Le flot de critiques qui a accueilli la présentation des comptes du régime général et des grandes lignes du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2002 n'est sans doute pas dénué, chez certains, d'arrière-pensées partisanes. Mais il est loin d'être totalement infondé. On ne peut en effet que souscrire à l'affirmation de l'économiste Claude Le Pen qui, commentant les prévisions faites par Elizabeth Guigou, déclare aux « Echos »: « Nous sommes en pleine fiction. »
La politique menée par le gouvernement en matière de finances sociales pèche à la fois par opacité, par optimisme - pour ne pas dire par angélisme - de façade, par mélange des genres et tout compte fait par maladresse politique.
Par opacité d'abord. La présentation des comptes selon deux méthodes, l'ancienne (encaissement-décaissement) et la nouvelle, il est vrai meilleure (celle dite des droits constatés), aboutit à de curieux résultats, puisque les excédents que faisait apparaître l'ancienne méthode se transforment en déficits avec la nouvelle comptabilité. Le mélange de deux devises (franc et euro) ajoute à la confusion. Tout cela ne peut évidemment qu'alimenter les soupçons, pas nécessairement fondés, de manipulation.
Par son optimisme forcené, ensuite. Un optimisme dont on ne sait s'il relève de la méthode Coué, de la politique de l'autruche ou de l'argumentaire de préau d'école. Qui peut croire un seul instant à des prévisions élaborées à partir d'une évolution de la masse salariale de 5 % l'an prochain, alors que le chômage a recommencé à augmenter ces derniers mois et que les plus grandes incertitudes pèsent sur l'économie mondiale ? Qui peut croire, surtout, que l'on parviendra à limiter à 3,8 % la croissance des dépenses d'assurance-maladie ? Faut-il rappeler que, depuis 1998, les prévisions ont toujours été dépassées, que pour 2000 le pourcentage d'évolution des dépenses a été de 5,6 % et que pour 2001 il devrait être de 5 % (au lieu des 3,5 % prévus) ? Fixer un taux de 3,8 % est tout bonnement surréaliste. D'autant plus que le gouvernement s'est engagé à créer, sur trois ans il est vrai, 45 000 emplois supplémentaires dans les hôpitaux, ce qui, pour la seule année 2002, représente un surcoût de 3 milliards de francs. Faut-il ajouter que l'on voit mal ce qui pourrait contribuer à maîtriser les dépenses de médecine de ville puisqu'Elisabeth Guigou n'a pour l'instant réussi à mettre en place aucun système de régulation qui ait l'aval des médecins libéraux et qu'elle se contente de maintenir le dispositif actuel - celui des lettres clés flottantes -, qui suscite la grogne des médecins et qui ne permet pas de maîtriser les dépenses (et ce d'autant moins que, pour éviter de se livrer à une provocation trop flagrante à l'égard des praticiens, on ne l'a pas appliqué cette année) ?
Certes, la politique de baisse des prix des médicaments et de baisses des taux de remboursements pour certaines spécialités a permis d'infléchir quelque peu la progression des dépenses pharmaceutiques, mais pas de la ramener à un rythme compatible avec le respect de l'ONDAM. Il n'est pas certain que la poursuite de cette politique l'an prochain et le développement espéré des génériques permettent de corriger une tendance que déplorent les argentiers mais que beaucoup de spécialistes jugent inévitable.
Bref, Elisabeth Guigou va devoir, encore une fois, demander au Parlement de se prononcer sur un objectif de dépenses établi au doigt mouillé et dont on sait qu'il ne sera pas respecté. Cette sorte d'exercice législatif platonique risque, à force, de provoquer quelques crises d'urticaire chez des parlementaires, y compris de la majorité.
La tuyauterie complexe
Le mélange des genres ensuite. Le financement du FOREC (qui sert à financer les allégements de charges sociales liées aux 35 heures mais aussi les allégements décidés par Alain Juppé et qui représentent plus de la moitié de dépenses de ce fonds) est à la fois complexe et malsain. Est-il normal que, sur deux ans, 17 milliards de taxes normalement attribuées à l'assurance-maladie aillent au FOREC ? L'argument selon lequel il s'agit de taxes parafiscales et qu'on ne saurait donc parler d'un détournement des cotisations sociales des assurés a peu de chances de convaincre les représentants des syndicats, sans parler de ceux du patronat. La CGT, pour ne citer qu'elle, critique ces « transferts de recettes ». La complexité de la tuyauterie alimentant le FOREC amène l'ensemble des partenaires sociaux parler de « brouillard » et d' « opacité ». Les médecins libéraux, en tout cas, ne seront pas les derniers à se mobiliser contre la méthode retenue pour financer le FOREC. Sans ces transferts, l'assurance-maladie aurait été bénéficiaire et la CSMF a été la première à dénoncer cette méthode et à estimer que les médecins n'ont pas à subir les conséquences du financement du FOREC.
Enfin, cette politique est potentiellement lourde de déconvenues politiques. Elisabeth Guigou doit s'attendre à un débat houleux au Parlement où une partie de la gauche plurielle, sans parler de la droite, ne ménagera pas ses critiques. Le PC ne sera pas le moins le moins acerbe et le Mouvement des citoyens a déjà déploré « l'illisibilité croissante des comptes ».
La période préélectorale est d'ailleurs propice à l'expression de toutes les divergences au sein de la majorité plurielle. Les médecins libéraux, de leur côté, ne se satisferont pas du maintien du système actuel des lettres clés flottantes. Elisabeth Guigou n'exclut pas de parvenir à un compromis avec eux dans les semaines à venir mais on ne voit pas trop sur quelles bases.
Mais la plus grande erreur, dans ce domaine, aura sans doute été de ne pas avoir profité des dernières années de vaches grasses que vient de connaître la France pour assainir durablement la Sécurité sociale. La ministre de l'Emploi et de la Solidarité peut certes affirmer que, depuis trois ans, la situation du régime général s'est considérablement améliorée, en raison d'une forte croissance. Mais c'est le secrétaire général de la commission des comptes de la Sécurité sociale, François Monier, qui tient à remettre les choses en perspective : « Le régime général aborde la période plus difficile qui s'ouvre à présent sans avoir suffisamment rétabli sa situation financière. »
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