LA THROMBOPHILIE est le plus souvent définie comme l’ensemble des anomalies de l’hémostase prédisposant aux thromboses, mais aujourd’hui encore aucune anomalie n’est retrouvée chez 60 % des patients présentant une histoire familiale de thrombose et, d’autre part, un bon nombre de patients présentant une « thrombophilie » biologique sont asymptomatiques. Ces deux réserves font préférer une définition plus clinique de la thrombophilie, englobant tous les patients présentant des manifestations thromboemboliques avant 50 ans ou des thromboses récidivantes, et toutes les situations cliniques prédisposant aux thromboses.
Thrombophilies constitutionnelles.
L’expression clinique de ces états thrombophiliques est favorisée par des circonstances déclenchantes bien identifiées (chirurgie, alitement prolongé, immobilisation plâtrée, grossesse, contraception orale, traitement hormonal substitutif, voyage…), auxquelles se surajoutent des particularités génétiques faisant de la pathologie thromboembolique veineuse une maladie multifactorielle et polygénique.
Les thrombophilies constitutionnelles sont dues le plus souvent à des déficits en inhibiteurs de la coagulation, antithrombine (AT), protéine C (PC), protéine S (PS) ou à des mutations « gain » de fonction telles que le facteur V Leyden ou la mutation G20210A du gène de la prothrombine associées à une augmentation de la génération de thrombine.
Cliniquement, ces thrombophilies s’expriment essentiellement par la survenue de complications thromboemboliques veineuses (thromboses profondes et superficielles, embolies pulmonaires). Récemment, des complications obstétricales, plus particulièrement des pertes foetales tardives, ont été associées aux différentes thrombophilies. Chez les patients ayant un antécédent de thrombose, la fréquence des causes biologiques de thrombophilie varie de 1 à 3 % pour les déficits en inhibiteurs (AT, PC, PS), 6 % pour le FII20210A et environ 20 % pour le facteur V Leyden. Mais toutes les thrombophilies biologiques n’induisent pas le même risque thromboembolique, comme le montre l’étude EPCOT (European Prospective Cohort On Thrombophilia) menée chez 1 626 patients ayant une thrombophilie héréditaire comparés à une population témoin (1). A l’entrée dans l’étude, le risque de thrombose veineuse est multiplié par 15,7 (IC 95 % 9,2-26,8) par la présence d’une thrombophilie. L’incidence la plus faible est observée chez les patients porteurs du facteur V Leyden hétérozygote (1,5/1 000 années-patients), la plus élevée chez les patients porteurs d’une thrombophilie combinée (8,4 pour 1 000 années-patients).
Les patients cibles.
La recherche d’une thrombophilie est recommandée (2) en cas d’antécédent personnel de thrombose veineuse profonde documentée avant l’âge de 45 ou 50 ans avec ou sans facteur favorisant retrouvé, éventuellement en cas de thrombose veineuse superficielle récidivante sur veine saine ou de thrombose après l’âge de 50 ans sans facteur favorisant retrouvé, avant la première prise de contraception orale ou la première grossesse chez les jeunes femmes ayant un antécédent familial de thrombose veineuse profonde ou d’embolie pulmonaire documentée avant l’âge de 50 ans et en cas de complication obstétricale (pertes foetales tardives, hématome rétroplacentaire).
Une recherche exhaustive.
En revanche, cette recherche n’est pas justifiée en cas d’antécédents personnels ou familiaux de thrombose veineuse après 50 ans s’il existe un facteur favorisant (chirurgie en particulier orthopédique, cancer), en cas de thrombose veineuse superficielle isolée sur une veine pathologique et à titre systématique en l’absence d’antécédent familial, avant la prise de contraception orale ou une grossesse.
Cette recherche de thrombophilie doit être exhaustive du fait du risque thromboembolique plus élevé observé chez les patients porteurs de thrombophilie combinée ; ces situations ne sont pas rares, compte tenu de la grande fréquence des mutations V Leyden et G20210A du gène de la prothrombine. Les thrombophilies constitutionnelles et acquises seront recherchées sur le même prélèvement. Les examens suivants seront demandés : hémogramme avec numération de plaquettes (recherche de polyglobulie ou de thrombocytose), temps de Quick, temps de céphaline activée, recherche d’anticoagulant circulant lupique et d’anticorps anticardiolipine ; dosage du fibrinogène, temps de thrombine, dosage des inhibiteurs de la coagulation (AT, PC, PS) ; recherche d’une résistance à la protéine C activée, de la mutation du facteur V Leyden et de la mutation G20210A du facteur I.
Ces examens doivent être réalisés à distance des accidents thrombotiques et en l’absence de tout traitement anticoagulant, en préférant un centre spécialisé en hémostase où le biologiste donnera une interprétation des résultats qui aidera le clinicien dans la prise en charge du patient.
Implications pratiques.
Toute thrombophilie biologique doit être confirmée sur un deuxième prélèvement avant la délivrance d’une carte ou d’un certificat attestant l’anomalie détectée.
En pratique, le diagnostic de thrombophilie ne fait pas modifier la prise en charge en période thrombotique aiguë. Le traitement inclut généralement des héparines de bas poids moléculaire ou des héparines standards relayées par des AVK oraux avec un INR cible à 2,5.
La décision de poursuivre le traitement anticoagulant est à considérer au cas par cas, en fonction du risque de récidive et du risque hémorragique. La durée du traitement a été récemment précisée dans les recommandations nord-américaines (2, 3).
En ce qui concerne la prévention, la mise en évidence d’une thrombophilie doit donner lieu à une information orale et écrite au patient sur la nature de l’anomalie, le risque de récidive et les recommandations à respecter dans la vie quotidienne, notamment en cas de longs voyages en avion, et autres immobilisations prolongées (immobilisation plâtrée, intervention chirurgicale).
D’après un entretien avec le Dr Marie- Hélène Horellou, service d’hématologie biologique, hôpital de l’Hôtel-Dieu, Paris.
(1) Vossen CY, Conard J, Fontcuberta J et coll. Risk of First Veinous Thrombotic Event in Carriers of a Familial Thrombophilic Defect. The European Prospective Cohort on Thrombophilia (EPCOT). « J Thromb Haemost » 2005 ; 3, 459-464. (2) Buller HR, Agnelli G et coll. Antithrombotic Therapy for Venous Thromboembolicdiseae : the Seventh Accp Conference on Antithrombotic and Thrombolytic Therapy. « Chest » 2004 ; 126 (3 suppl.) : 627S-644S.
(3) Gouault-Heilmann M, Ajzenberg N, Alhenc-Gelas M, Conard J, Dreyfus M, Verdy E. Recommandations pour une juste prescription des examens d’hémostase en pratique médicale courante. « Sang Thromboses Vaisseaux » 2006 ; 18, n°1 : 29-42.
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