La délégation qui accompagnera Jean-Pierre Raffarin en Chine devait se composer de 200 personnes (ministres, chefs d'entreprise, diplomates et journalistes). Finalement, indique-t-on au cabinet du Premier ministre, seulement 80 personnes devraient prendre place ce matin à bord de l'Airbus à destination de Pékin. Personnels techniques et navigants compris.
Tous sont évidemment volontaires et ont suivi ces derniers jours une préparation avant l'embarquement. Ils recevront des lingettes désinfectantes, des gels hydro-alcooliques et des masques. Chacun d'eux devra remplir un questionnaire médical, mais il n'est pas prévu une visite systématique, non plus qu'au retour.
C'est le médecin de l'Hôtel Matignon, le Dr Jean-Paul Hyrien, qui supervise les aspects sanitaires de la manuvre, en liaison avec le ministère de la Santé et le Quai d'Orsay. Il s'est rendu en Chine il y a trois semaines pour mettre en place « une structure de qualité occidentale » dans un hôpital de Pékin afin de procéder, si nécessaire, à des examens d'urgence. Outre une note médicale sur la maladie, il a rédigé un certain nombre de consignes. En particulier, les membres de la délégation devront veiller à rester toujours en groupe, renonçant à tout déplacement individuel à caractère touristique (la visite de la Cité interdite qui était initialement prévue a été déprogrammée) ; il leur est recommandé de se laver fréquemment les mains, de ne pas boire d'eau du robinet, de s'abstenir de consommer fruits, légumes et autres crudités.
En outre, les transports seront effectués non pas, comme prévu, en voiture, mais à bord de minibus et l'étape de Shanghai a été annulée afin de ne pas multiplier les risques.
Quant aux masques respiratoires, ils seront mis à disposition dans l'avion et dans les hôtels, mais leur emploi sera discrétionnaire. Et, dans l'entourage du chef du gouvernement, on indiquait que Jean-Pierre Raffarin n'y aurait pas recours.
Pourtant, sur cette question, les avis médicaux sont partagés. Tout en soulignant que « les risques de contamination sont incroyablement faibles, surtout avec le dispositif sanitaire qui sera le sien », le Pr Claude Got s'interroge : « Le Premier ministre va-t-il oser s'afficher en public avec un masque ? S'il en avait le courage, ce serait un signe, un symbole fort adressé aux Français et à la communauté internationale, un geste aux vertus pédagogiques certaines, en dehors de tout esprit de gloriole. Y renoncer afficherait une absence de cohérence par rapport aux messages que les autorités de santé publique s'efforcent de faire passer dans l'opinion depuis plusieurs semaines. »
Correction et sagesse
Réaliste, le Pr Bernard Debré, coutumier des contraintes des voyages officiels puisqu'il eut la charge du ministère de la Coopération (1993-1995), pense qu' « on a peu de chances de voir M. Raffarin avec sa bavette devant les caméras ». Son port ne serait pourtant pas hors de propos, estime le chef du service d'urologie de Cochin. « Et même, souligne-t-il, ce serait une stricte affaire de correction dès lors qu'il serait mis en contact avec des interlocuteurs eux-mêmes ayant choisi de se masquer. »
« Ce n'est pas parce qu'on est Premier ministre qu'on est épargné par les risques épidémiques, note pour sa part le Pr François Bricaire ; dès lors qu'il côtoiera des concentrations importantes de population, la sagesse passerait par le port du masque. Moi, ça ne me choquerait pas de le voir circuler ainsi. Bien sûr, il faut naviguer entre le bon sens commandé par la nécessité scientifique et les impératifs liés aux gestes politiques et diplomatiques, mais si, en ce cas, le Premier ministre renonçait au masque, cela me gênerait quelque peu. » Une gêne que le Pr Bricaire ressentirait face aux « conséquences didactiques et aux risques et périls qu'entraînerait l'abstention, au retour, pour les entourages des personnes ayant participé à la délégation. »
« Respectons le principe de précaution, évidemment, mais abstenons-nous de sombrer dans le ridicule », préconise enfin le Pr Marc Gentilini. Le président de la Croix-Rouge française, qui salue « le courage d'un homme d'Etat soucieux d'assumer ses responsabilités », juge qu'il eut été « déplorable » de reporter ce voyage, au risque de « condamner la Chine et sa région à un apartheid de fait ».« Jean-François Mattei, poursuit-il, a eu la sagesse de qualifier la situation de sérieuse et non de dramatique. Certes, le fantôme de la grippe espagnole de 1918 rode dans les esprits, certains évoquent leurs réminiscences des premiers temps du sida, mais nous connaissons aujourd'hui une épidémie et non une pandémie.
Dans ces conditions, le masque porté en face des sujets sains ne serait justifiable que si les Chinois eux-mêmes choisissaient de le porter. »
A Matignon, on répète qu' « il faut raison garder ». Une photo du Premier ministre masqué n'est pas totalement exclue.
A Pékin, 588 cas et 28 morts
La pneumonie atypique a touché 588 personnes et fait 28 morts dans la capitale chinoise, selon l'agence Chine nouvelle. Quatre-vingt-dix-neuf de ces cas concernent des membres du personnel médical et 46 malades du syndrome ont été déclarés guéris, toujours selon l'agence officielle. Pour l'ensemble du pays, le dernier bilan (publié mardi) fait état de 2 158 cas et 97 morts.
Les autorités chinoises ont écourté dans ces conditions la traditionnelle semaine de congés du 1er au 7 mai, durant laquelle les Chinois voyagent beaucoup, afin de limiter les risques de propagation de l'épidémie.
La direction générale de la Santé (DGS) déconseille « fortement » de se rendre à Hong Kong ainsi que dans la province de Guangdong ; pour les zones affectées par l'Organisation mondiale de la santé (Pékin, Shanxi, Taiwan, Hanoi, Singapour et Toronto), la DGS recommande de « différer les voyages dans la mesure du possible » et sinon de suivre les précautions recommandées sur place.
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