Chez Sa Majesté, le piano

AVEC SES CENT NEUF CONCERTS étalés sur un mois, le Festival international de piano de La Roque-d'Anthéron draine un large public, plus de 71 000 spectateurs cet été, beaucoup plus varié que le public habituel des concerts citadins ou festivaliers. Le festival ne vise pas que la musique classique : le jazz y tient son rôle, avec, cet été Charlie Haden et Brad Mehldau, Chick Corea, et le Bojan Z Trio. Clavecin et orgue ont aussi leurs lieux appropriés avec, entre autres concerts, celui, magistral, de Blandine Rannou consacré aux grands maîtres du clavecin français dans le cadre austère du Temple de Lourmarin.
Le rythme des concerts va de deux à six par jour si l'on compte comme individualités les différentes parties des thématiques « Nuits du piano ». En fin d'après-midi, les débuts au festival de jeunes interprètes réservent parfois de bonnes surprises dans le petit théâtre de verdure Forbin, miracle de charme et d'acoustique, au fond du parc, plus à l'écart des platanes et des séquoias qui entourent l'auditorium du parc du château de Florans où ont lieu les concerts de la nuit, véritable prime time du festival, qui attirent un public plus nombreux.
Avec ses 1 850 places, l'auditorium, dont la scène est plantée sur un bassin et entourée d'une savante conque, est une véritable réussite acoustique. L'inconfort, en revanche, est maximal dans les vilains sièges en matière plastique bien trop exigus et serrés.
Mais le miracle de la musique fait que, parfois, on l'oublie, comme lors du récital de Boris Berezovsky consacré à Rachmaninov, dont l'accumulation des Moments musicaux opus 16 et des Préludes opus 32, malgré la grande maîtrise technique, atteignait la saturation.
En revanche, quelle bonne idée de mettre en perspective, en les jouant en miroir, les Etudes de Chopin et leurs transcriptions, parfois arrangements acrobatiques pour la seule main gauche, par le pianiste Léopold Godowski (1870-1930), tâche dont s'acquittait le Russe avec une virtuosité imperturbable et une sonorité exceptionnellement belle et franche.
Autre grand maître du son et force tranquille du clavier, l'Américain Stephen Kovacevich lui succédait le lendemain, avec les trois dernières sonates de Beethoven, programme dont il s'est fait une spécialité. Tant de franchise dans la sonorité, de calme dans l'ascension de ces trois sommets du répertoire romantique allemand, renforce une admiration déjà ancienne pour cet immense pianiste qui ne nous a jamais déçus. L'enregistrement intégral de ces Sonates paru cette année chez EMI est hautement recommandé.
Difficile pour le Britannique Barry Douglas de passer à la suite de ces deux monstres, surtout dans la 23e Sonate « Appassionata », autre sommet beethovenien, dont on avoue n'avoir pas saisi la logique de son interprétation, cela malgré une grande maîtrise technique. Le pianiste se rattrapait à nos yeux avec une Sonate D 960 de Schubert magnifiquement conduite, sans mièvrerie ni alanguissement inutile, et, comme dans l'Intermezzo de Brahms joué comme bis, avec un son sensiblement meilleur que dans son Beethoven.

Pour la postérité.
A la veille de son quart de siècle d'existence, le Festival de La Roque-d'Anthéron pense déjà à ses archives. On y enregistre cet été, comme il y a deux ans, pour la postérité. Pierre-Olivier Bardet, président d'Idéale Audience, spécialiste des enregistrements et des restaurations d'archives de musique classique, a installé dans un hangar voisin du parc de Florans un studio d'enregistrement de la plus haute technologie, à l'intérieur duquel une minuscule salle circulaire permet d'enregistrer en public dans les conditions du concert, avec tous les raffinements techniques du studio. Cet été, Kovacevich, Berezovsky, Anderszewski et le duo Ivaldi-Pennetier y graveront leurs programmes de concert, et les jeunes pianistes de l'après-midi figureront en première partie de ces enregistrements, à la manière des vedettes américaines du music-hall. Un long métrage documentaire, « le Journal d'une festivalière » (avec rien de moins que la comédienne Irène Jacob), sera aussi tourné par Don Kent et diffusé sur Arte le 30 octobre prochain. Rendez-vous pris !

Festival international de piano de La Roque-d'Anthéron (04.42.50.51.15). Site Internet : http://www.festival-piano.com.