.
Mais pour M. Chirac, les nuages s'accumulaient : Jean-Pierre Chevènement lui prend des voix, les sondages se sont inversés en faveur de M. Jospin, et au moins deux candidats de la droite, Alain Madelin et François Bayrou, lui faisaient de l'ombre.
Le chef de l'Etat attend de son simple effet d'annonce un effet miraculeux. Il souhaite que les candidatures de MM. Madelin et Bayrou apparaissent tout à coup comme dérisoires et nuisibles, alors que les partisans du président ont formé l'Union en mouvement (UEM) pour rassembler le maximum d'électeurs autour du seul candidat qui soit crédible à leurs yeux. L'UEM n'est pas une mauvaise idée du point de vue chiraquien, dans la mesure où cette campagne n'est pas facile et que les divisions, même si les scores de M. Bayrou et de M. Madelin sont faibles, mettent la droite en péril.
Enfin, M. Chirac ne peut pas écarter d'un revers de la main les conséquences négatives de ses démêlés avec la justice et de l'affaire Schuller. La partie va être très rude et elle peut être pour lui politiquement mortelle. L'UEM démontre à l'électorat que M. Madelin n'est pas soutenu par Démocratie libérale, comme en témoigne l'excellent travail de communication effectué par Jean-Pierre Raffarin, lui-même DL, qui, pour la circonstance, a acquis une dimension nationale, et que l'on considère comme un Premier-ministrable ; et que M. Bayrou n'est pas soutenu par toute l'UDF, puisque Philippe Douste-Blazy, maire de Toulouse, a rejoint le camp de M. Chirac dès le début et que c'est à Toulouse que la droite parlementaire intronisera Jacques Chirac.
Tout bien réfléchi, si MM. Bayrou et Madelin veulent laisser une chance à l'opposition, ils devraient se désister avant le premier tour et appeler à voter Chirac.
Le coup de la fracture sociale
Ils ne le feront sans doute pas et, cette année, M. Chirac aura beaucoup de mal à se présenter comme un homme neuf. Il avait réussi ce tour de force en 1995, dans le galop de dernière heure qui l'avait placé devant Edouard Balladur. Il avait été élu alors sur le thème de la « fracture sociale » et sur un ton de sincérité qui avait enflammé la jeunesse. Il n'y a pas une chance cette année que beaucoup de jeunes votent pour lui. Beaucoup de commentateurs rappellent que l'étiage naturel de M. Chirac, c'est 20 %, score qu'il n'a pas dépassé de beaucoup (20,57) au premier tour de la présidentielle de 1995, et qu'il n'a pas atteint auparavant (19,76 en 1988, 18,02 en 1981). Il est vrai que, en 1995, il lui manquait les plus de 18 % des voix qui s'étaient portés sur Edouard Balladur ; et bien que Lionel Jospin dépassât M. Chirac de plus de 2 points, arrivant en tête au premier tour, le maire de Paris emporta le second tour avec 52,69 % des suffrages.
Cette année, M. Chirac n'a pas M. Balladur pour lui barrer la route et les scores ajoutés de MM. Madelin et Bayrou sont à des lieues de celui de M. Balladur en 1995. Mais il a M. Chevènement, qui attire vers lui des électeurs sincères et intègres, las des « affaires », des ratiocinations et des idéologies mouvantes, plus dépendantes du vent de la popularité que de fermes convictions. M. Chirac, en outre, a pris, en dépit de son indomptable énergie, un coup de vieux. A cause des scandales auxquels le RPR est mêlé - d'où la popularité de M. Chevènement ; à cause d'un discours, comme celui de la fracture sociale, qui n'a pas été traduit dans les faits ; à cause d'erreurs stratégiques, comme la dissolution de 1997, qui dénote un jugement tellement bizarre que les Français se sont alors demandé s'ils étaient dirigés par un homme de bon sens.
En vérité, M. Chirac ne peut espérer qu'une chose : une majorité de toute façon très courte, qui sanctionnera un Jospin que le pouvoir a quelque peu aigri au point que cela se voit dans son comportement quotidien, et se portera sur M. Chirac avec plus de résignation que d'enthousiasme.
Brouiller les pistes idéologiques
Il ne fait pas de doute que le président, une fois encore, se hissera au-dessus de la bataille droite-gauche et qu'il tentera, comme en 1995, de complaire aux riches et aux pauvres. Il dira, avec d'autres mots que ceux de Giscard, que la gauche n'a pas le monopole du cur ; mais que, pour apaiser les frustrations du plus grand nombre, la redistribution de la richesse nationale n'est pas le moyen le plus efficace, et que, pour créer des emplois, il faut augmenter la productivité au lieu de la diminuer, comme l'a fait la semaine de 35 heures, et libérer les forces entrepreneuriales du pays.
Il ne convaincra pas la clientèle de M. Jospin, les bénéficiaires de la CMU, la plupart des salariés qui travaillent moins (mais pas les cadres, contraints de compenser les absences au titre de la RTT par un surcroît d'efforts), les SMICards et les RMIstes. L'exercice qui consiste à se présenter comme le président de tous les Français a ses limites. Le problème numéro un de M. Chirac, c'est sa crédibilité, après des mesures Juppé qui ont accablé les Français, quelques mois à peine avant une forte reprise de l'économie qu'aucun expert du Premier ministre d'alors n'a su prévoir.
Une carte pour Chirac
Il n'en demeure pas moins que, venue tôt, tard ou à l'heure, l'annonce de la candidature du président à un deuxième mandat va clarifier le débat, galvaniser les forces qui soutiennent M. Chirac, relativiser l'effet Chevènement, placer François Bayrou et Alain Madelin dans une situation très délicate (ne va-t-on pas leur reprocher d'uvrer contre leur propre camp ?), et donner le la d'une campagne qui sera d'autant plus violente que la cohabitation a été affreusement conflictuelle. Elle aura été, d'ailleurs, une carte excellente, sinon décisive, pour M. Chirac, dans la mesure où il a su, avec une perversité dont on ne l'aurait pas cru capable, déstabiliser M. Jospin, provoquer sa colère en public, le piquer de mille banderilles sans jamais respecter les règles non inscrites de la cohabitation. Comme jadis François Mitterrand, le Jacques Chirac de la cohabitation s'est conduit en censeur du gouvernement pendant cinq ans. Une sorte d'éditorialiste qui, ne faisant que commenter, ne cessait de dénoncer des mesures qu'il jugeait maladroites, dangereuses, inefficaces ou à contre-courant. Du haut de sa chaire de magistrat suprême, il a fait de l'opposition bien mieux que ses amis élus du Parlement.
Pour autant, cette critique systématique de l'action de M. Jospin et de ses ministres ne constitue pas en soi un programme. L'UEM a pour tâche de mettre au point un tel programme dont M. Raffarin commence à exposer les grandes lignes avec assez de clarté. L'actuel président de la région Poitou-Charentes qui, par ailleurs, est un spécialiste de la communication, doit néanmoins inventer de nouveaux slogans capables de faire croire au peuple que M. Chirac est l'homme du moment, ce qui est une tâche pratiquement insurmontable, ou alors que le président, au cours d'un second mandat, mènera à bien des réformes brutalement interrompues en 1997. Il s'agirait de donner du temps à un homme qui en aurait manqué, en quelque sorte.
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