L'annonce faite par le garde des Sceaux, Dominique Perben, d'une prochaine révision constitutionnelle qui sera soumise au Parlement soulève autant de remous que de perplexité. Dès que « le Monde » a publié la nouvelle avant même que le ministre ne se fut exprimé, deux camps se sont créés, comme c'est la tradition en France, les pour et les contre.
Il devrait y en avoir un troisième, celui des indifférents. Non seulement parce que ce qu'on lit du projet n'est pas limpide, mais parce qu'on ne voit pas très bien ce que la révision apporte, ni si elle protège le président ou de la République ou au contraire fait de lui un justiciable comme les autres.
Un refus légitimé
Ce qui occupe le devant du débat, c'est bien sûr la création d'une procédure d' impeachment à l'américaine qui autoriserait nos élus à destituer le président s'il commet un acte, politique ou autre, d'une gravité insigne. Mais celui qui prévoit cette procédure est bien peu susceptible d'en subir les effets. Personne ne croit, par exemple, que M. Chirac pourrait un jour trahir son pays. Il faut donc accumuler de telles charges pour déclencher la procédure qu'elle n'a pratiquement aucune chance d'être appliquée.
En même temps, le chef de l'Etat va faire inscrire dans le texte fondamental l'immunité du président de la République au sujet de faits antérieurs à sa prise de fonctions. En d'autres termes, il espère mettre un terme à l'affaire dite des « frais de bouche » où il est accusé d'avoir faussement surpayé l'approvisionnement de ses repas quand il était maire de Paris. Pour d'autres affaires, notamment celle de corruption liée au marchés publics de la ville de Paris, le président a refusé de répondre à une convocation du juge Eric Halphen, alors chargé de l'affaire, et c'est en quelque sorte ce refus qu'il veut légitimer.
Mais, pour autant qu'une autre disposition n'est pas contenue dans la révision, M. Chirac pourra être poursuivi aussitôt après la fin de son second mandat. Ce danger ne nous semble nullement écarté et chacun sait que quelques hommes politiques, dont le député socialiste Arnaud Montebourg, qui a bâti sa notoriété sur son harcèlement du président, ont bien l'intention de relancer les procédures à ce moment-là.
Cela n'a pas empêché l'opposition, ni les journaux qui lui sont proches, de considérer que M. Chirac se crée une immunité absolue contre la justice. Et d'évoquer une « justice à deux vitesses » qui épargne un président mais accable José Bové. C'est le genre de comparaison qui vaut ce qu'elle vaut : évidemment, ce n'est pas demain que Jacques Chirac cassera des McDonald's ou incendiera des champs de plants OGM, et on n'imagine pas M. Bové en train de s'enrichir au moyen de notes de frais excessives.
Un troisième mandat ?
Il est vrai que, dans notre pays si prodigue de ses vertus, la justice s'exerce encore selon que vous serez puissant ou misérable ; et nous ne nous sommes pas privés de l'épingler chaque fois que nécessaire. Mais les défaillances du système judiciaire ne l'empêchent pas de fonctionner convenablement en général. Cyniques, et pas toujours parfaitement informés, les Français, qui entendent distraitement que le pouvoir corrompt, supposent qu'ils voient seulement la pointe émergée de l'iceberg et se convainquent, d'une manière expéditive, que toute la classe politique est corrompue, en utilisant la formule, directe mais quelque peu vulgaire, de « tous pourris ! » S'ils le sont, cela n'empêche nullement de prévenir ou de sanctionner les crimes et délits de droit commun.
Quoi qu'il en soit, la révision ne semble pas protéger le président au-delà de son mandat. A telle enseigne qu'on le soupçonne de vouloir se présenter de nouveau pour le prochain quinquennat afin de prolonger son immunité. C'est une stratégie possible, mais on ne saurait exclure non plus que sa popularité l'encourage à demander un troisième mandat, ce dont il a le droit grâce à la réduction à cinq ans, mais renouvelables, du mandat présidentiel que Lionel Jospin a voulue et obtenue et qui, en fait, par une de ces ironies dont l'histoire a le secret, pourrait profiter à son ancien adversaire. Il n'y a pas d'âge pour la retraite de président et il ne serait nullement inconcevable que M. Chirac gouverne jusqu'à 79 ans. Il y a des précédents.
Si ces prédictions quelque peu farfelues (et plus en rapport avec la boule de cristal qu'avec la politique) se confirment, il n'est pas impossible qu'entre-temps M. Montebourg perde son propre mandat et que d'autres adversaires du président ne survivent pas à sa longévité politique. Il est néanmoins tout aussi probable que M. Chirac quitte l'Elysée en 2007 et qu'il ne soit plus, alors, invulnérable sur le plan judiciaire. La révision ne peut donc pas avoir été conçue comme un stratagème mis au point pour mettre M. Chirac à l'abri de poursuites ultérieures.
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